Analyses

LE LOGEMENT : UN COMBAT DE LONGUE HALEINE QUI A FAIT DES PETITS… (Juin 2022)

Guillaume Lohest, avec Chris­­­­­­­­­­­tine Stein­­­­­­­­­­­bach, Contrastes juin 2022, p 30 à 31

Si l’on vous dit « Equipes Popu­­­­­­­­­­­­­laires » aujourd’­­­­­­­­­­­­­hui, à quel combat poli­­­­­­­­­­­­­tique pensez-vous ? Le loge­­­­­­­­­­­­­ment, pardi ! Il est vrai que ces dix dernières années, cette théma­­­­­­­­­­­­­tique a été très présente dans nos acti­­­­­­­­­­­­­vi­­­­­­­­­­­­­tés. Quelles en sont les grandes étapes ? Nous avons prolongé la discus­­­­­­­­­­­­­sion avec Chris­­­­­­­­­­­­­tine Stein­­­­­­­­­­­­­bach, afin de ravi­­­­­­­­­­­­­ver ses souve­­­­­­­­­­­­­nirs aussi en matière de loge­­­­­­­­­­­­­ment.

« Il n’y a pas eu brusque­­­­­­­­­­­­­ment un inté­­­­­­­­­­­­­rêt, c’est une ques­­­­­­­­­­­­­tion qui est là depuis toujours » précise Chris­­­­­­­­­­­­­tine quand je lui demande à quand remontent les premières mobi­­­­­­­­­­­­­li­­­­­­­­­­­­­sa­­­­­­­­­­­­­tions à ce sujet. « Mais il y a eu un tour­­­­­­­­­­­­­nant dans les années 80, lorsque les Equipes et Vie Fémi­­­­­­­­­­­­­nine ont réalisé ensemble une enquête sur les condi­­­­­­­­­­­­­tions socio-écono­­­­­­­­­­­­­miques des gens. On en a retiré des ensei­­­­­­­­­­­­­gne­­­­­­­­­­­­­ments qui ont été déci­­­­­­­­­­­­­sifs dans l’ac­­­­­­­­­­­­­tion du mouve­­­­­­­­­­­­­ment. Avant cela, la dimen­­­­­­­­­­­­­sion spiri­­­­­­­­­­­­­tuelle, la révi­­­­­­­­­­­­­sion de vie occu­­­­­­­­­­­­­paient beau­­­­­­­­­­­­­coup de place. Après cette enquête, le travail sur les situa­­­­­­­­­­­­­tions sociales et écono­­­­­­­­­­­­­miques a occupé presque toute l’at­­­­­­­­­­­­­ten­­­­­­­­­­­­­tion. »

Comment l’at­­­­­­­­­­­­­ten­­­­­­­­­­­­­tion aux problèmes de loge­­­­­­­­­­­­­ment s’est-elle mani­­­­­­­­­­­­­fes­­­­­­­­­­­­­tée ? Quatre ou cinq fédé­­­­­­­­­­­­­ra­­­­­­­­­­­­­tions étaient alors actives sur le sujet. « Bruxelles évidem­­­­­­­­­­­­­ment, qui connais­­­­­­­­­­­­­sait déjà une augmen­­­­­­­­­­­­­ta­­­­­­­­­­­­­tion des prix et une situa­­­­­­­­­­­­­tion avec une majo­­­­­­­­­­­­­rité de loca­­­­­­­­­­­­­taires. C’était diffé­rent en Wallo­­­­­­­­­­­­­nie, avec davan­­­­­­­­­­­­­tage de proprié­­­­­­­­­­­­­taires. Au moins trois fédé­­­­­­­­­­­­­ra­­­­­­­­­­­­­tions avaient envoyé des mili­­­­­­­­­­­­­tants siéger dans les agences immo­­­­­­­­­­­­­bi­­­­­­­­­­­­­lières sociales (AIS) : Namur, Mons et Tour­­­­­­­­­­­­­nai, de mémoire, c’est-à-dire des régio­­­­­­­­­­­­­nales avec des centres urbains. De manière géné­­­­­­­­­­­­­rale, dans les groupes sur le terrain, les Equipes ont toujours été préoc­­­­­­­­­­­­­cu­­­­­­­­­­­­­pées par la ques­­­­­­­­­­­­­tion des loca­­­­­­­­­­­­­taires pauvres. »

En 2006, la semaine sociale du MOC est consa­­­­­­­­­­­­­crée au loge­­­­­­­­­­­­­ment. C’est la première fois qu’on envi­­­­­­­­­­­­­sage, au sein du MOC, les diffé­­­­­­­­­­­­­rentes pistes pour l’en­­­­­­­­­­­­­ca­­­­­­­­­­­­­dre­­­­­­­­­­­­­ment des loyers. Parmi trois grandes voies possibles (les modèles français, luxem­­­­­­­­­­­­­bour­­­­­­­­­­­­­geois et néer­­­­­­­­­­­­­lan­­­­­­­­­­­­­dais), la plus juste semble celle de nos voisins du nord, qui s’ar­­­­­­­­­­­­­ti­­­­­­­­­­­­­cule autour d’une grille de valeurs. Deux ans plus tard, lors d’un Comité commu­­­­­­­­­­­­­nau­­­­­­­­­­­­­taire des EP, au moment du choix d’un thème de campagne, l’enjeu du loge­­­­­­­­­­­­­ment et la pers­­­­­­­­­­­­­pec­­­­­­­­­­­­­tive d’une reven­­­­­­­­­­­­­di­­­­­­­­­­­­­ca­­­­­­­­­­­­­tion d’en­­­­­­­­­­­­­ca­­­­­­­­­­­­­dre­­­­­­­­­­­­­ment des loyers sortent majo­­­­­­­­­­­­­ri­­­­­­­­­­­­­taires dans les préfé­­­­­­­­­­­­­rences des mili­­­­­­­­­­­­­tant·e·s.

2009–2011 : trois ans de campagne pour l’en­­­­­­­­­­­­­ca­­­­­­­­­­­­­dre­­­­­­­­­­­­­ment des loyers !

Objec­­­­­­­­­­­­­tif de la première phase ? Cons­­­­­­­­­­­­­truire une exper­­­­­­­­­­­­­tise et une reven­­­­­­­­­­­­­di­­­­­­­­­­­­­ca­­­­­­­­­­­­­tion. En 2009, une enquête est réali­­­­­­­­­­­­­sée auprès des loca­­­­­­­­­­­­­taires du secteur privé. « On recueille un peu plus de 700 réponses. Notre hypo­­­­­­­­­­­­­thèse était que le montant des loyers, fixé quasi libre­­­­­­­­­­­­­ment, était en fait estimé au petit bonheur la chance. Notre enquête a confirmé cela. Elle a même levé quelques lapins. Par exemple, plus un loge­­­­­­­­­­­­­ment était petit, plus le prix au mètre carré augmen­­­­­­­­­­­­­tait, ce qu’a confirmé une enquête plus large comman­­­­­­­­­­­­­dée au CRIOC. Cela nous a donné des argu­­­­­­­­­­­­­ments pour dire qu’une partie de la solu­­­­­­­­­­­­­tion rési­­­­­­­­­­­­­dait dans l’en­­­­­­­­­­­­­ca­­­­­­­­­­­­­dre­­­­­­­­­­­­­ment des loyers ! » Un autre élément de la solu­­­­­­­­­­­­­tion, c’était bien sûr d’agir sur les trop faibles reve­­­­­­­­­­­­­nus. Fina­­­­­­­­­­­­­le­­­­­­­­­­­­­ment, la réflexion qui a fait suite à cette enquête s’est prolon­­­­­­­­­­­­­gée l’an­­­­­­­­­­­­­née suivante, et clôtu­­­­­­­­­­­­­rée par un colloque en décembre 2010 au Parle­­­­­­­­­­­­­ment bruxel­­­­­­­­­­­­­lois1.

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Place alors à une seconde phase, desti­­­­­­­­­­­­­née à popu­­­­­­­­­­­­­la­­­­­­­­­­­­­ri­­­­­­­­­­­­­ser la ques­­­­­­­­­­­­­tion et à la mettre en débat. « Nous avons publié un docu­­­­­­­­­­­­­ment péda­­­­­­­­­­­­­go­­­­­­­­­­­­­gique à desti­­­­­­­­­­­­­na­­­­­­­­­­­­­tion du grand public, on a essayé de le diffu­­­­­­­­­­­­­ser et de mettre l’en­­­­­­­­­­­­­ca­­­­­­­­­­­­­dre­­­­­­­­­­­­­ment des loyers en discus­­­­­­­­­­­­­sion dans l’es­­­­­­­­­­­­­pace public. Nous avons buté sur une limite, car c’est très compliqué à appro­­­­­­­­­­­­­cher pour les gens. Par contre, on a conti­­­­­­­­­­­­­nué à porter cette ques­­­­­­­­­­­­­tion au sein d’un groupe de travail au MOC natio­­­­­­­­­­­­­nal, et les régio­­­­­­­­­­­­­nales ont conti­­­­­­­­­­­­­nué à travailler l’enjeu. » La ques­­­­­­­­­­­­­tion de consti­­­­­­­­­­­­­tuer un acteur poli­­­­­­­­­­­­­tique en Wallo­­­­­­­­­­­­­nie s’est alors posée et, en 2015, le Rassem­­­­­­­­­­­­­ble­­­­­­­­­­­­­ment Wallon pour le Droit à l’Ha­­­­­­­­­­­­­bi­­­­­­­­­­­­­tat (RWDH) est né. « Une quin­­­­­­­­­­­­­zaine d’as­­­­­­­­­­­­­so­­­­­­­­­­­­­cia­­­­­­­­­­­­­tions, dont les Equipes Popu­­­­­­­­­­­­­laires, étaient autour de la table. Nous y avons amené notre exper­­­­­­­­­­­­­tise sur l’en­­­­­­­­­­­­­ca­­­­­­­­­­­­­dre­­­­­­­­­­­­­ment des loyers. »

Contre les loyers abusifs… en grève s’il le faut

À Bruxelles, la pres­­­­­­­­­­­­­sion sur le marché du loge­­­­­­­­­­­­­ment est telle qu’on en arrive à des situa­­­­­­­­­­­­­tions extrêmes : loge­­­­­­­­­­­­­ments minus­­­­­­­­­­­­­cules, bâti­­­­­­­­­­­­­ments insa­­­­­­­­­­­­­lubres, énorme turn-over des loca­­­­­­­­­­­­­tai­­­­­­­­­­­­­res… Les écarts entre les prix et les condi­­­­­­­­­­­­­tions de loge­­­­­­­­­­­­­ment sont parfois into­­­­­­­­­­­­­lé­­­­­­­­­­­­­rables. La régio­­­­­­­­­­­­­nale des EP de Bruxelles fait alors le choix d’agir sous l’angle des loyers abusifs, en insis­­­­­­­­­­­­­tant sur le devoir des bailleurs de propo­­­­­­­­­­­­­ser un loyer raison­­­­­­­­­­­­­nable en regard du bien loué. « Le grand enjeu poli­­­­­­­­­­­­­tique était alors de faire recon­­­­­­­­­­­­­naître que ces situa­­­­­­­­­­­­­tions abusives exis­­­­­­­­­­­­­taient, et de les faire inscrire dans le code du loge­­­­­­­­­­­­­ment. » La régio­­­­­­­­­­­­­nale bruxel­­­­­­­­­­­­­loise des EP va agir à quatre niveaux. « Sur le plan de l’édu­­­­­­­­­­­­­ca­­­­­­­­­­­­­tion perma­­­­­­­­­­­­­nente de base, d’abord, en invi­­­­­­­­­­­­­tant les mili­­­­­­­­­­­­­tants à parti­­­­­­­­­­­­­ci­­­­­­­­­­­­­per aux réunions de la commis­­­­­­­­­­­­­sion loge­­­­­­­­­­­­­ment à Bruxelles. Cela a permis une confron­­­­­­­­­­­­­ta­­­­­­­­­­­­­tion de nos savoirs de terrain avec d’autres savoirs et la recherche des pistes de solu­­­­­­­­­­­­­tion. »

Mais c’est au niveau des communes que les poli­­­­­­­­­­­­­tiques sont les plus sensibles aux diffi­­­­­­­­­­­­­cul­­­­­­­­­­­­­tés de loge­­­­­­­­­­­­­ment des gens. La régio­­­­­­­­­­­­­nale réalise donc une charte à desti­­­­­­­­­­­­­na­­­­­­­­­­­­­tion des bourg­­­­­­­­­­­­­mestres et des éche­­­­­­­­­­­­­vins du loge­­­­­­­­­­­­­ment en région bruxel­­­­­­­­­­­­­loise. Par ailleurs, un gros travail d’ex­­­­­­­­­­­­­plo­­­­­­­­­­­­­ra­­­­­­­­­­­­­tion tech­­­­­­­­­­­­­nique est réalisé pour affi­­­­­­­­­­­­­ner une grille des loyers à Bruxelles. Enfin, last but not least, « l’ac­­­­­­­­­­­­­tion mili­­­­­­­­­­­­­tante va jusqu’à l’or­­­­­­­­­­­­­ga­­­­­­­­­­­­­ni­­­­­­­­­­­­­sa­­­­­­­­­­­­­tion d’une grève des loyers abusifs, avec des caisses de grève. Cela a servi à popu­­­­­­­­­­­­­la­­­­­­­­­­­­­ri­­­­­­­­­­­­­ser les enjeux et à consti­­­­­­­­­­­­­tuer soli­­­­­­­­­­­­­dai­­­­­­­­­­­­­re­­­­­­­­­­­­­ment les moyens pour qu’un loca­­­­­­­­­­­­­taire lésé puisse aller en justice. Avec l’objec­­­­­­­­­­­­­tif de créer un précé­dent et une juris­­­­­­­­­­­­­pru­­­­­­­­­­­­­dence ».

Des victoires

Le travail des EP, avec ses parte­­­­­­­­­­­­­naires, a porté des fruits ! La créa­­­­­­­­­­­­­tion du RWDH, en soi, est déjà une belle évolu­­­­­­­­­­­­­tion, de même que la créa­­­­­­­­­­­­­tion de l’asbl Loyers Négo­­­­­­­­­­­­­ciés (Cf. enca­­­­­­­­­­­­­dré). Les EP ont été invi­­­­­­­­­­­­­tées à prendre la parole en de nombreuses enceintes, notam­­­­­­­­­­­­­ment en commis­­­­­­­­­­­­­sion parle­­­­­­­­­­­­­men­­­­­­­­­­­­­taire wallonne. Des avan­­­­­­­­­­­­­cées poli­­­­­­­­­­­­­tiques ont aussi été obte­­­­­­­­­­­­­nues : une nouvelle grille des loyers a été consti­­­­­­­­­­­­­tuée à Bruxelles pour pallier les insuf­­­­­­­­­­­­­fi­­­­­­­­­­­­­sances de celle qui était en vigueur ; le Parle­­­­­­­­­­­­­ment bruxel­­­­­­­­­­­­­lois a voté le 8 octobre 2021 une ordon­­­­­­­­­­­­­nance « visant à instau­­­­­­­­­­­­­rer une commis­­­­­­­­­­­­­sion pari­­­­­­­­­­­­­taire loca­­­­­­­­­­­­­tive et à lutter contre les loyers abusifs ». Enfin, sur le plan judi­­­­­­­­­­­­­ciaire, il y a eu cette victoire symbo­­­­­­­­­­­­­lique : le 15 janvier 2019, « la justice de paix de Saint-Gilles a, pour la première fois dans l’his­­­­­­­­­­­­­toire belge du droit au loge­­­­­­­­­­­­­ment, condamné des proprié­­­­­­­­­­­­­taires à rame­­­­­­­­­­­­­ner les loyers abusi­­­­­­­­­­­­­ve­­­­­­­­­­­­­ment récla­­­­­­­­­­­­­més à un montant plus raison­­­­­­­­­­­­­na­­­­­­­­­­­­­ble­­­­­­­­­­­­­ment propor­­­­­­­­­­­­­tionné aux faibles quali­­­­­­­­­­­­­tés du loge­­­­­­­­­­­­­ment. Neuf mille euros ont été ainsi rembour­­­­­­­­­­­­­sés aux loca­­­­­­­­­­­­­taires alors même que les bailleurs récla­­­­­­­­­­­­­maient plus de six mille euros d’im­­­­­­­­­­­­­payés2 ».


1. « Vers un enca­­­­­­­­­­­­­dre­­­­­­­­­­­­­ment des loyers », colloque tenu au Parle­­­­­­­­­­­­­ment bruxel­­­­­­­­­­­­­lois le 9 décembre 2010.
2. Thibaud De Menten, « Droit au loge­­­­­­­­­­­­­ment abor­­­­­­­­­­­­­dable : avan­­­­­­­­­­­­­cées et pers­­­­­­­­­­­­­pec­­­­­­­­­­­­­tives », dans la Revue Démo­­­­­­­­­­­­­cra­­­­­­­­­­­­­tie, oct