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La péti­tion « Baisse des loyers » au parle­ment!

Plus de 80 personnes étaient présentes ce deux février à 13h Place Saint-Jean pour la première action « BAISSE DES LOYERS » orga­ni­sée par plusieurs asso­cia­tions donc les Equipes Popu­laires. Un beau moment de mobi­li­sa­tion, un beau moment de témoi­gnages, un beau moment de poli­ti­sa­tion de nos colères. A la suite de ce rassem­ble­ment nous nous sommes rendu.es au parle­ment pour nous faire entendre. En effet, avec le groupe Action Loge­ment Bruxelles nous avons porté depuis plusieurs mois une péti­tion deman­dant plusieurs choses dont la baisse des loyers. Grace à celle-ci, nous avons été invité.es à expri­mer devant la commis­sion loge­ment les raisons pour lesquelles il nous semble néces­saire, urgent, impor­tant, de faire bais­ser les loyers. Ci-dessous, vous retrou­ve­rez l’in­té­gra­lité du texte que nous leur avons lu.

Chaque groupe parle­men­taire a eu l’oc­ca­sion de nous répondre, nous avons ensuite pu leur répondre. Pour celles et ceux inté­ressé.es, l’in­té­gra­lité de la commis­sion loge­ment est dispo­nible sur la chaine youtube du parle­ment.

INTRODUCTION

Action Loge­ment Bruxelles est un collec­tif, apar­ti­san, issu du secteur asso­cia­tif et mili­tant pour le droit au loge­ment. Nous portons un certain nombre de valeurs et de reven­di­ca­tions, des trajec­toires poli­tiques. Depuis des dizaines d’an­nées les loyers augmentent. Nous pensons que l’enjeu de les faire bais­ser s’im­pose à nous, la collec­ti­vité, la société civile. Et on sait que c’est possible ! Les choix poli­tiques actuels ne permettent pas de les faire bais­ser (au contraire). Il faut favo­ri­ser un chan­ge­ment struc­tu­rel. C’est dans ce cadre-là que nous avons fait cette péti­tion, signée par des habi­tants, habi­tantes et par une quaran­taine d’as­so­cia­tions et collec­tifs.

Nous travaillons tous les jours avec des personnes mal logées, non logées, des personnes en risque d’ex­pul­sion ou déjà expul­sées, des personnes sans-abri ou anciens sans-abris. Nous côtoyons au quoti­dien le mal loge­ment et ses consé­quences sur la vie des gens, leur exis­tence.

Le « Droit à un loge­ment décent, le droit à la protec­tion d’un envi­ron­ne­ment sain », Article 23 de la Cons­ti­tu­tion, est pour­tant un droit consti­tu­tion­nel. Il n’est pas appliqué, pas respecté. Depuis des années nous vivons dans une atteinte perma­nente à l’Etat de droit. L’Etat n’as­sure pas son rôle en ne garan­tis­sant pas à chacun et chacune un droit fonda­men­tal : le droit d’avoir un toit sur sa tête, de vivre digne­ment. Il nous fallait en parler avec vous, repré­sen­tants, repré­sen­tantes, élus, élues, garants de l’ap­pli­ca­tion des lois.

La péti­tion que nous allons vous présen­ter a été portée par toutes ces personnes qui s’en­gagent avec nous pour une baisse des loyers et l’ac­cès à un loge­ment décent. Elle a été écrite à la fin du confi­ne­ment, alors que les acti­vi­tés repre­naient et que le mora­toire sur les expul­sions arri­vait à son terme.

La situa­tion des habi­tants, habi­tantes ne s’amé­liore pas, elle se dété­riore. Il faut des mesures fortes et struc­tu­relles pour répondre à l’ur­gence sociale et prépa­rer l’ave­nir.

Quatre points déve­lop­pés :

    – Le contexte bruxel­lois ;

    – Les poli­tiques publiques ;

    – Mytho­lo­gies écono­miques sur lesquelles elles sont fondées ;

    – Les sept propo­si­tions conte­nues dans la péti­tion ;

        – Après vous avoir écouté, nous pour­rons en discu­ter, et répondre à vos ques­tions ou réflexions.

Contexte bruxel­lois

Merci Olivier. Nous allons donc commen­cer par poser le cadre. Et poser le cadre, ça va passer par citer certains chiffres, et décrire un peu la réalité que recouvre le mal-loge­ment à Bruxelles.

Quand nous avons écrit la péti­tion que nous vous présen­tons aujourd’­hui, 46.000 familles atten­daient un loge­ment social. Aujourd’­hui, donc deux ans plus tard, ce sont 51.000 ménages qui poireautent, qui n’ont d’autres choix que de vivre dans un loge­ment trop petit, trop cher, insa­lubre, faute de mieux. 51.000 ménages, c’est un peu moins de 10% des ménages, mais donc au moins 10% de la popu­la­tion bruxel­loise.

Se loger est devenu compliqué et cher pour les loca­taires de la classe moyenne, et du côté des classes popu­laires, la situa­tion est désas­treuse depuis de trop nombreuses années. Le marché privé ne peut pas loger digne­ment les ménages pauvres – le taux de risque de pauvreté des loca­taires est envi­ron cinq fois supé­rieur à celui des proprié­taires : la concur­rence est immense, les loge­ments coûtent trop cher.

Et derrière les moyennes se cachent des réali­tés très contras­tées selon notre niveau socio écono­mique, selon notre genre, selon notre origine, selon notre couleur de peau. Pour ne prendre qu’un seul exemple, en moyenne en 2020 les ménages bruxel­lois dépensent 34,6% de leur budget dans leur loge­ment (ce qui comprend le loyer, l’eau, l’éner­gie, l’en­tre­tien,…). Mais pour les ménages dont les reve­nus ne dépassent par 1500€, c’est 60% du budget qui est mangé par le loge­ment ! En 2018 une personne isolée béné­fi­ciaire du revenu d’in­té­gra­tion sociale allouait 72% de ses reve­nus au loge­ment. Il ne lui reste­rait donc que 286 euros comme reste à vivre. 286€. Pour toutes ses autres dépenses (alimen­ta­tion, frais médi­caux, vie sociale et cultu­relle, vête­ments, …). Je vous laisse imagi­ner la gymnas­tique mentale et le stress pour arri­ver à la fin du mois. Et le « non-essen­tiel » sur lequel elles et ils doivent rogner. Tous ces chiffres sont issus de l’ex­cellent livre « une approche fémi­niste du loge­ment » d’An­gela D., Livre préfacé par madame la secré­taire d’état au loge­ment, j’ima­gine dès lors qu’ils ne lui sont pas incon­nus.

Ce marché exclut, fragi­lise, menace la santé physique et mentale des habi­tant.es, sans comp­ter que s’y exerce un racisme et un sexisme décom­plexé, puis­sam­ment appau­vris­sant pour les personnes et les ménages concer­nés.

Je voudrais termi­ner ici en mettant en lumière un dernier élément de contexte impor­tant : le fait que le mal loge­ment se décline au fémi­nin : les femmes sont surre­pré­sen­tées dans deux des trois caté­go­ries des plus mal logé.es (à savoir les personnes isolées, familles mono­pa­ren­tales et personnes âgées). On pour­rait aussi parler des enfants, les citoyen.nes de demain, qui pour 40% d’entre eux vivent dans des loge­ments insa­lubres.

Alors penser une poli­tique du loge­ment à la hauteur de tous ces défis, c’est lutter contre la pauvreté, mais c’est aussi lutter pour l’éga­lité entre les femmes et les hommes, et pour permettre aux enfants de vivre dans des condi­tions dignes.

Début 2021, la Région bruxel­loise présente son « Plan d’Ur­gence Loge­ment ».

Aucun chan­ge­ment struc­tu­rel, aucun renver­se­ment de tendance n’y est engagé. Les mesures mises en oeuvre dans ce plan se soldent par un trans­fère net d’argent public vers des proprié­taires ou de grandes entre­prises privées. Nous ne nions pas que le gouver­ne­ment ait « trouvé des solu­tions » pour des milliers de ménages. Mais nous refu­sons que la poli­tique se borne à propo­ser une quan­tité de « solu­tions » toujours infé­rieure aux besoins, et donc à sélec­tion­ner des caté­go­ries de pauvres à aider. Si on ne remet pas en ques­tion les valeurs du marché nous nous condam­nons collec­ti­ve­ment à payer toujours plus tandis que des personnes s’ap­pau­vri­ront toujours plus. Ce plan n’est rien d’autre qu’une soli­da­rité de la collec­ti­vité vers les bailleurs.

Si nous sommes ici aujourd’­hui, et si le droit au loge­ment et à l’ha­bi­tat est si impor­tant selon nous, c’est parce qu’a­voir un lieu à soi est un fonda­men­tal pour pouvoir se déployer en tant qu’ha­bi­tant.es, en tant que citoyen.ne, en tant que parent.es, en tant qu’ami.es. Et nous refu­sons qu’il soit consi­déré comme normal, comme accep­table, que certain.es habi­tant.es en soient exclu.es. En fait, il s’agit de penser des poli­tiques pour que nous puis­sions toutes et tous habi­ter la ville, bien plus que simple­ment « loger les gens »  – et cela étant dit, même juste « loger les gens », nous n’y arri­vons pas : plus de 5000 personnes dorment quoti­dien­ne­ment en rue à Bruxelles.

Les impen­sés sociaux-sani­taires des poli­tiques publiques

S’il est vrai que face à l’in­fla­tion le gouver­ne­ment bruxel­lois a fini par déci­der de mesures limi­tant l’in­dexa­tion des loyers, celles-ci sont arri­vées bien trop tard, certaines tempo­raires, il n’y a aucun effet rétro­ac­tif, et sont ample­ment insuf­fi­santes au regard du contexte que nous venons de vous décrire. A ce sujet, nous souhai­tons affir­mer ici un élément central : le méca­nisme d’in­dexa­tion des loyers n’a de sens que dans un marché régulé. En effet, l’es­sence de l’in­dexa­tion des loyers est de les faire évoluer en fonc­tion du niveau de vie. Mais quand on s’at­tarde sur les chiffres, on se rend très vite compte que les loyers augmentent au delà de l’in­dexa­tion. En fait c’est entre les baux que les augmen­ta­tions de loyer se font sentir, elles sont dès lors complè­te­ment décon­nec­tées du niveau de vie. Les bailleurs gagnent sur les deux plans : indexa­tion ET fixa­tion libre du loyer. Pour vous donner une idée, ces 10 dernières années les loyers ont augmenté de mini­mum 20% au delà de l’in­dexa­tion. 20%. En plus de l’in­dexa­tion. Et ces augmen­ta­tions se font évidem­ment propor­tion­nel­le­ment plus sentir pour les budgets serrés, celles et ceux qui avaient déjà du mal à joindre les deux bouts avant.

À cela s’ajoute la crise éner­gé­tique, qui s’est accé­lé­rée avec la guerre en Ukraine mais exis­tait bien avant. Avec la flam­bée des prix de l’éner­gie, ce ne sont plus unique­ment les plus précaires qui vivent une situa­tion de préca­rité éner­gé­tique, mais aussi les classes moyennes modestes. Face à cette situa­tion, de nombreux ménages ont décidé d’ar­rê­ter de chauf­fer leur loge­ment. Déci­sion qui a des consé­quences désas­treuses sur la santé de ces personnes évidem­ment, mais aussi sur l’état de leur loge­ment : c’est bien parce que les habi­tant.es chauffent leur loge­ment qu’ils ne se dégradent pas. La situa­tion éner­gé­tique risque d’avoir des consé­quences durables sur la ville. Qu’at­ten­dez-vous, qu’a­près la réno­lu­tion, vienne la méru­li­tion?

On sait que l’état du loge­ment joue un rôle majeur en matière de consom­ma­tion d’éner­gie. On sait aussi que les loge­ments les plus éner­gi­vores, dont une partie au moins est insa­lubre, sont occu­pés par les ménages les plus modestes. Des loge­ments de mauvaise, voir de très mauvaise qualité intègrent le marché loca­tif privé et trouvent rapi­de­ment preneur faute de solu­tions plus adéquates. En fait la préca­rité éner­gé­tique illustre bien la double peine dont sont victimes les ménages les plus pauvres : contraints d’ac­cep­ter des loge­ments de mauvaise qualité, et d’en assu­mer le coût éner­gé­tique. La solu­tion passe notam­ment par une amélio­ra­tion de la perfor­mance éner­gé­tique du parc loca­tif privé. Mais de la perti­nence de sa mise en œuvre dépend l’équité de trai­te­ment des habi­tant.e.s. S’il est logique que la puis­sance publique apporte son soutien pour les travaux éner­gé­tiques de petits proprié­taires bailleurs qui ont encore un crédit à rembour­ser et sont confron­tés à la remon­tée des taux d’in­té­rêts, cela ne peut se faire sans un gel du loyer en contre­par­tie. Car sinon nous savons sur quelles épaules l’amé­lio­ra­tion du bâti va retom­ber : les loca­taires, encore et toujours.

En effet, dans un marché loca­tif privé les loge­ments réno­vés valent plus cher que les loge­ments qui ne sont pas réno­vés. Le corol­laire de cette affir­ma­tion est effrayant : pour occu­per un loge­ment pas cher, on se retrouve de fait à occu­per un loge­ment qui n’est pas rénové. Les loca­taires pauvres sont struc­tu­rel­le­ment logés dans un bâti peu ou mal entre­tenu.

Quant aux travaux de réha­bi­li­ta­tion éner­gé­tique des loge­ments déte­nus depuis des décen­nies par de gros proprié­taires bailleurs, ils sont déjà payés puisque les loyers ont servi de thésau­ri­sa­tion pour le paie­ment de l’en­tre­tien et de la mise aux normes du loge­ment. Car oui c’est bel et bien à ça que servent les loyers. En effet, en moyenne sur un mois de loyer perçu, un proprié­taire bailleur en réin­ves­tit +- 20% l’en­tre­tien du bien, +- 30% part en taxa­tions diverses, et le reste est direc­te­ment empo­ché par le bailleur. Sacrée renta­bi­lité tout de même!  Il est donc primor­dial que toute poli­tique publique de soutien telle que reno­lu­tion et home grade distinguent les profils fiscaux parmi les bailleurs, qui ne consti­tuent pas un ensemble homo­gène de béné­fi­ciaires, loin s’en faut.

Le plan de la Région bruxel­loise ne fait que démon­trer ce que nous savions déjà : à choi­sir entre trou­ver struc­tu­rel­le­ment une solu­tion pour les loca­taires (et les ménages peu nantis), ou se garan­tir la paix avec les proprié­taires bailleurs, le gouver­ne­ment choi­sit encore et toujours la défense de la propriété privée sur la défense du droit au loge­ment, pour­tant inscrite dans la consti­tu­tion belge. 

Les mytho­lo­gies sur lesquelles sont fondées les poli­tiques publiques

Les poli­tiques publiques sont fondées, aujourd’­hui et depuis quelques décen­nies, sur des croyances large­ment répan­dues et pour­tant tout aussi large­ment mises à mal par l’ex­pé­rience. En matière de loge­ment, il en est une qui a la vie dure à Bruxelles, c’est que la produc­tion de loge­ments neufs par la promo­tion immo­bi­lière privée ferait bais­ser les prix.

Pour ce qui est de Bruxelles, force est de consta­ter que ça ne marche pas: les prix n’ont jamais été aussi élevés malgré l’orien­ta­tion des poli­tiques publiques vers cette non-poli­tique: lais­ser faire le marché.

Et de fait, les études le prouvent: lais­ser le privé construire plus de loge­ments neufs ne fait pas bais­ser les prix. Dans l’ar­ticle « Promo­tion immo­bi­lière: le mirage du choc d’offre », il est démon­tré, sur des séries longues et exhaus­tives réali­sées à partir de données récol­tées systé­ma­tique­ment auprès des profes­sion­nels de la construc­tion en France, que les prix des appar­te­ments ne baissent jamais. Quelle que soit la quan­tité de loge­ments mis sur le marché.

Si on y pense quelques instants, ce résul­tat est parfai­te­ment logique: vous ne verrez pas des promo­teurs privés s’en­ga­ger sur un marché s’ils pensent que les prix vont stag­ner, ce n’est pas bon pour leurs marges. Donc s’ils sont là, c’est pour que les prix montent.

Je pren­drai le temps ici d’étayer encore un peu cette affir­ma­tion, en parlant de la finan­cia­ri­sa­tion de la construc­tion de loge­ment, et de sa propriété.

Finan­cia­ri­sa­tion de la construc­tion / produc­tion

La région de Bruxelles capi­tale a donc fait le choix de confier la construc­tion de loge­ments à des promo­teurs privés: Atenor, Immo­bel, BPI, Triple Living, … vous connais­sez ces noms, ils font partie des promo­teurs qui font le plus de demandes de déro­ga­tions aux règles d’ur­ba­nisme.

Je le disais à l’ins­tant, des promo­teurs privés, notam­ment de cette enver­gure, n’in­ves­tissent dans une ville que s’ils estiment que les prix du foncier et des loyers vont augmen­ter. C’est la possi­bi­lité de cette augmen­ta­tion qui leur permet d’an­ti­ci­per des plus-values consé­quentes et de les annon­cer à leurs action­naires, leurs inves­tis­seurs et leurs créan­ciers. Le message peut ainsi être: prêtez-nous; ache­tez nos actions ; vous en tire­rez de beaux profits, nous garan­tis­sons  des divi­dendes en hausse et des inté­rêts payés rubis sur ongle.

Ces promo­teurs vont donc cher­cher des fonds sur les marchés finan­ciers avec un discours attendu, et il se trouve que la période est plutôt faste: de l’argent il y en a beau­coup, notam­ment après les sauve­tages à répé­ti­tion du système (2008, 2011, 2015, 2020…). C’est cet argent, ce capi­tal, qu’on voit se maté­ria­li­ser dans les rues de Bruxelles, sous la forme de projets immo­bi­liers multiples et parfois gigan­tesques. Leur point commun est qu’ils ne corres­pondent pas aux besoins de la popu­la­tion avoi­si­nante. Et de fait, certains promo­teurs ne s’en cachent pas, comme l’un deux qui a affirmé il y a quelques années que « l’ha­bi­tant de la ville d’aujourd’­hui [vos élec­teur.ice.s, ceux-là même à qui vous rendez des comptes] sont les enne­mis de la ville de demain [celle que ce promo­teur imagine et qui est donc conforme à ses inté­rêts]. Les habi­tants de la ville d’aujourd’­hui sont les enne­mis de la ville de demain.

Les promo­teurs privés ont besoin que les prix montent, les loca­taires qui composent 2/3 de la popu­la­tion bruxel­loise ont besoin qu’ils baissent. Les promo­teurs privés n’of­fri­ront donc à aucun moment une réponse aux problèmes de loge­ment énon­cés par Char­lotte Renou­prez et Guillaume Joly avant moi, et prétendre que les prix vont bais­ser en faisant construire du neuf par des promo­teurs privés, sans poser de quel­conque contrainte sur les prix de loca­tion des biens, est donc au mieux un terrible malen­tendu, au pire une volonté déli­bé­rée de mettre une partie de la popu­la­tion dehors.

Finan­cia­ri­sa­tion de la propriété 

Voila pour la finan­cia­ri­sa­tion de la produc­tion des loge­ments. Concer­nant les proprié­taires, de ces loge­ments main­te­nant:

Le profes­seur de la KUL Manuel Aalbers, éminent spécia­liste de la finan­cia­ri­sa­tion du loge­ment, explique bien que, si la propriété des loge­ments par des fonds d’in­ves­tis­se­ment est encore mino­ri­taire à Bruxelles, tout est prêt pour que cela change.

Il existe ainsi des dispo­si­tifs légaux favo­rables à l’achat de loge­ments en grande quan­tité par des acteurs finan­ciers, les SIR, qu’on connais­sait jusqu’il y a quelques années sous le nom de SICAFI (Home Invest Belgium est l’une d’entre elles, avec un parc immo­bi­lier d’une valeur de 680 millions dont 2/3 sont situés en Région de Bruxelles-Capi­tale). Ces SIR lèvent des capi­taux sur les marchés finan­ciers inter­na­tio­naux, via la bourse de Bruxelles. Leur pouvoir d’achat sur la ville est donc poten­tiel­le­ment immense.

Autre exemple:  lorsque des promo­teurs construisent des projets de plusieurs centaines de loge­ment, ils ne se fatiguent pas à vendre à la pièce, appar­te­ment par appar­te­ment, à des parti­cu­liers: ils (pré)vendent à des fonds d’in­ves­tis­se­ment. (Ca a par exemple été le cas d’Im­mo­bel, qui a vendu 129 loge­ments étudiant au fonds luxem­bour­geois Quares Student Housing avant même l’ob­ten­tion du permis de bâtir pour le projet Brou­ck’r.) Là encore, aucune règle ne semble s’y oppo­ser, et la propriété des loge­ments tend à se concen­trer entre les mains de société d’in­ves­tis­se­ments. Elle répond donc de plus en plus à des logiques de maxi­mi­sa­tion des profits qui s’ac­com­pagnent de loyers beau­coup trop élevés.

Est-ce que cela signi­fie qu’il faut arrê­ter de produire des loge­ments neufs? Non, mais il faut les confier à des acteurs qui agissent selon des prin­cipes de produc­tion et de propriété non-spécu­la­tifs. La produc­tion publique de loge­ment social, et les formes de propriété collec­tive et coopé­ra­tive incluant des méca­nismes anti spécu­la­tifs sont les meilleures réponses à ces enjeux.

Liste des exigences reprises dans la péti­tion

Mes core­li­gion­naires viennent de brillam­ment démon­trer que la situa­tion du marché loca­tif privé est très loin de réali­ser le droit au loge­ment. Mais rassu­rez-vous, les solu­tions existent, et elles sont poli­tiques. Ca tombe bien puisque vous êtes, je crois, des repré­sen­tants poli­tiques.

Il est temps pour moi main­te­nant de vous détailler les points concrets que nous portions dans notre péti­tion.

Nous récla­mons :

  1. Une baisse des loyers immé­diate de 25% par rapport à la grille indi­ca­tive exis­tante des loyers.  Soit un retour aux loyers de 2004 augmen­tés de l’in­dexa­tion depuis lors. Nous refu­sons de payer la spécu­la­tion immo­bi­lière. 

Nous propo­sions cette mesure précise il y a deux ans, une baisse des loyers, parce que, comme nous venons de le démon­trer, ils doivent bais­ser, et 25% qui corres­pondent à l’aug­men­ta­tion moyenne prise par les loyers hors de l’in­fla­tion.

Cela dit, de nombreux autres dispo­si­tifs peuvent être imagi­nés ou copiés. Il s’agit d’ac­ter clai­re­ment que les loyers ne vont pas bais­ser d’eux-même par une force magique du marché, ils vont même très proba­ble­ment conti­nuer à augmen­ter. Si on ne décide pas d’agir sur la valeur des loyers nous allons simple­ment voir se déve­lop­per une ville trop chère, dans laquelle la majo­rité des habi­tant.es ira de plus en plus mal.

Avec des loyers élevés et des bas reve­nus, ce sont des dépenses impor­tantes ne sont pas réali­sées : soins de santé, loisirs, etc. Plus géné­ra­le­ment, c’est l’ina­dé­qua­tion entre les besoins des gens et les loge­ments qu’ils peuvent se payer va être de plus en plus problé­ma­tique. Mais d’autres éléments nous semblent trop peu pris en compte : les déco­ha­bi­ta­tion sont déjà diffi­ciles à réali­ser notam­ment pour les classes popu­laires. Au fur et à mesure que les loyers augmentent, elles deviennent de plus en plus compliquées, jusqu’à paraître impos­sible. De quoi parle-t-on ici ? De jeunes adultes qui ne peuvent quit­ter le foyer et s’éman­ci­per, de femmes qui ne peuvent pas se sépa­rer de conjoints violents, de couples forcés de rester ensemble malgré le mal-être, des personnes obli­gées de vivre de façon collec­tive alors qu’elles ne le souhaitent pas, etc. Je vous les listes mais pour moi il ne s’agit pas de cas théo­rique, derrière chacun de ces exemples j’ai un visage, un nom. Des situa­tions qui peuvent aggra­ver des problé­ma­tiques de santé mentale, avec des consé­quences graves pour les personnes et la société en géné­rale.

L’aug­men­ta­tion des loyers prive aussi les habi­tantes et habi­tants de mobi­lité : puisque les loyers augmentent beau­coup plus vite que l’in­fla­tion (jusqu’à cette année), les habi­tant.es n’osent pas « bouger » de là où ils sont. Même si le loge­ment n’est pas en bon état, même s’il ne leur convient plus. Ils sont comme bloqués de peur de retour­ner sur le marché.

Cela rend égale­ment les loca­taires très vulné­rables aux pres­sions et refus des proprié­taires : avec des loyers élevés qui ne cessent d’aug­men­ter, les loca­taires sont tentés de « se taire » et de ne pas faire valoir leur droits à un loge­ment décent.

En agis­sant sur les valeurs loca­tives, il est certain que vous pren­drez une déci­sion qui impac­tera néga­ti­ve­ment certain.es proprié­taires bailleurs, dont vous ou vos connais­sances font proba­ble­ment partie. Mais, cette déci­sion amélio­rera consi­dé­ra­ble­ment et dura­ble­ment les condi­tions de vie de la majo­rité des bruxel­loises et bruxel­lois.

C’est possible, des baisses et des gels des loyers ont déjà eu lieu par le passé. 72 fois pour être précise. Ces lois tempo­raires docu­men­tées dans un article d’Isa­belle Bran­don que vous connais­sez

2.Une rené­go­cia­tion des crédits hypo­thé­caires octroyés aux proprié­taires-occu­pants. 

Cette mesure était propo­sée dans le cadre de la crise-covid. Nous pensons qu’il faut éviter à tout prix que des personnes s’ap­pau­vrissent. Pour autant, il ne s’agit pas néces­sai­re­ment à la collec­ti­vité à en payer le prix.

3. Une inter­dic­tion formelle de spécu­ler sur les loyers pendant au moins 5 ans avec un gel des loyers imposé après la baisse. 

Faire acti­ve­ment du loge­ment un droit passe par l’af­fir­ma­tion du loge­ment comme une néces­sité vitale. A l’in­verse, il s’agit d’in­ter­dire que le loge­ment ne fasse l’objet de préemp­tion spécu­la­tive.

Dans un contexte de très faible fisca­li­sa­tion des rentes immo­bi­lières, il s’agit ainsi d’in­ter­dire l’achat pour la mise en loca­tion de courte durée, comme  certaines villes ont décidé de le faire (en Hollande notam­ment).

Ainsi que la pure spécu­la­tion, enten­due comme l’achat de bâti­ments ou de terrains qui seront reven­dus plus chers plus tard après une sous-occu­pa­tion et/ou un sous-inves­tis­se­ment des proprié­taires.

4.Une trans­pa­rence sur les données du cadastre. Nous ne savons pas à qui appar­tient Bruxelles. Quelles sont les entre­prises immo­bi­lières ou fonds d’in­ves­tis­se­ment qui rachètent nos loge­ments et font augmen­ter les prix ? 

Sans aucune idée de l’évo­lu­tion de la propriété privée, vous vous condam­ner à travailler à l’aveugle. Avec les consé­quences que cela suppose et qu’A­line Fares a évoqué plus tôt.

De plus, après la dispa­ri­tion du recen­se­ment de 2001, sans aucun rempla­ce­ment exhaus­tif, nous ne sommes plus capables de produire des statis­tiques sur les habi­ta­tions Bruxel­loises.

5.Une contri­bu­tion finan­cière des multi-proprié­taires pour aider les loca­taires en diffi­culté, les personnes sans-abri et les personnes avec ou sans-papiers qui ont perdu leurs reve­nus à cause de la crise sani­taire. Les fonds publics prévus dans le PUL doivent être finan­cés par les riches proprié­taires-rentiers de la capi­tale. 

De façon géné­rale et comme évoqué précé­dem­ment, il s’agit de penser fine­ment les caté­go­ries de proprié­taires bailleurs. Afin notam­ment de se doter d’une poli­tique fiscale sur la propriété immo­bi­lière capable d’un mini­mum de justice sociale.

Il s’agit au fond de cesser de finan­cer les rentes immo­bi­lières par de l’argent public.

6.Une réqui­si­tion immé­diate et gratuite des bâti­ments vides pour l’hé­ber­ge­ment des personnes sans-abri / sans chez-soi? et une expro­pria­tion des proprié­taires qui laissent déli­bé­ré­ment leur bâti­ment à l’aban­don, en vue de les trans­for­mer en loge­ments sociaux (gérés par les SISP).

Enten­dons nous, ces bâti­ments doivent impé­ra­ti­ve­ment être inves­tis et réno­vés avant d’être occu­pés. Les personnes sans abris, et sans papiers ne sont pas des sous-caté­go­ries d’hu­main.es. Aujourd’­hui, des milliers de personnes sans papiers et sans abris vivent dans la capi­tale, certaines dorment dehors. Vous ne pouvez igno­rer cette réalité. J’en­tends parler de crise migra­toire depuis que je suis étudiante. Si une telle situa­tion de « crise » persiste c’est parce qu’elle n’est pas adres­sée comme telle, la répres­sion ne fonc­tionne pas et ne fonc­tion­nera pas. Bruxelles doit se doter d’es­pace d’ac­cueil.

7. L’ar­rêt des expul­sions. Des propo­si­tions et des idées existent, c’est au gouver­ne­ment de les mettre en œuvre

Rappe­lons que les consé­quences finan­cières et psycho­lo­giques des expul­sions sont graves et ne sont pas « juste­ment » distri­buées socia­le­ment. Rappe­lons égale­ment que les quelques études en la matière semblent corro­bo­rer le fait qu’une majo­rité des loge­ments impliqués sont peu voire insa­lubres.

Comme l’ont démon­tré récem­ment des cher­cheurs reçus par ce même parle­ment, la cause profonde des expul­sions n’est pas les loyers impayés mais les loyers impayables. Ceci fait le lien avec notre premier point, car tout ce que nous avons rapi­de­ment évoqué ici fait système.

Par ailleurs, des expul­sions illé­gales (dites aussi « expul­sions sauvages ») ont lieu à la pelle. De part nos enga­ge­ments (profes­sion­nels ou mili­tant.es), nous savons que ces expul­sions sont quasi­ment impos­sible à punir : la police refuse de prendre les plaintes, les preuves ne sont jamais suffi­santes. Encore tout récem­ment un proprié­taire a ouvert le feu sur l’un de ses loca­taires, il avait déjà attaqué à la hache les loca­taires d’un autre immeuble en sa posses­sion… le procu­reur refuse encore aujourd’­hui de se saisir de l’af­faire. Des marchands de sommeil agissent violem­ment en toute impu­nité, tandis que la justice de paix expulse à tours de bras des loca­taires pauvres. Cher­chez l’er­reur.

Conclu­sion

Cette péti­tion mettait en avant, à la sortie du confi­ne­ment, des mesures d’ur­gence. Ces dernières se trouvent être toujours d’ac­tua­lité, c’est une actua­lité perma­nente, qui empire.

Aujourd’­hui des personnes s’en­ri­chissent en spécu­lant pendant que d’autres meurent en rue, ou vivent dans des condi­tions indignes. Il n’y aura pas de solu­tion consen­suelle sur la ques­tion du droit au loge­ment. Il faut aller plus loin, et les moyens pour garan­tir le droit au loge­ment et lutter contre la spécu­la­tion immo­bi­lière existent:

Nous venons d’en évoquer quelqu’uns.

– Faire cesser la spécu­la­tion immo­bi­lière, empê­cher que l’on puisse s’en­ri­chir sur la vie des gens ;

– Réqui­si­tion­ner les bâti­ments vides, expro­prier les proprié­taires qui laissent à l’aban­don des loge­ments et les trans­for­mer en loge­ments sociaux ;

– Faire cesser les expul­sions, condam­ner ferme­ment les expul­sions sauvages ;

– Cons­truire des loge­ments sociaux ;

– Faire bais­ser les loyers ;

– …

Il est urgent d’as­su­rer un loge­ment digne et salubre à toutes et tous. Et c’est aussi à vous de mettre tous les moyens en oeuvre pour que ce droit fonda­men­tal soit effec­tif. Le mal loge­ment n’est pas une fata­lité, il est construit par des choix poli­tiques qui favo­risent l’en­ri­chis­se­ment d’une mino­rité au détri­ment de toutes et tous.

Il faut rompre avec cette logique marchande du loge­ment, rompre avec ces choix poli­tiques morti­fères, et mettre les habi­tantes et les habi­tants au centre des préoc­cu­pa­tions et des pers­pec­tives poli­tiques. Ce n’est pas le cas aujourd’­hui.

Cette péti­tion n’est pour nous qu’une étape, nous qui vous parlons ici, et ceux qui sont dehors, les asso­cia­tions, les collec­tifs, les loca­taires, du public, du privé, les habi­tant.e.s, les sans-abris, les sans-papiers, les discri­miné.e.s, les isolée.e.s, les exclu.e.s, les expul­sées, .. Par la force des choses, nous conti­nue­rons à nous mobi­li­ser, il ne peut en être autre­ment.

Que les finan­ciers et autre Monsieur Mono­poly s’en aillent. Bruxelles n’est pas à vendre. Nous, on veut une ville avec des êtres vivants, heureux et en bonne santé.

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