Actualités

Inter­view : Big Data « Des enjeux écono­miques et démo­cra­tiques »

Auteur : Propos recueillis par Monique Van Dieren et Guillaume Lohest

Pour THOMAS LEMAIGRE, cher­­­­­­­­­­­­­cheur indé­­­­­­­­­­­­­pen­­­­­­­­­­­­­dant, ensei­­­­­­­­­­­­­gnant, co-direc­­­­­­­­­­­­­teur de la Revue Nouvelle, ce n’est vrai­­­­­­­­­­­­­ment pas une bonne idée pour la démo­­­­­­­­­­­­­cra­­­­­­­­­­­­­tie qu’on soit tous espion­­­­­­­­­­­­­nables à merci. Et le forma­­­­­­­­­­­­­tage des offres de conte­­­­­­­­­­­­­nus qui s’opère grâce aux algo­­­­­­­­­­­­­rithmes réduit à notre insu nos goûts et notre hori­­­­­­­­­­­­­zon de pensée. Il ne prône pas l’abs­­­­­­­­­­­­­ti­­­­­­­­­­­­­nence numé­­­­­­­­­­­­­rique, mais le déve­­­­­­­­­­­­­lop­­­­­­­­­­­­­pe­­­­­­­­­­­­­ment de l’es­­­­­­­­­­­­­prit critique et la créa­­­­­­­­­­­­­tion d’ou­­­­­­­­­­­­­tils numé­­­­­­­­­­­­­riques pour prépa­­­­­­­­­­­­­rer la contre-attaque.

La puis­­­­­­­­­­­­­sance des Big Data s’est construite sur l’im­­­­­­­­­­­­­mense masse de données récol­­­­­­­­­­­­­tées. Par quel biais ces infor­­­­­­­­­­­­­ma­­­­­­­­­­­­­tions sont-elles captées ?

Il n’y a pas qu’un seul fonc­­­­­­­­­­­tion­­­­­­­­­­­ne­­­­­­­­­­­ment, et c’est cela qui fait la force des Big Data. Elles se consti­­­­­­­­­­­tuent par des canaux diffé­­­­­­­­­­­rents et complé­­­­­­­­­­­men­­­­­­­­­­­taires. L’his­­­­­­­­­­­toire d’In­­­­­­­­­­­ter­­­­­­­­­­­net se double d’une histoire de la récolte de données, qui devient de plus en plus élabo­­­­­­­­­­­rée. Prenons l’exemple des cookies. Il s’agit à l’ori­­­­­­­­­­­gine d’un petit fichier texte stocké dans votre disque dur, qui est un aide mémoire pour votre navi­­­­­­­­­­­ga­­­­­­­­­­­tion sur Inter­­­­­­­­­­­net. Le cookie enre­­­­­­­­­­­gistre loca­­­­­­­­­­­le­­­­­­­­­­­ment des données de connexion pour qu’à votre prochain passage sur le même site, une série d’in­­­­­­­­­­­for­­­­­­­­­­­ma­­­­­­­­­­­tions soient préen­­­­­­­­­­­re­­­­­­­­­­­gis­­­­­­­­­­­trées.

C’est un premier moyen, basique, de collecte de données. Mais cette tech­­­­­­­­­­­no­­­­­­­­­­­lo­­­­­­­­­­­gie est telle­­­­­­­­­­­ment simple qu’elle a donné lieu à des tas de déve­­­­­­­­­­­lop­­­­­­­­­­­pe­­­­­­­­­­­ments. Et cette récolte de données se déroule à faible bruit, c’est-à dire sour­­­­­­­­­­­noi­­­­­­­­­­­se­­­­­­­­­­­ment. Même si on a vu passer le message, à présent obli­­­­­­­­­­­ga­­­­­­­­­­­toire, qui nous demande d’ac­­­­­­­­­­­cep­­­­­­­­­­­ter l’uti­­­­­­­­­­­li­­­­­­­­­­­sa­­­­­­­­­­­tion de ces cookies, savons-nous réel­­­­­­­­­­­le­­­­­­­­­­­ment ce que cela implique ? La collecte de données est énorme. Une partie de la collecte de Big Data s’opère grâce aux réseaux sociaux, comme Face­­­­­­­­­­­book, qui est capable de collec­­­­­­­­­­­ter énor­­­­­­­­­­­mé­­­­­­­­­­­ment d’in­­­­­­­­­­­for­­­­­­­­­­­ma­­­­­­­­­­­tions unique­­­­­­­­­­­ment à partir de ses propres fonc­­­­­­­­­­­tion­­­­­­­­­­­na­­­­­­­­­­­li­­­­­­­­­­­tés, à partir des compor­­­­­­­­­­­te­­­­­­­­­­­ments des utili­­­­­­­­­­­sa­­­­­­­­­­­teurs : les likes, les partages, etc. Il ne se limite pas à cela, bien sûr, car il y a souvent un échange de données avec des sites tiers.

Par exemple, on a la possi­­­­­­­­­­­bi­­­­­­­­­­­lité de se connec­­­­­­­­­­­ter à des sites inter­­­­­­­­­­­­­­­­­­­­­net ou des plate­­­­­­­­­­­formes par l’in­­­­­­­­­­­ter­­­­­­­­­­­face de notre compte Face­­­­­­­­­­­book ou Google+. Ce faisant, il y a un échange de données. Si l’on se connecte de cette façon sur RTBF-Auvio par exemple, Face­­­­­­­­­­­book est en capa­­­­­­­­­­­cité de récu­­­­­­­­­­­pé­­­­­­­­­­­rer des données liées à notre utili­­­­­­­­­­­sa­­­­­­­­­­­tion d’Au­­­­­­­­­­­vio.

Ce qui a donné le coup d’ac­­­­­­­­­­­cé­­­­­­­­­­­lé­­­­­­­­­­­ra­­­­­­­­­­­teur aux Big Data, c’est l’ap­­­­­­­­­­­pa­­­­­­­­­­­ri­­­­­­­­­­­tion du smart­­­­­­­­­­­phone. Les appli­­­­­­­­­­­ca­­­­­­­­­­­tions qu’on utilise abon­­­­­­­­­­­dam­­­­­­­­­­­ment fonc­­­­­­­­­­­tionnent comme des petits mouchards sur toute une série de compor­­­­­­­­­­­te­­­­­­­­­­­ments. La géolo­­­­­­­­­­­ca­­­­­­­­­­­li­­­­­­­­­­­sa­­­­­­­­­­­tion évidem­­­­­­­­­­­ment est l’une des sources d’in­­­­­­­­­­­for­­­­­­­­­­­ma­­­­­­­­­­­tion possibles. Mais le simple fait de lais­­­­­­­­­­­ser son smart­­­­­­­­­­­phone Android allumé avec la navi­­­­­­­­­­­ga­­­­­­­­­­­teur Chrome ouvert en tâche de fond permet à Google de collec­­­­­­­­­­­ter des données vous concer­­­­­­­­­­­nant en moyenne toutes les 4 minutes 25 secondes ! Et tout ceci n’est encore rien à côté de ce que vont permettre à leurs opéra­­­­­­­­­­­teurs les objets connec­­­­­­­­­­­tés, la recon­­­­­­­­­­­nais­­­­­­­­­­­sance vocale ou la voiture sans pilo­­­­­­­­­­­te…

Les enjeux ne sont donc pas seule­­­­­­­­­­­ment commer­­­­­­­­­­­ciaux. Il faut prendre conscience des poten­­­­­­­­­­­tia­­­­­­­­­­­li­­­­­­­­­­­tés anti­­­­­­­­­­­dé­­­­­­­­­­­mo­­­­­­­­­­­cra­­­­­­­­­­­tiques du Big Data. On a main­­­­­­­­­­­te­­­­­­­­­­­nant des appli­­­­­­­­­­­ca­­­­­­­­­­­tions qui permettent de faire des paie­­­­­­­­­­­ments directs au moyen de QR codes, sans passer par une carte ou de la monnaie. Un tel dispo­­­­­­­­­­­si­­­­­­­­­­­tif enre­­­­­­­­­­­gistre un tas d‘in­­­­­­­­­­­for­­­­­­­­­­­ma­­­­­­­­­­­tions sur nos achats, en l’oc­­­­­­­­­­­cur­­­­­­­­­­­rence. En Chine, on en est déjà à du ranking social, avec des algo­­­­­­­­­­­rithmes qui calculent votre niveau de civi­­­­­­­­­­­lité à partir de données récol­­­­­­­­­­­tées sur les compor­­­­­­­­­­­te­­­­­­­­­­­ments. Est-ce que vous avez rendu votre voiture de loca­­­­­­­­­­­tion en retard ? Est-ce que vous êtes arrivé en retard à l’école de vos enfants ? Etc. Cela peut aller très loin.

Rassu­­­­­­­­­­­rez-nous, en Europe nous n’en sommes pas encore là…

Je ne sais pas préci­­­­­­­­­­­sé­­­­­­­­­­­ment où on en est. Mais en Europe, on a heureu­­­­­­­­­­­se­­­­­­­­­­­ment une légis­­­­­­­­­­­la­­­­­­­­­­­tion sur la protec­­­­­­­­­­­tion de la vie privée et des données person­­­­­­­­­­­nelles qui est quand même plus ou moins respec­­­­­­­­­­­tée par les firmes de droit euro­­­­­­­­­­­péen. ING ou Belfius, par exemple, ne peuvent pas faire des choses aussi déli­­­­­­­­­­­rantes que cet exemple chinois, mais BNP Fortis et KBC proposent Google Pay depuis quelques mois, sans avoir les moyens de véri­­­­­­­­­­­fier que leur sous-trai­­­­­­­­­­­tant Google respecte complè­­­­­­­­­­­te­­­­­­­­­­­ment le RGPD. Mais cela signi­­­­­­­­­­­fie aussi, et c’est une critique que certains chantres du numé­­­­­­­­­­­rique ne se privent pas de faire, que l’Eu­­­­­­­­­­­rope renonce à une partie de sa compé­­­­­­­­­­­ti­­­­­­­­­­­ti­­­­­­­­­­­vité dans cette écono­­­­­­­­­­­mie des données. Ce qui laisse le champ à d’autres acteurs de droit améri­­­­­­­­­­­cain ou chinois… J’ai récem­­­­­­­­­­­ment lu une carte blanche qui aler­­­­­­­­­­­tait sur le retard euro­­­­­­­­­­­péen en matière de synthèse vocale, à cause entre autres de nos légis­­­­­­­­­­­la­­­­­­­­­­­tions plus contrai­­­­­­­­­­­gnantes en matière de vie privée. Cet argu­­­­­­­­­­­ment existe.

Est-ce que c’est Big Brother ? Doit-on vrai­­­­­­­­­­­ment avoir peur pour la protec­­­­­­­­­­­tion de notre vie privée ?

Je pense qu’il est justi­­­­­­­­­­­fié d’avoir peur, mais pas seule­­­­­­­­­­­ment pour cette raison là. Je poin­­­­­­­­­­­te­­­­­­­­­­­rais deux aspects. Il y a d’abord, effec­­­­­­­­­­­ti­­­­­­­­­­­ve­­­­­­­­­­­ment, le fait que ce n’est pas une bonne idée, pour la démo­­­­­­­­­­­cra­­­­­­­­­­­tie et la cohé­­­­­­­­­­­sion sociale, qu’on soit tous espion­­­­­­­­­­­nables à merci par des orga­­­­­­­­­­­nismes qui n’ont de comptes à rendre qu’à eux-mêmes. Quand on va voter, il y a un rideau à l’iso­­­­­­­­­­­loir, et ce n’est pas pour rien. Cela permet de nous sous­­­­­­­­­­­traire à toute une série de pres­­­­­­­­­­­sions poten­­­­­­­­­­­tielles, de rapports sociaux, de domi­­­­­­­­­­­na­­­­­­­­­­­tions même symbo­­­­­­­­­­­liques. La possi­­­­­­­­­­­bi­­­­­­­­­­­lité de vivre en-dehors du regard d’au­­­­­­­­­­­trui est quelque chose de fonda­­­­­­­­­­­teur pour les démo­­­­­­­­­­­cra­­­­­­­­­­­ties modernes. Ce n’est pas une ques­­­­­­­­­­­tion de pudeur ou d’in­­­­­­­­­­­ti­­­­­­­­­­­mité, cela engage la société dans son ensemble.

Et l’autre raison d’avoir peur, qu’Yves Citton ou Antoi­­­­­­­­­­­nette Rouvroy montrent très bien, c’est que les algo­­­­­­­­­­­rithmes formatent nos vies. Ils anti­­­­­­­­­­­cipent nos juge­­­­­­­­­­­ments, prédé­­­­­­­­­­­fi­­­­­­­­­­­nissent nos compor­­­­­­­­­­­te­­­­­­­­­­­ments, condi­­­­­­­­­­­tionnent notre expé­­­­­­­­­­­rience, notre rapport à la culture, à la vie poli­­­­­­­­­­­tique, etc. Cela nous détourne de notre propre auto­­­­­­­­­­­no­­­­­­­­­­­mie en tant qu’in­­­­­­­­­­­di­­­­­­­­­­­vi­­­­­­­­­­­dus, de notre libre arbitre. Ce qui est vicieux, c’est que cela se joue à l’insu de notre conscience. Et ce faisant, à travers les Big Data, nous lais­­­­­­­­­­­sons des entre­­­­­­­­­­­prises réduire notre champ d’ex­­­­­­­­­­­pé­­­­­­­­­­­riences, de décou­­­­­­­­­­­vertes, de surprises, de curio­­­­­­­­­­­si­­­­­­­­­­­tés. Dans le domaine de la consom­­­­­­­­­­­ma­­­­­­­­­­­tion cultu­­­­­­­­­­­relle, c’est assez flagrant. L’al­­­­­­­­­­­go­­­­­­­­­­­rithme d’Ama­­­­­­­­­­­zon nous pres­­­­­­­­­­­crit des livres sur base de ce que nous avons déjà lu, de ce que nos amis ont acheté, voire des articles qu’on a lus sur tel site d’info, et c’est très sédui­­­­­­­­­­­sant évidem­­­­­­­­­­­ment. Mais c’est un forma­­­­­­­­­­­tage de notre accès à une masse cultu­­­­­­­­­­­relle pour­­­­­­­­­­­tant infi­­­­­­­­­­­nie.

Le problème que posent les Big Data se situe­­­­­­­­­­­rait donc davan­­­­­­­­­­­tage en matière de forma­­­­­­­­­­­tage cultu­­­­­­­­­­­rel de la consom­­­­­­­­­­­ma­­­­­­­­­­­tion qu’en termes de risque pour la démo­­­­­­­­­­­cra­­­­­­­­­­­tie ?

Il y a quand même eu l’af­­­­­­­­­­­faire Snow­­­­­­­­­­­den, qui révèle que les grands oligo­­­­­­­­­­­poles de l’éco­­­­­­­­­­­no­­­­­­­­­­­mie des données ne sont pas des pères-la-vertu. Ces oligo­­­­­­­­­­­poles ont donné accès aux services secrets améri­­­­­­­­­­­cains et anglais à des quan­­­­­­­­­­­ti­­­­­­­­­­­tés infi­­­­­­­­­­­nies de données, à leurs systèmes de calculs, à leurs algo­­­­­­­­­­­rithmes, etc. Le programme améri­­­­­­­­­­­cain PRISM défie l’ima­­­­­­­­­­­gi­­­­­­­­­­­na­­­­­­­­­­­tion. En tant que mili­­­­­­­­­­­tant asso­­­­­­­­­­­cia­­­­­­­­­­­tif ou poli­­­­­­­­­­­tique, a-t-on envie que ce qu’on pense, ce qu’on imagine comme projet ou comme action collec­­­­­­­­­­­tive se retrouve sur la place publique, traité par des services de rensei­­­­­­­­­­­gne­­­­­­­­­­­ment ? C’est quelque chose dont on a long­­­­­­­­­­­temps imaginé qu’il serait impos­­­­­­­­­­­sible en Europe. Dans le domaine de l’aide sociale par exemple, les assis­­­­­­­­­­­tants sociaux dans les CPAS ont la possi­­­­­­­­­­­bi­­­­­­­­­­­lité de scru­­­­­­­­­­­ter les comptes Face­­­­­­­­­­­book de gens qui demandent le RIS. Le fisc aussi, ou bien sûr les employeurs qui recrutent. Il y a donc des limites qui sont en train d’être fran­­­­­­­­­­­chies, qui inter­­­­­­­­­­­­­­­­­­­­­rogent notre concep­­­­­­­­­­­tion de la démo­­­­­­­­­­­cra­­­­­­­­­­­tie.

Comment réagir à cette situa­­­­­­­­­­­tion ? Faut-il se décon­­­­­­­­­­­nec­­­­­­­­­­­ter tota­­­­­­­­­­­le­­­­­­­­­­­ment ? Ou agir collec­­­­­­­­­­­ti­­­­­­­­­­­ve­­­­­­­­­­­ment ? Que recom­­­­­­­­­­­man­­­­­­­­­­­de­­­­­­­­­­­riez-vous comme atti­­­­­­­­­­­tude ?

Je ne crois pas qu’il faille dire aux gens ce qu’ils doivent faire. Les gens en ont marre, de toute façon, qu’on leur dise quoi faire. Ce qui me semble impor­­­­­­­­­­­tant par contre, c’est de faire de la péda­­­­­­­­­­­go­­­­­­­­­­­gie, de montrer les consé­quences de notre parti­­­­­­­­­­­ci­­­­­­­­­­­pa­­­­­­­­­­­tion à cette écono­­­­­­­­­­­mie du Big Data. Nous sommes des millions à être pous­­­­­­­­­­­sés à adop­­­­­­­­­­­ter les mêmes compor­­­­­­­­­­­te­­­­­­­­­­­ments : il me semble donc néces­­­­­­­­­­­saire de cher­­­­­­­­­­­cher des expli­­­­­­­­­­­ca­­­­­­­­­­­tions systé­­­­­­­­­­­miques, globales pour comprendre comment ces compor­­­­­­­­­­­te­­­­­­­­­­­ments sont éven­­­­­­­­­­­tuel­­­­­­­­­­­le­­­­­­­­­­­ment susci­­­­­­­­­­­tés par des acteurs écono­­­­­­­­­­­miques qui ne sont pas neutres. Il s’agit de prendre conscience des consé­quences au niveau indi­­­­­­­­­­­vi­­­­­­­­­­­duel et au niveau collec­­­­­­­­­­­tif. Faut il conseiller de cryp­­­­­­­­­­­ter ses mails, fermer son compte Face­­­­­­­­­­­book, désac­­­­­­­­­­­ti­­­­­­­­­­­ver la géolo­­­­­­­­­­­ca­­­­­­­­­­­li­­­­­­­­­­­sa­­­­­­­­­­­tion sur son smart­­­­­­­­­­­phone ? Sincè­­­­­­­­­­­re­­­­­­­­­­­ment, je ne sais pas. Mais par contre, je trouve qu’il est vrai­­­­­­­­­­­ment essen­­­­­­­­­­­tiel d’avoir une éduca­­­­­­­­­­­tion numé­­­­­­­­­­­rique mini­­­­­­­­­­­male pour que chacun ait des outils pour saisir cette écono­­­­­­­­­­­mie des données et de l’at­­­­­­­­­­­ten­­­­­­­­­­­tion dans laquelle il joue, quelles sont les règles du jeu si on gratte un peu sous la surface. C’est un peu l’idée de votre campagne, non ?

Réduire la quan­­­­­­­­­­­tité de données qu’on cède, augmen­­­­­­­­­­­ter le niveau de vigi­­­­­­­­­­­lance, ce n’est de toute façon pas une mauvaise chose…

Bien sûr. Le ques­­­­­­­­­­­tion­­­­­­­­­­­ne­­­­­­­­­­­ment à avoir, c’est : est-ce que notre projet de vie est de deve­­­­­­­­­­­nir des sortes de vaches à lait de multi­­­­­­­­­­­na­­­­­­­­­­­tio­­­­­­­­­­­nales peu scru­­­­­­­­­­­pu­­­­­­­­­­­leuses et surtout sur lesquelles on a de moins en moins de contrôle démo­­­­­­­­­­­cra­­­­­­­­­­­tique ? Par exemple, il existe à présent une appli­­­­­­­­­­­ca­­­­­­­­­­­tion qui permet de fusion­­­­­­­­­­­ner nos cartes de fidé­­­­­­­­­­­lité en une seule appli­­­­­­­­­­­ca­­­­­­­­­­­tion. On souhaite allé­­­­­­­­­­­ger son porte­­­­­­­­­­­feuille, mais on finit envahi de publi­­­­­­­­­­­ci­­­­­­­­­­­tés… Typique­­­­­­­­­­­ment, instal­­­­­­­­­­­ler ce genre d’apps, c’est faire un gigan­­­­­­­­­­­tesque cadeau à Colruyt, Carre­­­­­­­­­­­four et d’autres, car cela les renseigne sur des tas de compor­­­­­­­­­­­te­­­­­­­­­­­ments, et cela leur permet de modi­­­­­­­­­­­fier leurs stra­­­­­­­­­­­té­­­­­­­­­­­gies de négo­­­­­­­­­­­cia­­­­­­­­­­­tion vis-à-vis de four­­­­­­­­­­­nis­­­­­­­­­­­seurs ou d’autres inter­­­­­­­­­­­­­­­­­­­­­mé­­­­­­­­­­­diaires pour in fine maxi­­­­­­­­­­­mi­­­­­­­­­­­ser toujours mieux leurs marges. Ceux qui détiennent les données et sont capables de les trai­­­­­­­­­­­ter sont en posi­­­­­­­­­­­tion de force par rapport aux produc­­­­­­­­­­­teurs et aux consom­­­­­­­­­­­ma­­­­­­­­­­­teurs. Est ce ce monde-là qu’on veut ?

Il faut critiquer cette écono­­­­­­­­­­­mie du Big Data, mais elle a pris une telle impor­­­­­­­­­­­tance qu’on ne peut pas la critiquer sans y parti­­­­­­­­­­­ci­­­­­­­­­­­per. Il faut pouvoir se doter d’ou­­­­­­­­­­­tils qui permettent, avec les mêmes types d’al­­­­­­­­­­­go­­­­­­­­­­­rithmes, de prépa­­­­­­­­­­­rer des contre-feux.

C’est quoi,au fond, le Big Data ?

Thomas Lemaigre: Je pense qu’il ne faut pas confondre le fait que les tech­­­­­­­­­­­no­­­­­­­­­­­lo­­­­­­­­­­­gies de l’in­­­­­­­­­­­for­­­­­­­­­­­ma­­­­­­­­­­­tion permettent de trai­­­­­­­­­­­ter énor­­­­­­­­­­­mé­­­­­­­­­­­ment de données, et les Big Data au sens où on l’en­­­­­­­­­­­tend géné­­­­­­­­­­­ra­­­­­­­­­­­le­­­­­­­­­­­ment. La banque-carre­­­­­­­­­­­four de la Sécu­­­­­­­­­­­rité sociale par exemple, qui est une base de données publique, ce n’est pas du Big Data. Ce sont des systèmes fermés, sécu­­­­­­­­­­­ri­­­­­­­­­­­sés, contrô­­­­­­­­­­­lés, orga­­­­­­­­­­­ni­­­­­­­­­­­sés, normés par des légis­­­­­­­­­­­la­­­­­­­­­­­tions. N’im­­­­­­­­­­­porte qui n’y a pas accès, on ne peut pas les utili­­­­­­­­­­­ser pour n’im­­­­­­­­­­­porte quoi. Ce n’est pas parce que les bases de données sont gigan­­­­­­­­­­­tesques que c’est du Big Data. Les données d’une admi­­­­­­­­­­­nis­­­­­­­­­­­tra­­­­­­­­­­­tion publique sont complètes, hyper struc­­­­­­­­­­­tu­­­­­­­­­­­rées, et ce de façon homo­­­­­­­­­­­gène pour des millions de personnes, struc­­­­­­­­­­­tu­­­­­­­­­­­rées en fonc­­­­­­­­­­­tion des mêmes champs.

Le Big Data, c’est l’in­­­­­­­­­­­verse. C’est ce que les statis­­­­­­­­­­­ti­­­­­­­­­­­ciens appellent de la donnée sale. C’est bordé­­­­­­­­­­­lique, ça part dans tous les sens. Ce sont des données qui viennent de sources diverses, non coor­­­­­­­­­­­don­­­­­­­­­­­nées, qui ne sont donc pas struc­­­­­­­­­­­tu­­­­­­­­­­­rées de la même façon. Mais elles existent en une telle quan­­­­­­­­­­­tité qu’il y a, malgré tout, moyen d’en tirer quelque chose à l’aide d’al­­­­­­­­­­­go­­­­­­­­­­­rithmes de plus en plus perfor­­­­­­­­­­­mants. Ils tirent, d’une immense masse de données plutôt mal foutues, des infor­­­­­­­­­­­ma­­­­­­­­­­­tions dont il est possible de se servir. Ces données sont la propriété des entre­­­­­­­­­­­prises qui les captent. C’est tout le sens des condi­­­­­­­­­­­tions géné­­­­­­­­­­­rales d’uti­­­­­­­­­­­li­­­­­­­­­­­sa­­­­­­­­­­­tion (CGU). Vous ne les lisez pas, évidem­­­­­­­­­­­ment ! Mais vous cochez la petite case, et avali­­­­­­­­­­­sez du coup le fait que vous accep­­­­­­­­­­­tez que vos données soient utili­­­­­­­­­­­sées, qu’elles deviennent la propriété du site ou de la plate­­­­­­­­­­­forme sur lesquels vous créez un compte. Ces données ont bien sûr une valeur écono­­­­­­­­­­­mique. Il y a un marché de ces données, très floris­­­­­­­­­­­sant, avec des cour­­­­­­­­­­­tiers. Cela permet de se consti­­­­­­­­­­­tuer de gigan­­­­­­­­­­­tesques bases de données, comme quand MasterCard vend des infor­­­­­­­­­­­ma­­­­­­­­­­­tions à Google, avec des parties plus ou moins propres, d’autres très chao­­­­­­­­­­­tiques.

Autres actualités

Voir toutes les actualités