Retour du voyage d’immersion en RDC avec l’ONG WSM
Fin 2024, notre collègue Shan de la régionale de Verviers a pu vivre une expérience formidable avec d’autres membres du Mouvement Ouvrier Chrétien, grâce à l’association WSM : un voyage de deux semaines au Congo. Le but était de partir à la rencontre de Congolais et de Congolaises pour découvrir la réalité de leur pays, et de discuter de la transition écologique avec eux. Shan nous fait le récit de ce séjour intense en découvertes, dont celle d’une réalité dont on devine les contours mais dont on n’imagine pas tous les enjeux.
Nous étions un groupe de dix personnes à nous rendre en République Démocratique du Congo. Les participants au voyage étaient issus de plusieurs organisations du MOC. J’étais accompagnée de Monique Renard, membre de la régionale de Verviers (voir interview ci-dessous). Tout au long du séjour, nous avons été guidés par l’équipe WSM Afrique Centrale et nous avons rencontré de nombreux partenaires de l’association. Nous avons séjourné quelques jours à Kinshasa, mais nous sommes également allés dans la région du Katanga, où nous nous sommes arrêtés à Lubumbashi et à Kolwezi. Notre volonté était de mieux appréhender les enjeux sociaux, environnementaux et économiques au Congo. Ce voyage était l’occasion d’aborder les questions liées à la transition juste et de découvrir les défis rencontrés par les partenaires locaux et les populations congolaises. Les visites auprès des organisations sur place nous ont permis de nous rendre compte des conditions de travail sur le terrain, particulièrement dans les secteurs informels.
Exploiter les ressources naturelles ou exploiter les gens ?
À Lubumbashi, capitale du Haut-Katanga, la région est particulièrement stratégique car elle est l’un des principaux foyers d’exploitation des minerais, notamment le cuivre et le cobalt, essentiels à la production des voitures électriques. Avec la CSC Congo, nous nous sommes intéressés à la question des droits des travailleurs dans les mines et aux conditions de travail dans les zones minières : quel est l’impact de l’exploitation minière sur les conditions de vie des travailleurs locaux, en particulier ceux qui sont employés dans le secteur informel ? Richard, permanent syndical à Kolwezi, soulignait la situation spécifique dans la province du Lualaba où se trouvent des zones particulièrement riches en ressources minières. À Kolwezi, la ville repose sur un gisement de minerais. Il existe des débats autour de la possibilité de déplacer certaines populations pour exploiter pleinement ces gisements. Une grande partie des activités minières dans la région se déroule dans le secteur informel, où de nombreuses personnes travaillent dans des conditions extrêmement précaires. En effet, les conditions de vie des travailleurs informels sont particulièrement difficiles et dangereuses. Leurs salaires sont souvent insuffisants pour subvenir à leurs besoins.
Certains se retrouvent dans des situations de surendettement, prenant des crédits pour pouvoir vivre. L’exploitation des ressources naturelles par les entreprises minières, en particulier celles qui n’ont pas de responsabilité sociale en matière de développement local, a également été un point de réflexion. De nombreuses entreprises minières ne respectent pas les droits des travailleurs et bénéficient d’avantages importants sans contribuer à la société locale de manière équitable et durable.
Et l’impact environnemental dans tout ça ?
Kolwezi et Lubumbashi sont confrontées à des problèmes importants liés à la déforestation et à la pollution des sols. D’une part, l’utilisation massive de bois pour la fabrication du charbon conduit à une déforestation considérable. D’autre part, l’exploitation minière a des effets nocifs sur la biodiversité, la qualité de l’air et de l’eau, ce qui entraîne des risques à long terme pour les communautés locales. La question de la transition juste apparait donc de manière cruciale mais ne doit pas se faire au détriment des droits du travail et des conditions de vie des populations locales. Une planification à long terme est donc nécessaire pour garantir que les populations locales puissent vivre de manière autonome et pérenne, même après l’épuisement potentiel des ressources minières. Les partenaires rencontrés sur place déploraient le manque de diversification des activités économiques dans la région. L’exploitation minière, bien qu’étant un moteur économique important, est loin d’être suffisante pour garantir une prospérité durable pour la population locale. L’agriculture, le maraîchage et l’élevage sont sous-développés. L’idéal serait que les autorités locales mettent en place des mesures incitatives pour les entreprises minières afin qu’elles investissent également dans des activités économiques transversales et d’autres secteurs vitaux pour l’économie locale. Une telle diversification pourrait également contribuer à réduire les tensions sociales et à garantir une plus grande autonomie alimentaire pour les populations locales. Car, dans les faits, de nombreuses entreprises minières profitent de l’exploitation des ressources naturelles sans tenir compte de l’impact environnemental et social. L’exemple des entreprises chinoises, qui importent une grande partie de leurs besoins (magasins, médecins, etc.) a été cité comme un cas où les bénéfices de l’exploitation minière ne profitent aucunement à la population locale.
Appel à la Belgique
Un des messages clés exprimés par les partenaires de WSM Afrique Centrale a été l’appel à la Belgique pour qu’elle prenne ses responsabilités dans le soutien à la RDC, en particulier en matière de justice sociale et de développement durable. La Belgique, en tant que pays ayant des liens historiques forts avec le Congo, devrait se faire le relais des revendications congolaises au niveau international et aider à faire entendre la voix de la population congolaise. En conclusion, ce voyage a permis au groupe de mieux comprendre les défis énormes auxquels la population congolaise est confrontée. Le boom minier, bien qu’il ait contribué au développement économique, a également accentué les inégalités sociales, les problèmes environnementaux et la précarité de la population congolaise. Nous nous sommes également rappelés de l’importance de la solidarité internationale pour soutenir les actions des partenaires locaux et de la nécessité d’une pression politique forte, notamment de la part des citoyens et concitoyennes belges, pour dénoncer les injustices socio-économiques et militer pour un avenir plus équitable pour le Congo.
Encore un tout grand merci à toute l’équipe WSM Afrique Centrale pour leur accueil et leur accompagnement durant tout le séjour, un merci à tous les partenaires sur place qui nous ont accordé leur attention et leur temps, merci également aux membres de l’équipe WSM Belgique pour leur travail et leurs revendications !
Shan Hsia
« Il faut penser le Congo autrement »
Monique Renard a 66 ans. Née au Burundi, elle a quitté l’Afrique à l’âge de deux ans. Quand Shan, la coordinatrice de la régionale de Verviers, a parlé à ses membres du voyage organisé par WSM (We Social Movement), cela a réveillé en elle le besoin de (re)voir le continent où elle était née et dont ses parents parlaient tant à la maison, mais aussi une envie, nécessaire, celle de se confronter aux réalités d’un pays et d’un peuple avec qui nous, les Belges, avons une histoire particulière.
Dans quel cadre as-tu eu l’opportunité de ce voyage vers le Congo ?
Je suis membre de la régionale de Verviers. Shan, la coordinatrice de la régionale, nous a présenté ce projet de voyage avec WSM et nous a parlé de son souhait de partir. Quand j’ai entendu le mot « Congo », ça a résonné en moi. Je suis née au Burundi et j’ai vécu sur ce continent jusqu’à l’âge de deux ans. Mes parents m’ont toujours énormément parlé de l’Afrique, à la maison nous suivions les actualités du Congo, du Burundi et du Rwanda. Ce voyage, c’était quelque chose d’important, entre moi et moi-même. Je me sentais capable de partir et mes enfants m’ont dit de foncer. C’était à la fois un retour aux sources et une découverte d’un pays dont on m’a parlé toute mon enfance.
Comment prépare-t-on un voyage pareil ?
C’était un vrai voyage de découverte, pas du tourisme. Nous avons eu plusieurs réunions de préparation ainsi que des visioconférences avec des membres de WSM en Afrique, notamment le responsable pour le Congo, le Burundi et le Rwanda. L’ancien président de WSM est venu nous parler de l’Afrique. J’avais peur de mon âge, de pas suivre le rythme du groupe, de tomber malade, d’être une charge pour les autres. J’ai pu en parler ouvertement avec l’équipe. Nous étions vraiment pris en charge, WSM avait très bien préparé ce séjour, que ce soit pour les vaccins, les passeports, les médicaments… j’étais en confiance. Nous étions un groupe vraiment chouette dont les plus jeunes n’avaient pas 30 ans et moi, la doyenne, j’avais 66 ans. Nous étions très soudés. Il y avait des Flamands et des Wallons. L’équipe de WSM est très chouette, cette ONG fait un travail remarquable.
Quels étaient les objectifs de ce voyage ?
D’un point de vue personnel, je voulais revoir l’Afrique, la culture africaine et ressentir la terre où je suis née. Je me suis rendu compte là-bas à quel point j’en avais vraiment besoin. L’autre objectif, c’était l’opportunité unique de découvrir un pays qui est dans une situation grave. Qui est très riche dans son sol, mais très pauvre. De voir et comprendre les effets de la colonisation. Je voulais voir de mes yeux, je voulais connaître, je voulais pouvoir en parler. Plus largement, pour le groupe, le but était de percevoir comment les Congolais vivaient la transition climatique. Mais comment appréhender l’écologie quand on ne sait pas ce que l’on va manger demain ? Nous avons rencontré des gens qui replantaient des arbres, les membres de WSM nous ont expliqué comment les Pygmées protègent et respectent la forêt équatoriale, nous avons été voir des cultures…
Nous nous sommes aussi beaucoup intéressés aux mines. En effet, au Congo le sol est rempli de produits intéressants pour l’Europe. Il y a même du pétrole ! Mais, paradoxalement, c’est ce qui fait que le Congo est très pauvre. Les multinationales se jettent sur ces matières premières et seuls quelques-uns s’enrichissent au passage. Les « creuseurs » n’y gagnent presque rien, que des miettes. Nous sommes allés à Kolwezi, la ville la plus riche du Congo. Elle est carrément construite SUR des minerais. Beaucoup de Congolais d’autres régions y viennent en pensant qu’ils vont s’enrichir en creusant. Or, ils vivent dans une pauvreté extrême, alors qu’ils marchent sur une mine d’or. Cela m’a vraiment fait penser à la ruée vers l’or aux USA.
Vous avez pu discuter de ce phénomène avec la population ?
Nous avons rencontré des gens dans les mines qui concassent des pierres pour les vendre. Nous devions aller voir des creuseurs de minerais, nous avions l’accord des autorités, mais au dernier moment un des intermédiaires a refusé qu’ils nous parlent. Nous avons quand même discuté avec des creuseurs durant notre voyage, pour comprendre qu’ils vivent dans une misère terrible. Ils font presque tout le travail à la main. Le métier est tellement pénible qu’ils se droguent avec du chanvre pour tenir le coup. Plusieurs intermédiaires s’enrichissent pendant que les travailleurs tout au bout de la chaîne n’ont presque rien. Il faut savoir que 80% de l’économie au Congo est une économie informelle. Le but de WSM est d’instaurer une sécurité sociale, des mutuelles et un syndicat pour toutes ces personnes-là, de leur donner la possibilité de prendre des initiatives concrètes pour pouvoir se défendre, pour obtenir des règles, des horaires de travail… et de lutter contre la corruption, qui est institutionnalisée au Congo. Le travail informel, le capitalisme sauvage, cela concerne aussi les motocyclistes de Kinshasa, que l’on appelle les « taxis de pauvres ».
Les motocyclistes ?
Kinshasa est une ville dans une situation dramatique. Il y a 15 millions d’habitants et rien n’est prévu pour ce nombre. Au niveau de la circulation, elle est complètement engorgée tout le temps, il faut deux heures pour faire 20 km. La ville est tellement compliquée à traverser en voiture qu’il y a énormément de mototaxis, mais eux aussi font partie de l’économie informelle et n’ont aucune protection par rapport à leur travail, ou de salaire garanti. Il y a une pollution terrible, j’ai même dû porter un voile. La saleté est catastrophique. Les gens sont très pauvres. On sent vraiment une colère de la situation à Kinshasa.
Quelles expériences positives retiens-tu ?
Le secteur qui va le moins mal, c’est celui des cultivateurs, car ils sont souvent déjà regroupés en association, ils s’entraident. Au Katanga, nous avons partagé un moment avec des femmes cultivatrices qui ont comme mantra « la victoire du sol sur le sous-sol ». Elles cultivent du maïs, replantent leurs propres graines, sans être dépendantes des sociétés comme Monsanto. J’ai vu à quel point ces femmes voulaient s’en sortir et comment elles arrivaient à vivre mieux, à maintenir la propreté de leur environnement. Ce fut un des moments les plus marquants pour moi, une expérience positive et des rencontres si riches… C’est ça, la revanche des femmes du Katanga : elles ne veulent pas creuser dans le sol, elles le cultivent ! Le sol est d’ailleurs très bon : tu plantes, il pleut, ça pousse. C’est pour ça qu’il n’y a jamais eu de famine au Congo. Mais ils ressentent la sécheresse et le réchauffement climatique. Les cultivateurs creusent des puits pour récolter de l’eau car elle arrive plus tard à la saison des pluies.
Qu’est-ce qui t’a marqué particulièrement ?
La place des femmes. Elles sont très présentes. Elles ont une grande place dans toutes les activités. Dans les mutuelles, beaucoup de médecins-conseils sont des femmes. J’ai été aussi touchée par une dame qui s’occupe d’une association pour les albinos, qui sont persécutés en Afrique pour des raisons religieuses. J’ai fait de très belles rencontres parmi toutes ces femmes, je leur ai dit de surtout continuer leur combat. Au point de vue de mon cheminement personnel, lorsque nous sommes allés à Kolwezi, je me suis retrouvée à 200 km du dernier endroit où mes parents et moi avons séjourné avant de quitter l’Afrique. J’ai découvert l’Union Minière, la grosse entreprise belge pour laquelle mon père travaillait. J’ai vu l’endroit où l’union s’est construite. J’ai parlé avec des dames qui m’ont demandé pourquoi les Belges étaient partis début des années 90 en laissant tout en plan, les bâtiments, les camions… tout est encore là. Il n’y a pas eu de transition. Depuis, ce sont les Chinois qui ont repris les activités. Et c’est très difficile pour les syndicats d’entrer dans les entreprises dirigées par les Chinois.
Quelles suites allez-vous donner à ce voyage à la régionale de Verviers ?
Nous ne savons pas encore quelle forme cela va prendre, mais il va yavoir des suites ! J’ai dit aux Congolais : « Je vais parler de vous en Europe, il faut que tout le monde sache que le Congo n’est pas ce qu’on en dit ». J’ai vraiment senti là-bas une volonté de s’en sortir, de faire autre chose, et sans guerre. Nous avons rencontré des gens qui sont devenus des amis. Leur accueil était tellement chaleureux, tellement soucieux de notre bien-être… les Belges sont leurs grands frères. Avec WSM Afrique, l’objectif est de voir ce que les deux pays peuvent faire ensemble pour améliorer la situation. Je suis une optimiste, je pense qu’il y a des Congolais qui se battent et qui vont faire changer les choses. Par contre, ils ont besoin de notre appui, par exemple en ne soutenant plus les gens qui les exploitent. Ils ont tout ce dont nous avons besoin pour que l’Europe puisse vivre à l’électricité, et eux n’en profitent pas. On a appris tellement de choses sur 15 jours ! Ce que je retiens, le message à faire passer, c’est qu’il faut absolument que nous pensions le Congo autrement.
Comment tu t’es sentie en revenant ?
Transformée. Quand je suis arrivée au Katanga, c’était comme si je rentrais chez moi. Pourtant je ne me rappelle de rien de cette époque ! Lors de ce voyage, je ne me suis jamais sentie mal à l’aise. Je n’ai jamais eu peur. Je suis heureuse d’être partie : je suis allée là où je devais aller, près du pays où je suis née. J’ai fait ce que j’avais à faire, ce dont je rêvais depuis toujours. Mes parents adoraient l’Afrique, j’ai ressenti et vécu tout ce qu’ils avaient raconté. Ce beau moment est pour toujours dans mon cœur.