Théâtre-action : Elle est libre l’oie ? Y en a même qui disent qu’ils l’ont vue voler !
Une parenthèse de liberté… Assister à une pièce de théâtre-action, c’est lâcher prise, accepter que tout ne sera pas parfait, et parfois un peu « prise de tête ». Et pourtant dans Elle est libre l’Oie ? on nous en met plein la vue ou plutôt plein le coeur tellement nos émotions chavirent d’un point à l’autre. Dans cette pièce mise en scène par Céline Fourneau et Laurent Quoibion, créée et interprétée par le groupe de théâtre-action des Équipes Populaires, Les conflits de canards, tout est dans la vérité. Nadia, Nancy, Catherine, Mathieu, Thomas nous livrent ici une satire du monde de la santé qu’ils ont eux-mêmes expérimenté et se dévoilent à nous au point de nous transpercer et de nous toucher là où c’est souvent dérangeant ; le corps et la tête qui ne parviennent plus ou ne veulent plus rejoindre la course effrénée de la perfection et du « marche ou crève ».
« Des traces, des séquelles que personne ne peut voir », c’est de ça entre autres qu’il est question dans cette création. Solitude, douleur, errance médicale, manque de reconnaissance du corps et consentement dénié, incompréhension de la part des proches qui engendre un décalage et un manque cruel de réconfort. Culpabilisation des individus dans une société qui pourtant est aussi à l’origine de leur mal-être et qui les plonge dans la colère, la tristesse, le ressentiment, une impression de ne pas être à la hauteur, pas conforme. « Ce n’est qu’une question de volonté ! », « Ça ira mieux demain ! », « Vous n’avez rien, c’est dans votre tête ! », « Vous êtes une charge, un boulet, un parasite, un fléau ! », « Arrêtez de faire semblant d’avoir mal au dos, c’est de votre faute ! ». Cela peut paraitre caricatural et pourtant c’est bel et bien ce que les membres de la troupe ou leur entourage ont pu vivre.
Bienvenue à la loterie !
La pièce s’ouvre sur un jeu de piste, vertigineux, celui du patient qui peine à trouver son chemin parmi les « routes » et codes couleurs de l’hôpital. Puis vient l’attente, interminable, illustrée par le « jeu du grand spécialiste » qui joue à « Jacques a dit ». « Le grand spécialiste a dit : debout ! Le grand spécialiste a dit : levez la jambe droite ! Faites deux pas en avant ! Vous avez tous perdu ! »
On sent le sarcasme dans le jeu, l’absurde poussé à son paroxysme. Apparenté à une loterie, décrocher un rendez-vous auprès d’un médecin s’avère loufoque, déjanté mais aussi abominablement criant de vérité. Parmi les multiples moments drôles, la conversation téléphonique avec une I.A. pour prendre un rendez-vous médical est savoureuse : « Je voudrais un rendez-vous pour mon dos ! ». Et celle-ci de comprendre : « Je voudrais un rendez-vous chez ma gynéco ! ». Une évocation non sans résonance avec la numérisation des services et la diminution drastique de guichets physiques et de personnes qui font le lien.
Mais malgré la fatigue, le découragement face à un système de soins de santé déshumanisé, les rêves et les envies ne sont jamais loin : « Moi, j’ai juste envie de pouvoir rester debout tout un concert » lance plein d’espoir l’un des protagonistes, « Moi de courir dans les prés ! », « Danser ! » crie joyeusement un autre. « Et moi, que tout le monde ait des soins de qualité. Même sans argent, tu peux aller chez le dentiste de ton choix », « Je souhaite que mon corps soit plus respecté et ne pas être manipulé comme un steak ! Et que je ne sois pas assimilée à un compte en banque ! ».
Pas de bons ou mauvais citoyen·ne·s
Dans cette pièce, on sent la souffrance, le désespoir, le ras-le-bol… ils auraient pu tout abandonner mais l’appel de la parole a été le plus fort. Témoigner, dire, scander, dénoncer pour mieux se considérer, mieux se situer dans une société qui ne fait pas de cadeau dès lors qu’on n’entre pas ou plus dans le moule de la performance.
Et prendre conscience qu’on en vaut la peine, qu’il est tout à fait justifié et naturel de demander un truc tout simple : de l’empathie. Parce que oui les douleurs empêchent de pouvoir occuper la place que l’on désire, parce que personne n’a jamais souhaité ce qui lui arrive, parce que personne n’est fautif de rien à part cette société qui prône de plus en plus de « mordre sur sa chique » où l’empathie n’est plus un réflexe, parce qu’il faut du temps pour guérir, pour vivre avec, pour se reconstruire.
À l’instar des protagonistes qui par le théâtre ont rejoint une forme d’action collective, le final atterrit sur une mobilisation positive malgré les injustices vécues.
La pièce est représentative de ses créateur·rice·s, pleine d’espoir, de colère, de tristesse et d’envie de transcender leurs douleurs. Une pièce qui fait à la fois du bien et du mal et qui nous invite à retirer le masque social, à accepter nos vulnérabilités, à nous recentrer, à nous écouter. À d é c é l é r e r.
À se RASSEMBLER !
Le Pitch
Malgré diverses souffrances, peut-on encore rêver ou est-on condamné à s’enfoncer dans le cauchemar ? Nos peurs seront-elles aussi fortes qu’elles iront jusqu’à nous tétaniser ? L’humain, un animal social semblable aux oies, peut-il encore compter sur la solidarité ? L’intelligence artificielle nous rendra-t-elle service ou va-t-elle nous isoler ? Toutes ces questions et bien d’autres, les cinq acteurs vous les proposent au travers d’un dédale de routes (in)hospitalières et de parcours de vie en soins de santé.
Oscillant entre rires et larmes, ils vous emmèneront avec vos émotions sur la piste d’envol.
Un café avec la troupe Les Conflits de canards
C’est non pas à l’occasion d’un bord de scène mais au « bord » d’un café que nous nous sommes donné rendez-vous avec la troupe Les conflits de canards pour parler du parcours effectué dans le groupe des Équipes Populaires mais aussi celui qu’ils ont accompli en individuel. Même s’ils ressentent encore un stress avant de monter sur scène, ils trouvent dans le théâtre un exutoire, une forme de libération, pour eux et peut-être pour les autres. Rencontre.
Quels sont les thèmes évoqués dans la pièce ?
La douleur physique et psychologique, tout en mettant en avant l’importance de l’entraide communautaire.
Pourquoi le théâtre ?
En utilisant nos récits de vie, on a pu s’exprimer et partager nos expériences de souffrance. La créativité est une voie de résilience. Les ateliers de théâtre peuvent également créer des connexions entre les participants mais aussi avec l’actualité politique qui les impacte.
Quel est le message que vous voulez faire passer dans la pièce ?
Au travers de nos représentations, on encourage à prendre conscience des enjeux liés à l’injustice sociale en matière de santé. On pense que transformer la douleur en force est un message puissant, qu’il peut inciter à l’action et à la solidarité. Qu’avoir des sensibilités, des manques d’énergie, des problèmes de santé qui vous empêchent de fonctionner correctement ou comme la société voudrait, ce n’est pas quelque chose que l’on veut ou que l’on mime, ce sont des réalités avec lesquelles nous devons composer. Cette pièce parle aussi d’espoir d’un avenir où chacun se sentirait soutenu et valorisé dans un environnement plus empathique et compréhensif.
Après les différentes étapes qui vous ont menés à aujourd’hui, quel est votre ressenti ?
Mathieu : Je suis fier du travail réalisé et ça me donne envie de continuer, de montrer la pièce à d’autres.
Nancy : C’est aussi le plaisir de se retrouver, le dépassement de soi et puis parler a un effet de guérison.
Thomas : C’est une sacrée épreuve pour moi, aussi un dépassement de soi. Mais aussi faire la connaissance de nouvelles personnes, se dire je l’ai fait, ils l’ont fait !
Catherine : Au début, j’avais la boule au ventre mais avec eux, ça s’en va !
Mathieu : Pour moi, ce projet c’est aussi retrouver des amis chaque soir, se sentir à l’aise de parler de tout et aussi de pouvoir rire de tout. Chaque fois que je regarde l’heure le lundi soir, je me dis chouette, on va encore s’amuser et à chaque fois je rentre épanoui.
Comment on dépasse sa situation personnelle et on ose en parler devant un public ?
Mathieu : C’est parce qu’on a confiance. La confiance en soi, mais aussi en ses partenaires. Quand on commence à se connaitre et qu’on se dit « tu peux faire confiance autour », c’est à ce moment-là qu’on peut se livrer.
Nadia : Je faisais du théâtre depuis 2018 à Ciney, mais cela s’est arrêté. J’étais contente d’apprendre qu’il y allait avoir des cours à Ciney. Je n’avais pas conscience de ce que ça recouvrait exactement.
Nancy : Le fait d’arriver à parler de nos douleurs, c’est aussi grâce aux animateurs (Céline et Laurent) qui ont organisé l’espace pour que cela soit possible. On était par deux au départ, on n’a pas dû directement en faire part au groupe. Ça nous a permis de tisser des liens et après on s’est ouvert aux autres. On dit souvent que parler de ses douleurs, c’est une catharsis, ben moi je ne trouve pas ! On n’oublie pas, c’est difficile, le « tout va aller mieux » parce que tu as réussi telle chose, très peu pour moi !
Quand vous êtes sur scène, vous êtes ailleurs, vous oubliez la situation ?
Nancy : Quand je dis catharsis, c’est pour moi oublier son problème, qu’il soit derrière nous à tout jamais. Mais effectivement, on en a tellement parlé dans le groupe qu’on n’est plus avec l’émotion de la douleur. On part de sa situation, on arrive à prendre du recul pour le jouer sur scène mais ce n’est pas pour ça que dans le quotidien, cette douleur-là n’est plus là. La complicité qu’on peut avoir avec les autres est aussi un grand plaisir. Le plaisir de jouer, de se dépasser n’a plus grand-chose à voir avec la douleur. C’est vraiment une parenthèse pour moi aussi le moment où je suis avec eux sur scène.
Catherine : Je fais partie comme Mathieu d’un centre pour jeunes adultes en situation de handicap (SLS1) et c’est ma référente qui m’a proposé de faire du théâtre-action. Avant ce groupe, j’ai approché la scène d’une autre manière puisque j’étais seule en scène et je créais tout de A à Z et deux personnes m’ont rejointes par la suite. J’ai livré beaucoup de choses sur moi, c’était fort intense (émue). J’adore la cohésion que j’ai avec les autres. J’ai su parler de moi-même grâce à ce groupe de théâtre. Quand je suis en train de jouer, c’est un moment où je peux me détacher de tout. C’est un moment où j’oublie le reste. C’est précieux, tu oublies tout ce qui se passe en dehors, c’est vrai que ça te rattrape par après mais voilà…
Le groupe, c’est important pour vous ?
Catherine : C’est très différent de ce que je faisais avant, j’adore. Là tu es secondée par les autres, tu es encouragée par les autres. Toute seule, ce n’est pas toujours évident.
Nadia : Toute seule je n’oserais pas… J’ai du mal à retenir mon texte, heureusement qu’ils sont là, ça me donne confiance. Nancy m’aide beaucoup, me rassure. Les autres aussi et Céline, l’animatrice, énormément. Les jours de représentation, c’est très stressant pour moi. Je me suis toujours dit que ce serait dur mais j’ai toujours voulu faire du théâtre parce que ma maman en faisait aussi.
Laurent (animateur) : Au début pour Nadia, c’était extrêmement difficile de parler pendant les exercices d’impro et maintenant elle est à l’aise.
Nancy : Chacun, tout seul, on n’y serait pas arrivé… Ça fait un an et demi qu’on travaille ensemble. Le groupe nous a appris à apprécier les différences des uns et des autres. Nous sommes très différents, si on s’était croisé dans la rue sans se connaitre, je ne pense pas qu’on serait devenus amis.
Nadia : Heureusement que je les ai !
Le mot de la fin ?
Nancy : Petit message à notre gouvernement : La culture est essentielle !
1. Les services de logements supervisés (SLS) s’adressent à des jeunes à partir de 16 ans et à des adultes qui présentent un handicap mental et un certain niveau d’autonomie.