Arpentage vidéo – Amandine Galima : Conseil, éveil : itinérance de militance
C’était une première : nous avons choisi d’arpenter non pas un livre, mais une capsule vidéo. Cette proposition, venue d’une participante, prolongeait nos échanges de juin autour d’une question centrale : qu’est-ce que militer aujourd’hui ?
Fatigue, manque de sens, faiblesse de l’implication collective, tensions internes aux mouvements… autant de nœuds qui traversent les parcours militants.
Nous n’étions pas dans un ciné-débat, mais bien dans un débat-ciné.
La vidéo n’était qu’un déclencheur, la discussion le véritable cœur de la rencontre.
Pour bien entrer dans la richesse des échanges, nous vous invitons à visionner la capsule vidéo. Ici
Voici quelques questions qui ont guidé notre réflexion :
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Qu’est-ce qui, dans la vidéo, a résonné avec votre parcours ou vos expériences militantes ?
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Comment identifiez-vous votre manière de militer ?
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Quelles pistes vous inspirent pour l’avenir ?
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Faut-il venir d’un milieu “instruit” pour militer ?
Quand les expériences résonnent avec le témoignage d’Amandine Galima
Dès les premiers échanges, un constat s’est imposé : la militance s’ancre souvent dans le vécu personnel, dans une faille ou une insatisfaction profonde.
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Linda : « C’est dingue, ce sont toujours les femmes qui dynamisent le monde ! »
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Marinette : « On ne bouge pas de la même façon que les hommes… »
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Corine, évoque son propre parcours: « J’avais tout, mais il me manquait l’essentiel. Quand j’ai choisi de lâcher, la société m’a jugée inutile. Mes enfants entendaient : “Ta maman ne s’ennuie pas ?”. Nous ne sommes plus libres de nos choix. Le modèle capitaliste nous enferme. »
Ces prises de parole ouvrent sur des tensions fortes : la place des femmes, la reconnaissance invisible du travail domestique, la difficulté à s’affirmer hors des cadres sociaux et économiques dominants.
La militance, un mot aux contours flous
Un fil de discussion a porté sur ce qui peut être appelé « militance » :
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Linda défend une militance discrète, presque intime : « Je suis militante sans le savoir, par ma façon de prendre soin des relations humaines, en cohérence avec mes valeurs. »
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Marinette objecte : « Pour moi, ça ne rayonne pas. Militer, c’est prendre des risques, affronter, aller à contre-courant. »
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Corine cite Arthur Keller, dont le style de vie contredit son discours, mais qui agit dans l’urgence pour toucher un maximum de personnes.
Cette discussion illustre une tension majeure : la militance doit-elle être visible, publique, héroïque ? Ou peut-elle aussi être discrète, quotidienne, presque silencieuse ?
La question de la désobéissance civile est apparue : faut-il refuser certains droits, comme la carte d’identité, pour marquer une rupture ?
Corine ajoute :
« Ce n’est pas être pour ni contre. C’est tendre vers du collectif, inventer autre chose. »
Le rapport au politique : entre frustration et résistance
L’arpentage a mis en lumière un sentiment partagé : les institutions enferment plus qu’elles n’ouvrent.
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Marinette :
« Les procédures sont si compliquées. Même pour une rencontre communale, il faut demander audience, et les réponses sont préparées à l’avance. Impossible de débattre vraiment le jour J ! » -
« Sommes-nous encore en démocratie ? La démocratie est-elle un leurre ? », interroge Linda.
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« Nous ne sommes pas dans un pays totalitaire », rappelle Marinette.
- Corine :
« Comment sortir de la binarité pour/contre ? Où trouver d’autres sources d’infos, sortir de notre zone de confort, rencontrer d’autres opinions ? Comment rassembler plus largement ? »
Cette tension entre illusion démocratique et libertés réelles, nourrit à la fois colère, doute et volonté de trouver d’autres voies.
Fédérer malgré les fractures
Comment rassembler, créer du commun ?
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Françoise : « Nous avons une responsabilité de fédérer et de lancer des projets. »
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Linda : « Souvent, ce sont les grandes catastrophes qui rassemblent. »
Mais dans la pratique, ce sont « toujours les mêmes » qui viennent. Certaines populations vivent des violences invisibles qui les éloignent, d’autres doutent de leur légitimité à agir en tant que citoyens. La question de l’inclusion est revenue : comment aller chercher celles et ceux qui ne se sentent pas concernés ? Par quels médiateurs ?
L’usure militante
Un autre fil rouge est apparu : l’épuisement.
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« Montrez-moi que j’ai tort de militer pour l’avenir », dit l’une afin d’ouvrir le débat, l’échange avec ceux qui ne pensent pas comme elle.
« Le numérique nous divise, nous déshumanise » -
« Avant, le village s’occupait collectivement des enfants. Aujourd’hui, cette solidarité a disparu. »
La militance apparaît à la fois comme une nécessité vitale et une source d’usure.
« Ma militance aujourd’hui »
En conclusion, chacune a formulé ce que représente pour elle l’engagement :
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Linda : « Rester dans la paix pour pouvoir échanger. »
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Corine : « Œuvrer pour la collectivité. »
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Françoise : « Vivre simplement en accord avec mes valeurs, et m’investir quand ça m’appelle. »
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Marinette : « Vivre des choix, se rassembler, échanger. »
Une militance plurielle et imparfaite
Cet arpentage a mis en lumière la richesse et la pluralité des formes de militance : discrète ou visible, quotidienne ou exceptionnelle, dans l’opposition ou dans la construction.
Il a aussi révélé ses contradictions :
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entre engagement intime et action publique,
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entre démocratie réelle et façade institutionnelle,
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entre nécessité de rassembler et difficulté à inclure,
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entre espoir et épuisement.
Militer, c’est moins incarner un modèle unique que chercher, ensemble, des manières d’habiter le monde différemment, malgré les limites et les tensions.
Conclusion : entre énergie et manques, une expérience à renouveler
Cet arpentage inédit autour d’une capsule vidéo a permis de mettre en lumière la pluralité des formes de militance, leurs contradictions et leurs tensions. Pour certaines, l’expérience a été galvanisante : elles sont reparties avec une énergie nouvelle, nourries par la force du collectif et la résonance des échanges.
Pour d’autres, il a manqué quelque chose : le support d’un texte écrit, comme un livre, qui offre une densité et une profondeur différentes. Le format vidéo a stimulé le débat, mais a laissé le sentiment que « le livre arpenter » donne un supplément, un socle sur lequel s’appuyer.
De manière unanime, le groupe a décidé de prolonger l’expérience : refaire un arpentage à partir d’une capsule vidéo, puis, d’explorer aussi des articles. Car si le livre reste une ressource précieuse, cette formule plus légère a ouvert de nouveaux horizons. Elle a surtout confirmé que, dans l’arpentage, ce n’est pas le support qui prime, mais la qualité du débat et la richesse du partage.
Si cet article vous a parlé, intrigué ou donné envie d’échanger, venez nous rejoindre ! Nos rencontres sont ouvertes à toutes et tous, sans inscription et sans obligation de présence régulière. L’ambiance y est conviviale, et chacun·e y a sa place pour dire, penser et partager.