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Retour de l’ar­pen­tage du mois de mai : Pourquoi les narra­tifs de gauche ne touchent-ils plus les classes popu­laires ?

Des paroles, des paroles, des paro­­­­­les… qui ne nous parlent plus. 

Les narra­­­­­tifs, récits, histoires, messages et autres contes sont des outils puis­­­­­sants.

Mais, comme le dit l’adage dans la pop culture :

« Un grand pouvoir implique de grandes respon­­­­­sa­­­­­bi­­­­­li­­­­­tés. » 

Ce pouvoir de resti­­­­­tu­­­­­tion a été divisé par les membres du groupe arpen­­­­­tage. On a essayé de comprendre pourquoi les discours de gauche ne passent plus chez beau­­­­­coup de monde, surtout dans les classes popu­­­­­laires.

Voici un résumé de ce qui est ressorti de nos échanges.

 

Sarah : Où la gauche a-t-elle failli ? 

Même le bastion histo­­­­­rique de Verviers a basculé à droite. Le profil majo­­­­­ri­­­­­tai­­­­­re­­­­­ment défiant des élec­­­­­teurs popu­­­­­laires ne joue plus collec­­­­­tif. La stig­­­­­ma­­­­­ti­­­­­sa­­­­­tion de ce qui est diffé­rent devient la norme, l’ex­­­­­clu­­­­­sion des mino­­­­­ri­­­­­tés aussi. 

La gauche, en Wallo­­­­­nie, s’est sentie à l’abri. Pour­­­­­tant, les signaux d’alerte exis­­­­­taient : le débat autour de l’EVRAS, par exemple, aurait dû éveiller les consciences. Mais il s’est soldé par un message : « Circu­­­­­lez, il n’y a rien à débattre. » 

Les élec­­­­­teurs qui décrochent de la gauche ne forment pas un bloc homo­­­­­gène. Néan­­­­­moins, on observe un glis­­­­­se­­­­­ment impor­­­­­tant chez des personnes blanches, inquiètes d’un déclas­­­­­se­­­­­ment social et écono­­­­­mique. Sarah conclut : 

« Cela rejoint mes propres obser­­­­­va­­­­­tions. Cette lecture m’aide à réor­­­­­ga­­­­­ni­­­­­ser mes réflexions. » 

Sabine : La fin du collec­­­­­tif 

Sabine enchaîne sur la désin­­­­­té­­­­­gra­­­­­tion des classes popu­­­­­laires et de l’es­­­­­prit collec­­­­­tif. 

Autre­­­­­fois, il exis­­­­­tait de nombreux lieux d’échange permet­­­­­tant de vivre des expé­­­­­riences communes. Cela donnait à chacun la légi­­­­­ti­­­­­mité de défendre ses idées, car il parlait au nom d’un groupe.
Aujourd’­­­­­hui, notre rapport au travail a changé. Les acquis sociaux, nés de luttes popu­­­­­laires, ont été insti­­­­­tu­­­­­tion­­­­­na­­­­­li­­­­­sés. Les services publics, deve­­­­­nus complexes et admi­­­­­nis­­­­­tra­­­­­tifs, se sont décon­­­­­nec­­­­­tés des réali­­­­­tés du terrain. 

Par ailleurs, notre société a glissé du collec­­­­­tif vers l’in­­­­­di­­­­­vi­­­­­dua­­­­­lisme, le consu­mé­risme au nom du capi­­­­­ta­­­­­lisme. L’ac­­­­­cu­­­­­mu­­­­­la­­­­­tion de bien isole. 

Il n’y a pas eu de proces­­­­­sus poli­­­­­tique ou de débats, notam­­­­­ment dans les classes moyennes, les déci­­­­­sions se sont impo­­­­­sées. A défaut des classes ouvrières qui avait créé collec­­­­­ti­­­­­ve­­­­­ment une vision, une direc­­­­­tion vers où aller… 

Aujourd’­­­­­hui, les « aidants poli­­­­­tiques », souvent issus des élites progres­­­­­sistes, s’op­­­­­posent par leur statut à la classe popu­­­­­laire. Trop bien instal­­­­­lés, ils ne connaissent pas de véri­­­­­tables contraintes de vie, si ce n’est la gestion d’ur­­­­­gences abstraites au nom de la démo­­­­­cra­­­­­tie. Il n’y a plus de lutte commune. Une frac­­­­­ture sociale sépare l’ai­­­­­dant de l’aidé. 

Et la droite popu­­­­­liste exploite cette faille avec des récits simples et percu­­­­­tants. 

Sabine partage un senti­­­­­ment d’im­­­­­puis­­­­­sance. 

Danielle : Des récits froids contre des récits chauds 

Danielle illustre la diffé­­­­­rence entre les narra­­­­­tifs froids (intel­­­­­lec­­­­­tuels) et les narra­­­­­tifs chauds (émotion­­­­­nels, venant des tripes). Les classes popu­­­­­laires ressentent une infé­­­­­rio­­­­­rité face à ceux qui ont étudié, qui utilisent un langage complexe pour viser la justesse. 

« Les classes popu­­­­­laires cherchent de l’émo­­­­­tion, pas des leçons de morale. » 

Prenons l’exemple des migrants : 

  • La droite dit simple­­­­­ment : « On ne peut pas accueillir toute la misère du monde. » 
  • La gauche répond : « Ce sont des personnes contraintes de fuir leur pays pour des raisons géopo­­­­­li­­­­­tiques, clima­­­­­tiques… » 

Mais ce discours complexe et nuancé perd la bataille. La droite répète inlas­­­­­sa­­­­­ble­­­­­ment le même slogan, qui finit par s’an­­­­­crer. 

Danielle insiste : 

« La poli­­­­­tique est une affaire d’émo­­­­­tion, pas seule­­­­­ment de réflexion. » 

Notre éduca­­­­­tion joue aussi : des familles strictes ont plus tendance à adop­­­­­ter des idéo­­­­­lo­­­­­gies conser­­­­­va­­­­­trices, tandis que des familles déve­­­­­lop­­­­­pant l’em­­­­­pa­­­­­thie s’orien­­­­­te­­­­­ront vers des visions progres­­­­­sistes. 

Pour elle, la gauche se défend, elle ne propose plus de récit mobi­­­­­li­­­­­sa­­­­­teur. Elle répond aux attaques en se justi­­­­­fiant, avec des argu­­­­­ments justes, mais désin­­­­­car­­­­­nés. Résul­­­­­tat : elle donne de la visi­­­­­bi­­­­­lité et du pouvoir à une droite décom­­­­­plexée. 

La récu­­­­­pé­­­­­ra­­­­­tion de la droite du senti­­­­­ment de peur, notam­­­­­ment celle liée à l’im­­­­­mi­­­­­gra­­­­­tion ou à la préca­­­­­rité, est plus effi­­­­­cace qu’un discours complexe. La gauche parle de niches, de mino­­­­­ri­­­­­tés, et perd sa capa­­­­­cité à mobi­­­­­li­­­­­ser large­­­­­ment. 

Peter inter­­­­­­­­­vient : « Nous sommes bombar­­­­­dés d’in­­­­­fos, de publi­­­­­ci­­­­­tés qui nous imposent une idée du bonheur. » 

Johann : Ce n’est pas un combat d’idées, mais de commu­­­­­ni­­­­­ca­­­­­tion 

Selon Joyan, la droite propose un message simple, basé sur une logique de cause à effet. La gauche, elle, déve­­­­­loppe des expli­­­­­ca­­­­­tions systé­­­­­miques, longues à comprendre. Ce déca­­­­­lage la coupe de sa base et l’éloigne du terrain. 

« Nous vivons un para­­­­­doxe : la gauche utilise les réseaux sociaux pour se rappro­­­­­cher, mais nous n’avons jamais été aussi seuls. » 

Autre­­­­­fois, nous faisions groupe. Pas besoin de leader. Aujourd’­­­­­hui, nous sommes deve­­­­­nus des suiveurs. 

« La droite ne rassemble pas : elle réunit derrière elle. » 

Il termine par “La gauche, de son côté, est souvent dans l’évi­­­­­te­­­­­ment ou le déni face aux problèmes.” 

Peter : Recréer un récit 

Peter insiste : 

« La gauche doit créer son propre récit au lieu de répondre à celui de la droite, qui joue sur le circuit court émotion­­­­­nel. »
Il faut refor­­­­­mu­­­­­ler un cadre moral progres­­­­­siste. Réin­­­­­ter­­­­­pré­­­­­ter le droit social comme une sécu­­­­­rité pour tous. Passer du « je » au « nous ».
Cela passe par la réou­­­­­ver­­­­­ture de lieux communs, la créa­­­­­tion d’ex­­­­­pé­­­­­riences collec­­­­­tives, le dépas­­­­­se­­­­­ment de l’entre-soi et la réou­­­­­ver­­­­­ture des débats. 

Peter partage une expé­­­­­rience person­­­­­nelle : 

« J’ai été méde­­­­­cin et dans un grand confort, mais souvent en conflit avec mes pairs, il y avait beau­­­­­coup de dispute. Aujourd’­­­­­hui, je fréquente le monde popu­­­­­laire, et cela me procure de la joie. Il faut rencon­­­­­trer tout le monde : migrants, personnes en situa­­­­­tion de handi­­­­­cap… C’est telle­­­­­ment joyeux. Parlons des choses du quoti­­­­­dien pour créer des liens, de l’aide, provoquons des rencontres spon­­­­­ta­­­­­nées. C’est ainsi qu’on sortira de la pola­­­­­ri­­­­­sa­­­­­tion. » 

Mari­­­­­nette : Une valeur fédé­­­­­ra­­­­­trice 

Pour conclure, Mari­­­­­nette résume ainsi sa lecture : 

« La gauche n’ar­­­­­rive pas à s’ac­­­­­cor­­­­­der sur des valeurs communes, un fil rouge simple et concret qui parle­­­­­rait à tous. Pour­­­­­tant, il suffi­­­­­rait peut-être de reve­­­­­nir à une idée simple : le respect de la dignité de chacun. » 

Prochain arpen­­­­­tage le 11 juin 

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