– La 1e Pride de Tournai – Un moment historique
On a rarement la possibilité de vivre un jour historique. Ce fut le cas pourtant, le samedi 28 juin dernier, puisque Les Équipes Populaires du Hainaut Occidental et la JOC Wapi, soutenues par d’autres acteurs locaux1, organisaient la toute première pride (ou marche des fiertés) de Tournai. Une manifestation en couleurs, en musique et festive, mais qui délivrait un message important : la liberté d’être soi-même.
Le départ était annoncé pour 14h de la gare de Tournai. Les organisateur·rice·s estimaient que 300 personnes allaient les y rejoindre, mais sur place nous nous sommes rapidement aperçus que le rendez-vous allait susciter un engouement plus large qu’attendu au vu des participants qui affluaient sans cesse vers le point de rendez-vous. Ce qui frappe, dès mon arrivée, c’est la belle énergie qui se dégage de la foule. On sent que les personnes ont envie d’être là, de se rassembler, de faire corps dans la joie. Certains se sont, pour l’occasion, déguisés en chine-mascottes ou en majorettes, les pancartes affichent des slogans plus imaginatifs et plus drôles les uns que les autres, pour parler au final d’un sujet on ne peut plus sérieux.
C’est l’heure ! Les marcheurs et marcheuses démarrent, c’est joyeux, il y a du tambour, de la musique, des chants… la foule scande « Nous sommes fortes, nous sommes fières, féministes et radicales et en colère », « Plus chauds que les fachos ! », « Solidarité avec les peuples du monde entier » ! La couleur est annoncée : ici, l’inclusion est totale, surtout pour les personnes opprimées comme les trans, les migrants ou encore les Palestiniens. Le mot d’ordre qui voulait la marche apartisane a été respecté, seul le drapeau arc-en-ciel flotte dans le ciel bleu, hormis quelques politiques qui essayent de se faire tirer le portrait par la presse aux côtés des organisateurs alors qu’ils ont refusé en bloc les trois revendications portées par cette première pride.
Groupe Les Dur·es à Queer Tournai (Daq)
« Léo de la JOC et Clémence des Équipes Populaires ont eu l’idée, il y a un an, de rassembler des personnes LGBTQIA+ pour qu’elles aient un lieu « sécurisé » à Tournai. C’est Luc et ses amis qui m’ont dit Léa, vient c’est important et en plus on passe un bon moment et c’est comme ça que j’ai rejoint le groupe. Petit à petit, ça a pris de l’ampleur, on a ramené du monde. Je ne suis pas d’ici, je suis française, je suis là pour mes études. Trouver un groupe comme les Dur·es à Queer, ça m’a fait du bien. Nous ne sommes pas assez représentés dans cette ville. On s’est dit pourquoi pas organiser une pride et rassembler les gens et je trouvais ça génial de faire partie du mouvement. »
Pour les suivre : @daq.tournai
Pour les rejoindre : Clémence Vanhal – 0492/86.58.27 – vanhal@equipespopulaires.be
Pride qui n’a, de plus, pas été facile à mettre en place avec la Ville. Qu’importe, c’est le Jour J, la place est à la célébration de nos différences, nos individualités mais aussi de notre unité, de notre humanité. Le groupe de Tournai des Dur·es à Queer porté par les EP du Hainaut Occidental et la JOC Wapi est parvenu à se mettre d’accord sur des revendications, ce qui n’est pas toujours chose aisée dans un groupe. « Il y a vraiment une cohésion entre nous. On se voit beaucoup, on a eu l’occasion de beaucoup débattre. On a énuméré des choses qui nous paraissaient importantes pour nous et de fil en aiguille, on est arrivé à nos trois revendications », explique Léa (il, elle), qui est présente dans le groupe depuis ses débuts.
Les Dur·es à Queer demandent des formations régulières à l’inclusion des personnes LGBTQIA+2 pour les commerçant·e·s, le personnel des services publics (administrations, écoles, hôpitaux, police, transports…) et les associations locales, afin de favoriser un accueil respectueux et inclusif. Que soit menée une sensibilisation dans les écoles, pour lutter efficacement contre le harcèlement scolaire lié à l’orientation sexuelle et à l’identité de genre, via des formations spécifiques pour les élèves et le personnel enseignant. Et la création d’un symbole permanent dans la ville, témoignage visible et durable de l’engagement de Tournai envers une société inclusive et respectueuse des diversités.
Parmi les idées évoquées figurent un passage pour piétons aux couleurs arc-en-ciel ou un éclairage coloré du Beffroi. Des revendications raisonnables que la majorité en place a malheureusement toutes rejetées. Cela n’a pas empêché les manifestant·e·s de marcher fièrement dans la ville, passant par la rue Royale, le Pont et le Quai Notre Dame, les Quatre Coins Saint-Jacques, la Place Paul-Émile Janson, la Place Saint-Pierre, le Quai du Marché au Poisson, la Naïade, la rue de la Wallonie, pour arriver enfin sur la Grand-Place par le Beffroi. On sent une grande joie d’être visible aux yeux des commerçant·e·s et passant·e·s, c’est une reconnaissance, une façon de dire qu’on est là, qu’on existe. « Dans une ville comme Tournai qui est fortement de droite et qui réprime nos idées, c’est bien de tout simplement pouvoir s’afficher et vivre sans se faire juger, sans se faire critiquer alors qu’actuellement c’est compliqué », nous confie Luc (elle, il).
Les Dur·es à Queer Tournai sur la Grand-Place de Tournai
J’avance avec eux, elles, iels, enfants, jeunes, vieux et je sens la ferveur me gagner. C’est communicatif, on se laisse (em)porter par cet élan, cette force aussi de cohésion alors que le contexte est désastreux.
Au-delà des chiffres, à Tournai aussi ce n’est pas évident d’être qui on veut au grand jour. « C’est important de montrer qu’on est là. Il y a encore beaucoup d’homophobie, de transphobie à Tournai. Moi, c’est à l’école que je l’ai remarqué. Pourtant, je vais à l’école à Saint-Luc qui est une école réputée pour être assez ouverte, il n’empêche que j’ai été obligé de cacher que je suis trans parce que quand certains l’ont su dans mon ancienne classe, on m’a mis à l’écart, au cours de sport on me regardait mal, du coup je ne fais plus de sport à cause de ça, je fais du sport qu’en salle parce que je n’ai pas envie qu’on voie mes cicatrices, j’ai pas envie qu’on me pose des questions. Là je suis dans une section où personne n’est au courant, je fais en sorte de passer le plus inaperçu possible. C’est pour ça que c’est important de faire une pride parce que la vie ce n’est pas se priver d’une activité comme le sport parce qu’on a peur de se faire tabasser ou de se faire mettre à l’écart juste parce qu’on existe. Le thème c’est « Soyons visible », c’est important de montrer qu’on est là, qu’on a le droit d’exister sereinement sans avoir à se priver d’activités que tout le monde aurait le droit de faire normalement », nous rappelle Ernest (il), membre du groupe des Dur·es à Queer.
Droits LGBTQIA+ en 2025 : Tous les voyants au rouge3
Dans 72 pays, l’homosexualité reste pénalisée, parfois par la prison à vie ou la peine de mort. Les discriminations s’étendent au-delà des poursuites pénales pour le fait d’être LGBTQIA+ et peuvent inclure un accès limité aux soins de santé, des difficultés à trouver un emploi, le harcèlement au travail et bien plus encore.
Cette année quelques avancées ont eu lieu en matière de légalisation du mariage pour tous notamment en Thaïlande. Mais tous les voyants sont au rouge, de nombreux pays connaissent une vague de régression inquiétante : en Bulgarie, en Géorgie, en Italie, en Grande-Bretagne, en Russie, aux USA : Donald Trump a notamment supprimé les financements pour les écoles inclusives et interdit les traitements médicaux pour les mineurs transgenres. En Belgique, la situation aussi se dégrade : Plus d’un tiers des signalements auprès d’Unia faisant état d’actes de violence et de haine étaient liés à l’orientation sexuelle4.
Et l’Institut pour l’égalité des femmes et des hommes (IEFH) tire la sonnette d’alarme concernant les discriminations et comportements haineux en lien avec l’identité (9%) et la transition de genre (10%). Il souligne également que les personnes transgenres sont particulièrement ciblées par les discriminations au travail.
La censure progresse aussi comme en Hongrie où on a interdit les rassemblements LGBTQIA+. De manière générale, la montée des conservatismes dans le monde, l’avancée des partis d’extrême droite, les discours populistes contribuent à une montée de la haine.
« Soyons radicalement tendres ! »
Nous voilà à la Grand-Place, un endroit symboliquement chargé et c’est devant la statue de Christine de Lalaing, une femme qui a défendu Tournai des envahisseurs, que les prises de parole se succèdent avec un rappel de la date du 28 juin 1969 qui marque un moment décisif dans la lutte pour les droits LGBTQIA+.
À cette époque, aux USA, il est alors illégal d’être homosexuel ou de porter des vêtements non conformes au genre non assigné ou de se réunir dans des lieux LGBTQIA+, la police mène des raids réguliers dans les bars gays et les personnes « queer » vivent des discriminations et persécutions constantes. Au milieu de tout cela, le « Stonewall Inn », un bar gay d’un quartier alternatif de New York, devient un lieu de refuge pour les personnes queer. Dans la nuit du 28 juin 1969, la police fait une nouvelle descente dans le bar mais cette fois-ci les occupant·e·s refusent de se laisser faire, une émeute spontanée éclate. Les manifestations se poursuivront pendant presque une semaine. Les émeutes de Stonewall sont considérées comme le point de départ de l’avènement de la première pride. C’est le 1er juin 1970 que les premières « vraies » prides ont lieu pour commémorer cette révolte. Aujourd’hui encore, cette date est précieuse parce qu’elle rappelle que les droits LGBTQIA+ n’ont pas été offerts mais conquis par la lutte. Après ce rappel historique, une minute de silence a été respectée en hommage aux victimes du monde entier.
1300 participant.es
À Tournai ce samedi 28 juin, ils étaient 1300 à faire la fête tout en dénonçant les injustices dont ils sont victimes, à parcourir les rues de la ville, à ouvrir la voie vers une reconnaissance de leurs droits. « La pride, c’est une résistance aux discriminations, à la haine, aux violences. Tant qu’organiser un évènement comme celui-ci nous confrontera aux commentaires haineux sur les réseaux sociaux, aux réticences, au dédain, à l’incompréhension et à tous les obstacles que nous avons rencontrés, nous continuerons tant qu’il le faudra et on répètera qu’on ne doit rien à personne, on ne vous doit pas d’être distingués ou dignes ou esthétiques. Soyons provocants et provocantes ! Tant qu’il le faudra, à l’année prochaine ! », a conclu Clémence Vanhal, organisatrice et coordinatrice de la régionale du Hainaut Occidental des Équipes Populaires.
1. Picardie Laïque, Arc-en-ciel, le Ciep Wallonie picarde, Infor Jeunes Tournai, la Bibliothèque de Tournai.
2. Acronyme qui désigne les personnes lesbiennes, gays, bisexuelles, transgenres, queers, intersexes, asexuelles ainsi que les autres identités de genre et orientations sexuelles.
3. Olivier Arendt, « Brussels Pride 2025 de ce samedi : une année charnière, marquée par de graves reculs pour les droits LGBT dans le monde », site Internet RTBF Actu, 17 mai 2025.
4. Idem.