Démocratie: un peu, beaucoup, à la folie… Pas du tout ? (Contrastes Novembre-Décembre 2020)
Adieu la démocratie ?
(La revue est téléchargeable en bas de page.)
« On ne vit plus en démocratie ! » Cette affirmation s’entend de plus en plus dans les conversations privées, dans les débats publics et sur les réseaux sociaux.
Et pourtant, nous élisons nos représentants aux différents niveaux de pouvoir et les assemblées sont le reflet des choix des citoyens. Dans les parlements et même parfois à la tête de certains pays, on rencontre aujourd’hui des élus présentés comme antisystèmes alors que, la plupart du temps, ces responsables sont totalement intégrés au système économique et social. A côté de la montée des populismes se développe de plus en plus le phénomène du complotisme, abordé dans plusieurs articles dont l’interview d’Edgar Szoc.
Pour certains, le grand complot est partout… et la crise du Covid-19 a accentué ce phénomène. Mais comme le souligne Guillaume Lohest dans un article un peu provocant, les attitudes complotistes ont des points communs avec la démarche d’éducation permanente (esprit critique, adversaires communs par exemple) qu’il est intéressant d’analyser pour créer des ponts et des espaces de vigilance.
Snober ces phénomènes, ne pas entendre les questions et parfois aussi le désarroi qu’il y a derrière, c’est non seulement mépriser les personnes qui défendent ces positions, c’est aussi risquer d’étouffer la culture du débat et refuser la complexité, qui sont des fondements de la démocratie.
Défendre la démocratie, ce n’est pas prétendre que le système est parfait. Au contraire, c’est pouvoir le bousculer pour dénoncer les faiblesses et les failles, comme le font les personnes rencontrées par Laurence Delperdange. On ne peut résumer la démocratie au droit de vote ; c’est le souhait exprimé par de plus en plus de citoyens qui sont tout aussi attachés à vivre dans un Etat de droit qui respecte les libertés fondamentales et permet une participation plus réelle des citoyens dans le débat public.
Les élections américaines nous ont amenés inévitablement à nous poser des questions sur la démocratie aux Etats-Unis mais aussi chez nous. Comme le souligne Monique Van Dieren, ce pays souvent présenté comme « la plus grande démocratie du monde » est plutôt devenu depuis l’élection de Trump en 2016 « le plus grand pays populiste du monde ». Il a montré plus que jamais les failles de son système électoral et institutionnel. De plus, la protection sociale y est rudimentaire et les dérapages policiers y sont nombreux… comme en France, ces derniers mois.
Une démocratie ne se mesure pas exclusivement au fonctionnement de ses institutions mais de façon plus fondamentale à sa capacité de répondre aux enjeux majeurs vécus par la population et à celle du dialogue avec les groupes qui la composent. Les intérêts des groupes sociaux peuvent être divergents, voire antagonistes et faire l’objet de rapports de force. Quelle est la capacité du pouvoir politique d’en tenir compte et d’assurer les arbitrages nécessaires qui nécessitent d’imaginer des mesures permettant une plus grande égalité et un accroissement de la justice sociale ?
Si beaucoup disent que la démocratie est malade, il ne suffit pas de l’affirmer. Il faut pouvoir établir un diagnostic précis mais aussi développer des vaccins et remèdes. Des vaccins pour prévenir les dérives, et des médicaments pour qu’elle retrouve une capacité de réponse aux enjeux de société et aux réalités vécues par les citoyens.
Paul Blanjean
SOMMAIRE
ENTRE ORDRE ET DÉSORDRE, NOS DÉMOCRATIES VACILLENT-ELLES ? (P.3–6)
Le mot démocratie n’a jamais fait couler autant d’encre et alimenté autant d’émissions que ces dernières semaines. Les élections américaines et le surprenant refus du futur ex-président des USA de quitter le pouvoir nous amène à nous interroger sur l’adéquation de notre système démocratique avec la définition que l’on s’en fait. Contrastes a choisi d’entamer son dossier en donnant la parole à quelques citoyen·ne·s sur une série de questions qui traversent aujourd’hui nos sociétés démocratiques.
LE CLASH, OU LE CONTRAIRE DU DÉBAT DÉMOCRATIQUE (P.7–9)
Donald Trump a popularisé une manière de gouverner par le tweet. Mais n’est-ce pas l’ensemble de la communication politique qui est contaminé par la culture du clash, de la phrase-choc, des opinions binaires et agressives ? Comment comprendre ce phénomène ? Cet article s’appuie notamment sur les analyses de Christian Salmon.
LE TRUMPISME A ENCORE DE BEAUX JOURS DEVANT LUI (P.10–12)
Les élections américaines, avec leur lot de rebondissements, nous ont amenés inévitablement à nous poser des questions sur la démocratie aux USA et chez nous. Le concept de « démocratie à l’occidentale » est-il devenu dépassé ? Les multiples et surprenants rebondissements dans le cadre des élections aux USA nous laissent à penser que ce n’est plus « la plus grande démocratie du monde », comme on l’entend souvent dire. Quelques éléments de réflexion, grâce à la précieuse collaboration de Jean-Paul Marthoz, ancien journaliste au journal Le Soir et spécialiste des Etats-Unis.
LE COMPLOT : UNE RÉPONSE À DES QUESTIONS… SANS RÉPONSES ? (P.13–16)
Edgar Szoc est économiste et romaniste. Il livre régulièrement ses chroniques sur La Première RTBF dans l’émission « C’est presque sérieux ». Il est l’auteur de l’ouvrage Inspirez, conspirez : le complotisme au XXIe siècle, paru aux Editions La Muette en février 2017.
LES LIENS DU SENS : QUATRE « CHECKPOINTS » ENTRE LE STYLE COMPLOTISTE ET L’ÉDUCATION PERMANENTE (P.17–20)
Dans le milieu associatif, on est souvent un peu gêné quand il est question du complotisme. On n’a pas envie de stigmatiser les gens, mais on ne veut pas sembler cautionner non plus, alors on évoque le phénomène du bout des lèvres. Ici, je propose d’empoigner à pleines mains les liens entre éducation permanente et complotisme. Et si l’éducation permanente partageait des points communs avec les attitudes complotistes ? S’il était possible de travailler à partir de ces points communs ?