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Claude Audez : INONDATIONS « Un trau­ma­tisme dont je ne me remet­trai jamais »

Dans la précé­­­­­­­­­dente news­­­­­­­­­let­­­­­­­­­ter, nous avons donné la parole à quelques personnes touchées par les inon­­­­­­­­­da­­­­­­­­­tions en province de Liège. Mais le Brabant wallon n’a pas non plus été épar­­­­­­­­­gné par le déluge qui s’est abattu sur la Wallo­­­­­­­­­nie en juillet dernier. Claude habite Court-St-Etienne, il vit seul et est deman­­­­­­­­­deur d’em­­­­­­­­­ploi. Trois mois après les inon­­­­­­­­­da­­­­­­­­­tions, je croise Claude à la Rencontre citoyenne des EP le 9 octobre dernier. Avec encore beau­­­­­­­­­coup d’émo­­­­­­­­­tion dans la voix, il me raconte ce qu’il a vécu et son parcours du combat­­­­­­­­­tant pour retrou­­­­­­­­­ver un loge­­­­­­­­­ment.

Peux-tu nous expliquer ce qui t’est arrivé le 15 juillet ?
J’ha­­­­­­­­­bi­­­­­­­­­tais un rez-de-chaus­­­­­­­­­sée au centre de Court-St-Etienne, dans le creux, là où il y avait le plus d’eau. J’avais déjà été inondé une ou deux fois, mais ça n’avait pas posé trop de problèmes parce que j’avais une pompe dans la cave. Cette fois-ci, j’ai vu l’eau monter dans la rue… sans trop de panique. Jusqu’au moment où elle est rentrée à l’in­­­­­­­­­té­­­­­­­­­rieur et est montée de plus en plus. Les loca­­­­­­­­­taires des appar­­­­­­­­­te­­­­­­­­­ments du dessus étaient déjà partis car ils avaient peur pour leur bébé, je ne savais donc pas me réfu­­­­­­­­­gier chez eux. J’ai commencé à soule­­­­­­­­­ver les meubles. Après un moment, je me suis rendu compte qu’il n’y avait plus rien à faire. Ne me demande pas l’heure à laquelle c’est arrivé, j’avais perdu toute notion du temps !

Ça peut faire rire, mais je me suis assis sur l’ac­­­­­­­­­cou­­­­­­­­­doir de mon fauteuil qui était déjà inondé. Je regar­­­­­­­­­dais l’eau monter, les prises de courant étaient  sous eau. J’ai réalisé qu’il y avait vrai­­­­­­­­­ment un problème, que je ne savais plus dépla­­­­­­­­­cer seul mon frigo. A ce moment-là, le commerçant d’à côté m’a demandé un coup de main pour monter ses appa­­­­­­­­­reils, puis il est parti à son domi­­­­­­­­­cile. Je me suis donc retrouvé tout seul. Puis j’ai entendu des voix dans la rue dire qu’il y avait des pompiers au bout de la rue. Je suis sorti de chez moi (j’avais de l’eau presque jusqu’au cou), j’ai nagé jusqu’au bout de la rue, mais les pompiers n’étaient plus là. Je suis donc revenu à la nage jusque chez moi et j’ai encore essayé de sauver des affaires. Puis le temps passe, et je ne me souviens plus de rien. A un moment donné, j’ai vu passer une barque avec des béné­­­­­­­­­voles. (Contrai­­­­­­­­­re­­­­­­­­­ment aux inon­­­­­­­­­da­­­­­­­­­tions précé­­­­­­­­­dentes, je n’ai vu aucun service de la protec­­­­­­­­­tion civi­­­­­­­­­le… Merci Jan Jambon, N-VA !!). J’en ai entendu un crier « Y a encore  quelqu’un ? ». Je n’ai pas réagi tout de suite, mais au moment où ils repar­­­­­­­­­taient vers la gare, heureu­­­­­­­­­se­­­­­­­­­ment je ne sais pas ce qui m’a pris, je suis ressorti et j’ai appelé. Ils sont reve­­­­­­­­­nus jusque chez moi en me deman­­­­­­­­­dant ce que je faisais encore là. Ils ont vu que mes lèvres étaient bleues, et ont tenté de me convaincre de les suivre en me disant que je risquais de mourir si je restais là. Je ne compre­­­­­­­­­nais pas ce que ce type me disait… Il venait me sauver et il me parle de mort ! Là, j’ai complè­­­­­­­­­te­­­­­­­­­ment disjoncté. Il me deman­­­­­­­­­dait où je comp­­­­­­­­­tais aller dormir… Je cher­­­­­­­­­chais après mon lit, mais il était sous eau. J’ai regardé mon fauteuil qui était au-dessus de la table, et je lui dis « là, au-dessus ». Au fur et à mesure qu’il me posait des ques­­­­­­­­­tions, je commençais à réali­­­­­­­­­ser que je ne pouvais pas rester chez moi. Et j’ai commencé à avoir très, très froid. Ils m’ont mis dans la barque, je ne savais déjà plus bouger mes jambes. Ils m’ont amené au bout de la rue jusqu’à une ambu­­­­­­­­­lance. Ils m’ont désha­­­­­­­­­billé et emballé dans plusieurs couver­­­­­­­­­tures de survie et m’ont examiné. J’étais en situa­­­­­­­­­tion de stress inten­­­­­­­­­sif, ma tension était au plus haut, j’étais en hypo­­­­­­­­­ther­­­­­­­­­mie. J’étais paniqué, perdu, hagard. J’en profite pour remer­­­­­­­­­cier ces sauve­­­­­­­­­teurs, ainsi que le proprié­­­­­­­­­taire d’un commerce qui a accepté de mettre son maga­­­­­­­­­sin à la dispo­­­­­­­­­si­­­­­­­­­tion des ambu­­­­­­­­­lan­­­­­­­­­ciers pour pouvoir dispen­­­­­­­­­ser des soins aux sinis­­­­­­­­­trés. J’ai encore des contacts avec six d’entre eux, ce sont deve­­­­­­­­­nus des amis.

Ton loge­­­­­­­­­ment était devenu inha­­­­­­­­­bi­­­­­­­­­table. Où es-tu allé à ta sortie d’hô­­­­­­­­­pi­­­­­­­­­tal ?
Une fois que mon état était stabi­­­­­­­­­lisé, après quelques heures, le méde­­­­­­­­­cin de l’hô­­­­­­­­­pi­­­­­­­­­tal m’a demandé si je savais où j’al­­­­­­­­­lais aller en sortant. Je ne compre­­­­­­­­­nais pas, je voulais rentrer chez moi car je n’ai pas d’amis proches et plus de famille. L’hô­­­­­­­­­pi­­­­­­­­­tal a pris contact avec la commune, qui a une liste de béné­­­­­­­­­voles prêts à dépan­­­­­­­­­ner et héber­­­­­­­­­ger des gens en situa­­­­­­­­­tion d’ur­­­­­­­­­gence. J’ai eu beau­­­­­­­­­coup de chance, Monsieur Jean est venu me cher­­­­­­­­­cher. Je suis arrivé chez lui, sa femme m’a accueilli et donné des vête­­­­­­­­­ments secs (je suis sorti de l’hô­­­­­­­­­pi­­­­­­­­­tal avec mes vête­­­­­­­­­ments encore mouillés !). Mais le lende­­­­­­­­­main, j’ai eu le contre-coup, je n’ar­­­­­­­­­rê­­­­­­­­­tais pas de trem­­­­­­­­­bler. Il a fallu plusieurs jours pour commen­­­­­­­­­cer à m’en remettre. J’ai reçu un accueil incroyable car j’étais complè­­­­­­­­­te­­­­­­­­­ment déphasé.

Mais le problème, c’était le loge­­­­­­­­­ment… Jean a pris contact avec le CPAS pour aller à mon studio pour consta­­­­­­­­­ter les dégâts. Le CPAS a effec­­­­­­­­­ti­­­­­­­­­ve­­­­­­­­­ment constaté que c’était inha­­­­­­­­­bi­­­­­­­­­table, l’as­­­­­­­­­sis­­­­­­­­­tante sociale a conclu que le CPAS de Court St-Etienne ne savait rien faire pour moi et a proposé de m’en­­­­­­­­­voyer dans une maison commu­­­­­­­­­nau­­­­­­­­­taire à Nivelles. Je ne compre­­­­­­­­­nais pas pourquoi ils voulaient m’en­­­­­­­­­voyer là… C’est quoi ce truc ?! A mon âge (60 ans), je n’avais vrai­­­­­­­­­ment pas envie de ça ! Je travaille en ALE, tous mes clients sont à Court-St-Etienne, je ne vais plus pouvoir travailler, qu’est-ce que vous voulez que j’aille faire à Nivelles ?

Heureu­­­­­­­­­se­­­­­­­­­ment, Jean est inter­­­­­­­­­­­­­­­­­venu avec toutes ses rela­­­­­­­­­tions dans la commune. Un ami des EP a contacté une conseillère du CPAS, et d’autres personnes. Et comme par hasard, tout a été débloqué ! J’ai obtenu un loge­­­­­­­­­ment de la commune qui était libre pour 15 jours. Ensuite, on m’a trouvé un loge ment public de l’IPB à Sart-Messire-Guillaume, à 20 minutes en vélo de Court-St-Etienne. J’ai un bail provi­­­­­­­­­soire de 6 mois renou­­­­­­­­­ve­­­­­­­­­lable 6 mois maxi­­­­­­­­­mum, mais qui m’in­­­­­­­­­ter­­­­­­­­­dit de me domi­­­­­­­­­ci­­­­­­­­­lier là. Actuel­­­­­­­­­le­­­­­­­­­ment, je n’ai plus de domi­­­­­­­­­cile. L’as­­­­­­­­­sis­­­­­­­­­tante sociale du CPAS a rési­­­­­­­­­lié le bail avec le proprié­­­­­­­­­taire du studio qui a été inondé, car je payais beau­­­­­­­­­coup trop cher (voir enca­­­­­­­­­dré), et il était déjà insa­­­­­­­­­lubre avant que je n’y habi­­­­­­­­­te… Je suis la troi­­­­­­­­­sième personne à avoir dû évacuer de ce studio, donc elle ne veut plus que j’y retourne.

Dans un an maxi­­­­­­­­­mum, tu vas donc devoir trou­­­­­­­­­ver un autre loge­­­­­­­­­ment ?

Lors d’une de ses visites, l’as­­­­­­­­­sis­­­­­­­­­tante sociale de l’IPB me dit : « Dans un an au plus tard, VOUS allez devoir trou­­­­­­­­­ver un loge­­­­­­­­­ment ». Puis elle me regarde et elle rajoute : « Dans votre situa­­­­­­­­­tion, ça va être quasi­­­­­­­­­ment impos­­­­­­­­­sible ». Je ne sais pas très bien pourquoi elle m’a dit ça, mais je crois qu’ils ont envie de me voir partir de la commu­­­­­­­­­ne… Ça ne les inté­­­­­­­­­resse pas d’avoir des sans-emploi ou des gens qui ont des problèmes sociaux. On préfère les envoyer plus loin. Ça m’est déjà arrivé à Rixen­­­­­­­­­sart, c’est donc la deuxième fois que ça m’ar­­­­­­­­­rive d’être « persona non grata » dans une commune.

Il faut savoir que je suis deman­­­­­­­­­deur d’em­­­­­­­­­ploi, ça fait 11 ans que je demande un loge­­­­­­­­­ment social et je suis dans les condi­­­­­­­­­tions pour en obte­­­­­­­­­nir un. Depuis les inon­­­­­­­­­da­­­­­­­­­tions, j’ai obtenu le statut de sans-abri par le Conseil du CPAS, ce qui signi­­­­­­­­­fie que je suis prio­­­­­­­­­ri­­­­­­­­­taire pour obte­­­­­­­­­nir un loge­­­­­­­­­ment social. Je crois qu’ils vont commen­­­­­­­­­cer à se renvoyer la balle entre la société de loge­­­­­­­­­ment IPB et le CPAS. Et donc pendant un an, je ne vais pas savoir sur quel pied danser ni si je vais pouvoir obte­­­­­­­­­nir un loge­­­­­­­­­ment.

Après trois mois, qu’est-ce que tu retiens de tout ça ? Dans quel état d’es­­­­­­­­­prit es-tu ?
Tu me connais, j’ai du carac­­­­­­­­­tère, je suis volon­­­­­­­­­tai­­­­­­­­­re… Eh bien malgré tout, c’est un trau­­­­­­­­­ma­­­­­­­­­tisme dont je ne me remet­­­­­­­­­trai jamais, jamais, jamais. Ça m’a ouvert les yeux. Une amie m’a convaincu que, cette fois-ci, je devais aller consul­­­­­­­­­ter un psycho­­­­­­­­­logue. J’avais déjà craqué au deuxième confi­­­­­­­­­ne­­­­­­­­­ment, j’au­­­­­­­­­rais déjà dû consul­­­­­­­­­ter mais je ne l’ai pas fait, en pensant que j’al­­­­­­­­­lais m’en sortir tout seul. Mais main­­­­­­­­­te­­­­­­­­­nant, ça ne va plus. Il y a des moments où je pleure, je me demande ce qui m’ar­­­­­­­­­rive, ce que je vais deve­­­­­­­­­nir. Je me rends compte que ce n’est pas la mort qui est au bout, ce sont peut-être d’autres catas­­­­­­­­­trophes auxquelles je ne saurai pas faire face. J’ai peur de vivre encore pire, je n’ai plus de pensée posi­­­­­­­­­tive. Tu sais que je suis un plai­­­­­­­­­san­­­­­­­­­tin et que j’aime bien rigo­­­­­­­­­ler, mais je n’ai plus envie de rire ni de faire rire. Je n’ai plus envie de rien. Tout ce qui me sauve pour l’ins­­­­­­­­­tant, c’est mon boulot dans les jardins. Je me surprends à parler à un écureuil… Le contact avec la nature me fait du bien, ça m’aide pour le moment.

Tu dis que ça t’a ouvert les yeux… Sur quoi ?
Je ne savais pas qu’on pouvait tomber dans une détresse pareille. Quand je vois des personnes dans des pays pauvres qui vivent dans des camps sous des toiles, je me dis que dans ma malchance, j’ai encore des petites lueurs d’es­­­­­­­­­poir. Mais j’ai encore trop de hauts et de bas, il faut que je me fasse aider. Il faudra que ça sorte.

Mais j’en retire quelque chose de posi­­­­­­­­­tif pour l’ave­­­­­­­­­nir, que ce soit pour moi ou pour la société en géné­­­­­­­­­ral. Ça m’a permis d’avoir beau­­­­­­­­­coup de contacts et de soutien. Tous ceux qui m’ont aidé, je les appelle régu­­­­­­­­­liè­­­­­­­­­re­­­­­­­­­ment. Ce sont parfois des gens nantis qui n’ont pas besoin de moi, mais je veux qu’ils sachent que je suis très recon­­­­­­­­­nais­­­­­­­­­sant pour ce qu’ils ont fait pour moi. Je pense que j’étais le seul dans mon village à ne pas avoir de solu­­­­­­­­­tion de relo­­­­­­­­­ge­­­­­­­­­ment chez des amis ou de la famille. Et j’ai reçu des béné­­­­­­­­­voles tout ce qui était de première néces­­­­­­­­­sité (meubles, linge, vais­­­­­­­­­selle, produits de nettoyage). J’ai beau­­­­­­­­­coup appré­­­­­­­­­cié l’énorme élan de soli­­­­­­­­­da­­­­­­­­­rité.

FIN DU PREMIER ÉPISODE

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