Bienvenue à Sanz’impoland !
18 octobre dernier, place de la Monnaie, Bruxelles. Une bâche colorée de 16 m² s’étale devant des passants étonnés. Certains ralentissent, d’autres s’arrêtent, intrigués. Nous les invitons alors à poser le pied sur cet énorme plateau de jeu qui rappelle le Monopoly et à passer quelques minutes avec nous à « Sanz’impoland ». Sanz’impoland est un pays merveilleux où l’impôt n’existe pas.

Un endroit où notre salaire net est à l’euro près le même que notre salaire brut. Un monde où l’État ne taxe pas, ne nous « vole pas notre argent », où nous ne travaillons pas pour les autres… mais un monde, aussi, où personne ne travaille pour nous et où nous devons assumer, seul, chaque petit couac de la vie. Où la solidarité avec les plus faibles a disparu, et où nous ne mutualisons plus nos forces les uns avec les autres. Sanz’impoland, société idéale ou fausse bonne idée ? Voyons cela.
Le premier participant se place sur la case départ et reçoit 4000 euros (en faux billets, évidemment). Cette somme correspond au salaire moyen brut en Belgique. Le joueur lance le dé et avance du nombre de cases équivalent au résultat, afin de savoir quelles surprises de la vie l’attendent. Et elles ne sont pas très agréables ! Entre l’abonnement auprès d’une société privée pour le ramassage des poubelles, l’année scolaire au prix coûtant, le billet de train plein tarif et les soins médicaux sans sécurité sociale, le salaire fond comme neige au soleil. Certaines cases vous permettent de glaner quelques billets grâce à des flexi-jobs, mais c’est finalement beaucoup d’énergie pour peu de recettes et à la fin du mois il ne reste rien pour remplir le frigo ou payer le loyer. Banqueroute pour tout le monde, sauf pour les chanceux qui auront fait un double six sur la dernière case, synonyme d’héritage ou de gains tombés du ciel, ce qui n’arrive pas si souvent (en tout cas, aucun de nos participants ce samedi 18 octobre n’a eu cette chance). Sans l’existence des contributions, chacun des droits de nos participants (enseignement santé, propreté publique, aide des pompiers…) s’est transformé en transaction commerciale et en facture. Notre jeu « Sanz’impoland » avait un but : celui de provoquer des discussions sur la base de la question : « Pour vous, l’impôt, est-ce du vol ? »
L’impôt, moi je trouve que c’est bien, mais encore faut-il qu’il soit utilisé pour le bien de la société.
L’impôt, on l’aime un peu, beaucoup ou pas du tout ?
À entendre certains, TOUT LE MONDE déteste l’impôt. Peu de gens le voient spontanément comme une contribution positive, un acte de solidarité envers la collectivité. Pour la majorité des Belges, il s’agit surtout d’une somme d’argent que l’État prélève.
Dans les esprits, payer des impôts revient à perdre de l’argent, et non à recevoir quelque chose (soins, infrastructures, enseignement, sécurité…). Pourtant, ce samedi place de la Monnaie, nous avons entendu une majorité de discours qui soutiennent le principe des contributions et qui sont solidaires du système.
Que l’on taxe les politiciens et les riches… c’est là qu’il faut puiser… pas dans les poches des concitoyens qui sont déjà bien assez taxés.
Là où il y a débat, c’est plutôt sur la manière dont les contributions sont aujourd’hui prélevées et réparties : certains ne payent pas assez d’impôt d’une part, d’autre part le type de dépense est questionné (l’achat d’armes notamment). Lorsque l’on parle des impôts avec les passants, beaucoup évoquent spontanément les postes du chômage ou des maladies de longue durée. Ils pensent, à tort, que ce sont ces dépenses-là qui grèvent le budget, surtout parce que les discours du gouvernement actuel, culpabilisant les plus faibles, percole trop bien dans la population. Or, tout le monde paye des impôts (notamment via la TVA quand nous effectuons des achats) et tout le monde bénéficie des services publics, rendus possibles par les contributions. Ce n’est donc pas « pour les autres » que nous travaillons mais bien pour tout le monde et donc pour nous-même aussi. C’est pourquoi le système de l’impôt est si important.
Moi, à propos des impôts, j’ai un point de vue ferme et définitif. Je suis solidaire, je contribue.
Sur notre stand, un citoyen témoigne : « Je suis de nationalité hongroise et, depuis que je suis en Belgique, j’ai toujours travaillé mais au noir car je n’arrivais à obtenir que ce type de boulot. Il ne m’était pas possible d’avoir des boulots déclarés. J’ai pris tout ce qui se présentait à moi, je voulais vraiment travailler. Et aujourd’hui, je n’ai pas droit à la pension et je dois compter sur mon fils pour ne pas être à la rue ». Dans notre jeu Sanz’impoland, une case permet aux joueurs de gagner un peu d’argent, en ramassant des déchets avec une pince adéquate.
Mais tous les participants n’ont pas réussi à manier l’objet de la même façon ! Cela montre que nous ne sommes pas tous égaux devant le monde du travail, et qu’on ne peut accepter n’importe quel job, comme l’analyse un des participants à notre jeu : « Vivre du chômage ne devrait pas être une option, tout le monde doit travailler, mais trouver du travail n’est pas quelque chose de facile, ça demande du temps et aussi d’être aidé ».
Je suis d’accord avec l’impôt, tant que ça va aux gens, pas aux institutions politiques.
Vive l’impôt !
Cette présence dans l’espace public, ce fut l’occasion de remettre en lumière tous les autres secteurs que nos impôts financent : un enseignement accessible, des transports en commun, des plaines de jeux pour les enfants, des cinémas à prix abordable… Car à force de diaboliser l’impôt, le contribuable oublie que sans ce système, la qualité de vie de notre pays prendrait un sacré coup.
Parmi les défenseurs de l’impôt de passage sur notre stand de sensibilisation, un jeune homme d’origine espagnole soutient notre démarche. Après avoir chanté « Con dinero y sin dinero » à notre karaoké spécial impôt, une chanson qui dit que ce n’est pas
l’argent qui rend heureux, il nous explique à quel point payer des impôts est important : « C’est simple, j’ai vu le système en Inde où y’a pas de sécu. Tu peux mourir dans la rue. Je vois dans mon pays en Espagne où on est couverts peu importe ce qui arrive.
Ce qui serait bien, c’est de voir clairement à quoi servent les impôts, le financement des armes ce n’est pas éthique par exemple.
Je paye mes impôts avec plaisir, c’est sûr ». Alors oui, quelques personnes avec qui nous avons échangé étaient fondamentalement contre, pensent pouvoir s’en sortir mieux dans un système où tout est privatisé. Mais celles-ci étaient peu nombreuses au regard de ceux qui nous ont encouragé dans notre campagne. Quoi qu’il en soit, il est temps de remettre l’impôt au centre des débats, certes, mais certainement pas en déformant la réalité et en omettant d’expliciter tout ce que le système d’imposition permet.
Vive l’impôt juste et solidaire ! Hélas à l’opposé des mesures mises en place par le gouvernement Arizona.
Le remettre en question, oui, mais uniquement dans une perspective d’augmentation de sa justice sociale, de sa progressivité, dans une perspective de réduction des inégalités (par le haut et par le bas), pour construire une société robuste face aux enjeux écologiques, climatiques, sociaux d’aujourd’hui et de demain.
N.B. Tous les témoignages sont issus de nos échanges avec les passant.es