Droit au logement : vote historique à Bruxelles
Le vendredi 4 avril dernier, les parlementaires bruxellois ont voté en faveur d’un amendement venant compléter l’ordonnance visant à instaurer une Commission paritaire locative, déjà en place depuis quelques mois. Retour sur ce vote historique, ce qu’il va changer pour les locataires désireux de faire valoir leur droit à un loyer raisonnable.
Action Stop aux loyers abusifs ! Bruxelles, en 2016
Un premier pas en octobre 2021
Cette ordonnance1 ne date pas d’hier. Sa mise en place a en effet été votée en octobre 2021 déjà, mais de manière incomplète. Pour que la négociation entre les différents partis composant le parlement bruxellois de l’époque aboutisse, une partie de ses articles (8 à 13 pour être précis) à dû être mise de côté. Le dispositif était incomplet, ce qui ne l’a pas empêché d’être progressivement mis en place et de statuer sur ses premiers cas dès l’année dernière. Mais comment ça fonctionne ? En gros, la CPL est une commission indépendante et impartiale pouvant rendre un avis sur la justesse du loyer d’un bail d’habitation en Région Bruxelles Capitale. Elle est composée de représentants des locataires et des propriétaires. Elle statue sur demande (il s’agit donc pour un locataire de saisir d’initiative la CPL). Si elle émet un avis de révision du loyer (par le haut ou par le bas), elle propose une conciliation entre le locataire et le bailleur. Pour ce faire, elle se base sur la grille indicative des loyers (basée elle-même sur le marché locatif), les données du dossier du demandeur et les éventuels défauts de qualité substantiels intrinsèques au logement. L’avis de la CPL est gratuit, non contraignant et doit être rendu dans les deux mois de l’introduction de la demande.
Si l’avis de la CPL est positif (si elle estime que le loyer demandé est abusif) elle peut le transmettre à un juge de paix, qui pourra tenter une conciliation à l’amiable. Voilà pour les grandes lignes : sur initiative individuelle, non contraignante, basée sur une grille indicative, avec comme maître mot conciliation.
Action Grève des loyers à Bruxelles, 2016
L’avancée d’avril
Il est aujourd’hui interdit aux bailleurs de fixer un loyer supérieur de 20% à la grille des loyers, qui devient donc contraignante. Cette interdiction est entrée en vigueur le premier mai. Ce qui change concrètement, c’est que l’avis de la CPL, lorsqu’il sera transmis au juge de paix, est aujourd’hui contraignant. Les demandeurs pourront d’ailleurs saisir directement le juge de paix, sans passer par la CPL.
Jusqu’ici il n’y avait aucune obligation. Le juge pourra exiger du propriétaire qu’il diminue son loyer. Il s’agit donc d’une avancée considérable ! C’est aussi une avancée historique en ce sens que jamais auparavant un tel dispositif a existé en Belgique. C’est une première !
Par le passé, des lois de blocage et de gel temporaire des loyers ont existé. En effet dans l’après-guerre ce type de lois a été mis en place de manière casi interrompue jusqu’en 1975. L’objectif du législateur à l’époque était le retour au « droit commun » (comprendre, le retour à la « liberté contractuelle ») … Retour qui était inévitablement synonyme de hausse des loyers2. La vision ici est toute autre : il s’agit bien d’un dispositif pérenne, structurel, et non temporaire. Certes il n’est pas parfait, il ne s’agit d’ailleurs à notre sens pas d’une régulation des loyers – voir paragraphe suivant – mais malgré tout, c’est un pied dans la porte : le montant des loyers n’est pas intouchable, la relation contractuelle entre un propriétaire-bailleur et un locataire est déséquilibrée et il appartient aux pouvoirs publics de la rééquilibrer.
Groupe loyers abusifs Bruxelles
Ceci n’est pas une régulation des loyers
La mise en place d’un tel dispositif était un combat historique des Equipes, à travers notamment ses actions de grève des loyers. Même s’il a été progressivement vidé de sa substance et qu’une partie de nos revendications sont passées à la trappe (notamment l’enjeu de taxation des loyers), nous saluons le pas dans la porte de la régulation des loyers. Mais soulignons aussi le fait qu’il s’agit bien d’un pas dans la porte, et pas d’une régulation en tant que telle. En effet, le dispositif reste individuel, à l’initiative du locataire, avec une issue incertaine, basé sur les prix du marché qui sont déjà trop élevés (rappelons que tous les dix ans à peu près les loyers augmentent de 20% en plus de l’indexation, sans amélioration substantielle de la qualité des biens). Ce ne sont donc pas tous les locataires qui pourront en bénéficier. Seuls les locataires correctement informés, correctement accompagnés ou bénéficiant d’un capital culturel et économique suffisant pour entreprendre les démarches seuls, entreront dans la danse. Réguler les loyers de manière structurelle et collective, c’est un enjeu politique majeur, il s’agit maintenant de le rappeler et de continuer inlassablement à la mise en place d’un rapport de force suffisant pour l’obtenir.
[1] Retrouver le texte complet ici : https://etaamb.openjustice.be/fr/ordonnance-du-28-octobre-2021_n2021043030.html
[2] À ce sujet, lire Isabelle Brandon, Droit au Logement et Politique des Loyers, Ebauche d’un droit au logement effectif, La Charte, 1997, pp.165–204.