Analyses

Les Poli­tiques doivent être des faiseurs de ponts (avril 2017)

Inter­­­view de Sarah Turine par Clau­­­­­­­­­­­dia Bene­­­­­­­­­­­detto et Chris­­­­­­­­­­­tine Stein­­­­­­­­­­­bach, Contrastes avril 2017, p10

Contrastes "anti-terrorisme..."_Les Equipes Populaires

©Equipes Popu­­­­­­­­­laires


Eche­­­­­­­­­­­vine à Molen­­­­­­­­­­­beek et isla­­­­­­­­­­­mo­­­­­­­­­­­logue de forma­­­­­­­­­­­tion, l’éco­­­­­­­­­­­lo­­­­­­­­­­­giste, Sarah Turine vit et travaille au coeur de la commune bruxel­­­­­­­­­­­loise qui s’est trou­­­­­­­­­­­vée sous les feux des médias au lende­­­­­­­­­­­main des atten­­­­­­­­­­­tats. Avec luci­­­­­­­­­­­dité et convic­­­­­­­­­­­tion, la manda­­­­­­­­­­­taire en charge du dialogue inter­­­­­­­­­­­­­­­­­­­­­cul­­­­­­­­­­­tu­­­­­­­­­­­rel met en place pas à pas des initia­­­­­­­­­­­tives pour dépas­­­­­­­­­­­ser les replis iden­­­­­­­­­­­ti­­­­­­­­­­­taires et refaire société.

Selon l’enquête « Noir jaune blues » réali­­­­­­­­­­­sée par Dedi­­­­­­­­­­­ca­­­­­­­­­­­ted Research pour Le Soir et publiée le 8 janvier 2017, la popu­­­­­­­­­­­la­­­­­­­­­­­tion ressent une menace iden­­­­­­­­­­­ti­­­­­­­­­­­taire. Cet état d’es­­­­­­­­­­­prit est-il percep­­­­­­­­­­­tible sur le terrain ? Et dans ce cas comment expliquer ce repli iden­­­­­­­­­­­ti­­­­­­­­­­­taire ?

– On peut se montrer critique sur la métho­­­­­­­­­­­do­­­­­­­­­­­lo­­­­­­­­­­­gie de l’enquête elle-même, mais elle reflète assez bien l’état d’es­­­­­­­­­­­prit. Il y a une grande diffé­­­­­­­­­­­rence entre ce qui s’est exprimé juste après les atten­­­­­­­­­­­tats et main­­­­­­­­­­­te­­­­­­­­­­­nant. Il y a un an, les gens ont réagi en disant : « on doit apprendre à aller à la rencontre de l’autre ». Ce mouve­­­­­­­­­­­ment est toujours présent, mais c’est le mouve­­­­­­­­­­­ment inverse qu’on entend le plus actuel­­­­­­­­­­­le­­­­­­­­­­­ment. En fait, on a l’im­­­­­­­­­­­pres­­­­­­­­­­­sion que c’est la société dans son ensemble qui s’est radi­­­­­­­­­­­ca­­­­­­­­­­­li­­­­­­­­­­­sée. Comme si chacun se persua­­­­­­­­­­­dait que seul son point de
vue est le bon et avait plus de mal à entendre celui d’un autre. Voyez les débats qui se déroulent autour de la laïcité, ou de l’ac­­­­­­­­­­­cueil des migrants. Il y a un ras-le-bol, une colère, des
craintes, qui sont légi­­­­­­­­­­­times, mais qui rendent les gens peu dispo­­­­­­­­­­­sés à faire des conces­­­­­­­­­­­sions. C’est plutôt inquié­­­­­­­­­­­tant. Face à cela, la première mission des respon­­­­­­­­­­­sables poli­­­­­­­­­­­tiques est d’évi­ ter d’ali­­­­­­­­­­­men­­­­­­­­­­­ter cette divi­­­­­­­­­­­sion de la société. Nous devons d’abord être des faiseurs de ponts. Une société est faite de diver­­­­­­­­­­­gences, il faut créer des ponts entre elles, sous peine de ne plus faire société.

Pour certains analystes, il y a eu un Avant et un Après 11 septembre 2001. Depuis l’at­­­­­­­­­­­ten­­­­­­­­­­­tat aux Etats-Unis, on perçoit davan­­­­­­­­­­­tage l’autre en termes de menaces. Parta­­­­­­­­­­­gez-vous cette analyse et dans quelle mesure est-elle aussi le fruit des mesures sécu­­­­­­­­­­­ri­­­­­­­­­­­taires mises en oeuvre ?

Ce qui est certain, c’est que dans ma commune il y a eu un tour­­­­­­­­­­­nant après 2001 dans la manière dont on perçoit les jeunes issus de l’im­­­­­­­­­­­mi­­­­­­­­­­­gra­­­­­­­­­­­tion. Jusque-là, on les iden­­­­­­­­­­­ti­­­­­­­­­­­fiait géné­­­­­­­­­­­ra­­­­­­­­­­­le­­­­­­­­­­­ment comme issus de l’im­­­­­­­­­­­mi­­­­­­­­­­­gra­­­­­­­­­­­tion, ou étran­­­­­­­­­­­gers. Après 2001, c’est le terme musul­­­­­­­­­­­man qui a prédo­­­­­­­­­­­miné, avec une conno­­­­­­­­­­­ta­­­­­­­­­­­tion néga­­­­­­­­­­­tive. Ce qui a inévi­­­­­­­­­­­ta­­­­­­­­­­­ble­­­­­­­­­­­ment engen­­­­­­­­­­­dré une dialec­­­­­­­­­­­tique : on réagit en renforçant la part de l’iden­­­­­­­­­­­tité qui est discri­­­­­­­­­­­mi­­­­­­­­­­­née. Enfer­­­­­­­­­­­mez quelqu’un dans une case, il va se défendre en reven­­­­­­­­­­­diquant cette case. « Je suis né ici, j’y vis, pourquoi n’au­­­­­­­­­­­rais-je pas le droit d’être musul­­­­­­­­­­­man ? ». Et donc la popu­­­­­­­­­­­la­­­­­­­­­­­tion ciblée a renforcé son atta­­­­­­­­­­­che­­­­­­­­­­­ment à son carac­­­­­­­­­­­tère musul­­­­­­­­­­­man. Pas par choix spiri­­­­­­­­­­­tuel ou reli­­­­­­­­­­­gieux mais pour des raisons iden­­­­­­­­­­­ti­­­­­­­­­­­taires : parce que c’est là qu’ils se sentent agres­­­­­­­­­­­sés.

Il n’y a pas que cela qui crée une telle divi­­­­­­­­­­­sion dans la société. Il y a aussi un vide d’iden­­­­­­­­­­­tité en Europe. L’Union euro­­­­­­­­­­­péenne est en recherche de son modèle : défi­­­­­­­­­­­cit de soli­­­­­­­­­­­da­­­­­­­­­­­rité avec la Grèce ; le Brexit ; la crise de l’ac­­­­­­­­­­­cueil des migrants… Il n’y a pas l’unité poli­­­­­­­­­­­tique espé­­­­­­­­­­­rée par les pays fonda­­­­­­­­­­­teurs. Cela joue un rôle dans le repli iden­­­­­­­­­­­ti­­­­­­­­­­­taire. Et bien sûr, il y a la crise écono­­­­­­­­­­­mique et finan­­­­­­­­­­­cière. On ne vivrait pas de la même façon la crise iden­­­­­­­­­­­ti­­­­­­­­­­­taire actuelle s’il n’y avait pas eu la crise finan­­­­­­­­­­­cière de 2008.
Fonda­­­­­­­­­­­men­­­­­­­­­­­ta­­­­­­­­­­­le­­­­­­­­­­­ment, le modèle écono­­­­­­­­­­­mique capi­­­­­­­­­­­ta­­­­­­­­­­­liste et produc­­­­­­­­­­­ti­­­­­­­­­­­viste va dans le mur. Le terro­­­­­­­­­­­risme est aussi un symp­­­­­­­­­­­tôme de ce modèle qui ne tient plus la route. L’ex­­­­­­­­­­­clu­­­­­­­­­­­sion qu’il engendre a été trop forte, à tous points de vue.

Vous évoquiez les préju­­­­­­­­­­­gés envers les musul­­­­­­­­­­­mans.
Dans l’étude Noir jaune blues, ceux-ci sont 53% à expri­­­­­­­­­­­mer des craintes par rapport à un rejet de la société. Vous en voyez vous­­-même les impacts sur le terrain ?

Oui, et en parti­­­­­­­­­­­cu­­­­­­­­­­­lier pour les jeunes garçons. Ce n’était déjà pas facile de porter un nom étran­­­­­­­­­­­ger mais aujourd’­­­­­­­­­­­hui, si vous indiquez que vous habi­­­­­­­­­­­tez Molen­­­­­­­­­­­beek dans votre CV, c’est devenu le plus gros frein. Et puis pour les femmes qui portent le foulard, ce n’est pas évident d’as­­­­­­­­­­­su­­­­­­­­­­­mer les regards qui se posent sur vous. Les premiers symp­­­­­­­­­­­tômes d’une montée de l’is­­­­­­­­­­­la­­­­­­­­­­­mo­­­­­­­­­­­pho­­­­­­­­­­­bie, ce sont les regards. J’étais l’autre jour dans le tram en compa­­­­­­­­­­­gnie d’une jeune fille voilée et les regards hostiles que j’ai sentis posés sur elle m’ont saisie. Cette hosti­­­­­­­­­­­lité va en créer en retour et se nour­­­­­­­­­­­rir l’une de l’autre.

 

Molen­­­­­­­­­­­beek s’est en effet retrou­­­­­­­­­­­vée brusque­­­­­­­­­­­ment sous le feu des projec­­­­­­­­­­­teurs après les atten­­­­­­­­­­­tats à Paris et Bruxelles. Comment avez-vous perçu cette période et comment ont réagi ses habi­­­­­­­­­­­tants ?

Ce n’était pas entiè­­­­­­­­­­­re­­­­­­­­­­­ment un choc dans la mesure où Molen­­­­­­­­­­­beek a connu beau­­­­­­­­­­­coup de jeunes partis en Syrie. Et comme elle a encore quelque chose d’un village (on n’y vit pas l’ano­­­­­­­­­­­ny­­­­­­­­­­­mat des grandes villes), la plupart des habi­­­­­­­­­­­tants se sont sentis concer­­­­­­­­­­­nés. Cela n’em­­­­­­­­­­­pêche que cela a été un choc quand même, dans la mesure où la force des liens qui ont été faits avec Molen­­­­­­­­­­­beek était injuste. Il y avait eu en effet une filière iden­­­­­­­­­­­ti­­­­­­­­­­­fiée dans la commune, mais il y a aussi des filières connec­­­­­­­­­­­tées à Daech dans le monde entier, et ç’au­­­­­­­­­­­rait donc pu aussi bien être une autre. Elles se construisent aussi d’un pays à l’autre par des amitiés, une langue commune, etc. Mais pas de chance, cette fois-là c’était Molen­­­­­­­­­­­beek. Il y a eu une défer­­­­­­­­­­­lante média­­­­­­­­­­­tique avec des jour­­­­­­­­­­­na­­­­­­­­­­­listes qui deman­­­­­­­­­­­daient partout à tout le monde « est-ce que vous connais­­­­­­­­­­­siez
un tel ? » mais ne se souciaient jamais de l’in­­­­­­­­­­­ter­­­­­­­­­­­lo­­­­­­­­­­­cu­­­­­­­­­­­teur lui-même, de ce qu’il vivait, pensait de la situa­­­­­­­­­­­tion. Il a fallu accep­­­­­­­­­­­ter que Molen­­­­­­­­­­­beek n’ap­­­­­­­­­­­par­­­­­­­­­­­te­­­­­­­­­­­nait plus aux Molen­­­­­­­­­­­bee­­­­­­­­­­­kois. C’est devenu un autre Bronx. Il faut vivre avec cela.
Je crois qu’on ne pourra tour­­­­­­­­­­­ner la page qu’en admet­­­­­­­­­­­tant qu’il y a désor­­­­­­­­­­­mais deux Molen­­­­­­­­­­­beek : celui des habi­­­­­­­­­­­tants et celui que le monde a en tête, devenu le symbole du trau­­­­­­­­­­­ma­­­­­­­­­­­tisme et des atten­­­­­­­­­­­tats liés à Daech.

Molen­­­­­­­­­­­beek est aussi une commune qui a une vie asso­­­­­­­­­­­cia­­­­­­­­­­­tive très forte. Quel est la spéci­­­­­­­­­­­fi­­­­­­­­­­­cité du travail que vous y effec­­­­­­­­­­­tuez, en tant qu’é­­­­­­­­­­­che­­­­­­­­­­­vine du dialogue inter­­­­­­­­­­­­­­­­­­­­­cul­­­­­­­­­­­tu­­­­­­­­­­­rel et de la cohé­­­­­­­­­­­sion sociale ?

Il y a en effet un poten­­­­­­­­­­­tiel très riche, avec un secteur asso­­­­­­­­­­­cia­­­­­­­­­­­tif impor­­­­­­­­­­­tant et une vie artis­­­­­­­­­­­tique très variée, notam­­­­­­­­­­­ment parce qu’on peut y trou­­­­­­­­­­­ver des ateliers à prix modeste. Et avec une multi­­­­­­­­­­­tude de cultures. En réalité, Molen­­­­­­­­­­­beek peut aussi être l’ave­­­­­­­­­­­nir de l’Eu­­­­­­­­­­­rope. Si l’on y réus­­­­­­­­­­­sit des choses, on peut les réus­­­­­­­­­­­sir ailleurs, dans d’autres quar­­­­­­­­­­­tiers, d’autres villes.

On n’a évidem­­­­­­­­­­­ment pas attendu les atten­­­­­­­­­­­tats pour mettre en place des initia­­­­­­­­­­­tives face à des formes de radi­­­­­­­­­­­ca­­­­­­­­­­­li­­­­­­­­­­­sa­­­­­­­­­­­tion. Le travail sur les ques­­­­­­­­­­­tions iden­­­­­­­­­­­ti­­­­­­­­­­­taires a commencé avant les premiers départs en Syrie. On a créé la nouvelle compé­­­­­­­­­­­tence du dialogue inter­­­­­­­­­­­­­­­­­­­­­cul­­­­­­­­­­­tu­­­­­­­­­­­rel au début de la nouvelle majo­­­­­­­­­­­rité (NB. MR-PS-Ecolo) parce qu’on avait conscience que, à côté du combat contre les inéga­­­­­­­­­­­li­­­­­­­­­­­tés socio-écono­­­­­­­­­­­miques et le décro­­­­­­­­­­­chage scolaire, il fallait aussi appré­­­­­­­­­­­hen­­­­­­­­­­­der ce repli iden­­­­­­­­­­­ti­­­­­­­­­­­taire à l’oeuvre depuis 2001. Repli qui est aussi lié au succès crois­­­­­­­­­­­sant d’un courant plus rigo­­­­­­­­­­­riste qui s’est implanté dans les quar­­­­­­­­­­­tiers depuis une ving­­­­­­­­­­­taine d’an­­­­­­­­­­­nées.

Mais il ne suffi­­­­­­­­­­­sait évidem­­­­­­­­­­­ment pas de créer la compé­­­­­­­­­­­tence « dialogue inter­­­­­­­­­­­­­­­­­­­­­cul­­­­­­­­­­­tu­­­­­­­­­­­rel », il fallait aussi en faire un vrai enjeu et y mettre les moyens. Or ça n’avait jamais été la prio­­­­­­­­­­­rité.
On avait bien sûr commencé par initier des forma­­­­­­­­­­­tions, à l’in­­­­­­­­­­­ten­­­­­­­­­­­tion des ensei­­­­­­­­­­­gnants et des travailleurs des services de première ligne. Mais c’était insuf­­­­­­­­­­­fi­­­­­­­­­­­sant. En fait, c’est l’at­­­­­­­­­­­ten­­­­­­­­­­­tat commis à Char­­­­­­­­­­­lie Hebdo en janvier 2015 qui a déclen­­­­­­­­­­­ché la conscience qu’il fallait bel et bien en faire une prio­­­­­­­­­­­rité. On a alors pu lancer une dyna­­­­­­­­­­­mique avec le secteur asso­­­­­­­­­­­cia­­­­­­­­­­­tif ; en ce compris les commu­­­­­­­­­­­nau­­­­­­­­­­­tés reli­­­­­­­­­­­gieuses : repré­­­­­­­­­­­sen­­­­­­­­­­­tants des mosquées, des églises, et aussi, j’y tenais, de la commu­­­­­­­­­­­nauté juive. Car il y a aussi un vrai problème d’an­­­­­­­­­­­ti­­­­­­­­­­­sé­­­­­­­­­­­mi­­­­­­­­­­­tisme, souvent nourri de fantasmes et d’igno­­­­­­­­­­­rance.

A l’époque, on a commencé par mettre sur pied des groupes de parole. Après l’at­­­­­­­­­­­ten­­­­­­­­­­­tat à Char­­­­­­­­­­­lie Hebdo, il fallait s’em­­­­­­­­­­­pa­­­­­­­­­­­rer des ques­­­­­­­­­­­tions qui fâchent. Mais, et j’en suis aujourd’­­­­­­­­­­­hui plus convain­­­­­­­­­­­cue que jamais, il fallait aussi – et même d’abord – se mettre à parler de ce qui nous rassemble.
Pour que le dialogue inter­­­­­­­­­­­­­­­­­­­­­cul­­­­­­­­­­­tu­­­­­­­­­­­rel soit possible, il faut avant tout veiller à ce que les personnes ne se sentent pas mena­­­­­­­­­­­cées dans leur iden­­­­­­­­­­­tité. Cela veut dire qu’il faut d’abord travailler à valo­­­­­­­­­­­ri­­­­­­­­­­­ser les iden­­­­­­­­­­­ti­­­­­­­­­­­tés de chacun, avant de cher­­­­­­­­­­­cher à décloi­­­­­­­­­­­son­­­­­­­­­­­ner. Dans une commune comme la nôtre, les personnes de confes­­­­­­­­­­­sion musul­­­­­­­­­­­mane se sentent visées par des stéréo­­­­­­­­­­­types iden­­­­­­­­­­­ti­­­­­­­­­­­taires. Il s’agit donc de montrer aux autres habi­­­­­­­­­­­tants qu’il n’y a pas lieu de les craindre et puis d’in­­­­­­­­­­­ci­­­­­­­­­­­ter à la rencontre de l’autre, sans l’obli­­­­­­­­­­­ger à mettre de côté une partie de ses iden­­­­­­­­­­­ti­­­­­­­­­­­tés.

Ensuite, il sera néces­­­­­­­­­­­saire d’abor­­­­­­­­­­­der aussi les ques­­­­­­­­­­­tions qui fâchent, les diver­­­­­­­­­­­gences d’opi­­­­­­­­­­­nions, de repré­­­­­­­­­­­sen­­­­­­­­­­­ta­­­­­­­­­­­tions. Mais je pense que c’est une seconde étape parce que, depuis les atten­­­­­­­­­­­tats, on pointe si fort ce qui nous divise qu’il est essen­­­­­­­­­­­tiel de repar­­­­­­­­­­­ler d’abord de ce qui nous rassemble et permet de faire société.

Certains sont déjà partants pour aller plus loin dans la rencontre avec les autres. Dans ce cas, on travaille au sein de petits groupes, avec des jeunes notam­­­­­­­­­­­ment. Mais il s’agit aussi de toucher un public plus large, en l’in­­­­­­­­­­­vi­­­­­­­­­­­tant à des moments de rencontre qui ont surtout pour but de faire tomber des préju­­­­­­­­­­­gés. J’ai choisi le prétexte de fêtes reli­­­­­­­­­­­gieuses pour orga­­­­­­­­­­­ni­­­­­­­­­­­ser de grands repas. Certains ont tiqué sur ce choix mais si j’avais invité les habi­­­­­­­­­­­tants à une « fête du prin­­­­­­­­­­­temps » cela n’au­­­­­­­­­­­rait pas signi­­­­­­­­­­­fié grand-chose pour eux. Tandis qu’in­­­­­­­­­­­vi­­­­­­­­­­­ter à rompre le jeûne après le Rama­­­­­­­­­­­dan, c’est une occa­­­­­­­­­­­sion de fierté pour les musul­­­­­­­­­­­mans. Et les non-musul­­­­­­­­­­­mans se sentent invi­­­­­­­­­­­tés à quelque chose qui a une valeur impor­­­­­­­­­­­tante.
Il faut croire que ces rencontres répondent à un réel besoin parce que ça marche du tonnerre.

Quel lieu avez-vous choisi pour réali­­­­­­­­­­­ser ces temps de rencontre ?

Le lieu était évidem­­­­­­­­­­­ment impor­­­­­­­­­­­tant symbo­­­­­­­­­­­lique­­­­­­­­­­­ment. Cela a évolué en fonc­­­­­­­­­­­tion des circons­­­­­­­­­­­tances. La première fois, c’était pour la fin du Rama­­­­­­­­­­­dan, et en même temps la Fête de la musique. On l’a fait sur la place commu­­­­­­­­­­­nale. Quelques-uns ont haussé les sour­­­­­­­­­­­cils parce qu’on asso­­­­­­­­­­­ciait ces deux événe­­­­­­­­­­­ments. Mais quelque cinq cent personnes sont venues, d’ho­­­­­­­­­­­ri­­­­­­­­­­­zons très divers. Ensuite il y a eu le repas de Noël, cette fois dans une salle commu­­­­­­­­­­­nau­­­­­­­­­­­taire.
Il y avait des chorales juives, chré­­­­­­­­­­­tiennes et musul­­­­­­­­­­­manes. Même succès. Puis on a orga­­­­­­­­­­­nisé la Pâque juive, toujours dans la salle commu­­­­­­­­­­­nau­­­­­­­­­­­taire. C’était juste après les atten­­­­­­­­­­­tats. Cette fois-là, un grand nombre de jeunes sont venus, ce qui est très encou­­­­­­­­­­­ra­­­­­­­­­­­geant. Ensuite nouvelle rupture du jeûne. On pensait pouvoir le refaire à la place commu­­­­­­­­­­­nale, ce que la météo n’a pas permis, mais à ce moment, il y avait déjà plus de 620 personnes inscrites. Alors on a eu l’idée de l’or­­­­­­­­­­­ga­­­­­­­­­­­ni­­­­­­­­­­­ser… dans l’église toute proche. Ce lieu classé accueillait des événe­­­­­­­­­­­ments cultu­­­­­­­­­­­rels. Et donc les gens sont venus là. Du coup, la fête de Noël suivante fut célé­­­­­­­­­­­brée… à la mosquée.
Le public est chaque fois nombreux, pas toujours le même et les gens appré­­­­­­­­­­­cient.

Cela dit, cette dyna­­­­­­­­­­­mique ne va pas sans tensions. A chaque fête et dans chaque commu­­­­­­­­­­­nau­­­­­­­­­téil s’en exprime. Cela me conforte dans l’idée que j’ai vrai­­­­­­­­­­­ment, en tant qu’au­­­­­­­­­­­to­­­­­­­­­­­rité publique, un rôle à jouer dans l’im­­­­­­­­­­­pul­­­­­­­­­­­sion d’évé­­­­­­­­­­­ne­­­­­­­­­­­ments qui renforcent les liens entre les collec­­­­­­­­­­­ti­­­­­­­­­­­vi­­­­­­­­­­­tés locales.

Ces fêtes sont l’oc­­­­­­­­­­­ca­­­­­­­­­­­sion d’un échange inter­­­­­­­­­­­­­­­­­­­­­cul­­­­­­­­­­­tu­­­­­­­­­­­rel.
Mais vous souli­­­­­­­­­­­gnez aussi l’im­­­­­­­­­­­por­­­­­­­­­­­tance d’abor­­­­­­­­­­­der les « ques­­­­­­­­­­­tions qui fâchent », les diver­­­­­­­­­­­gences. Comment l’abor­­­­­­­­­­­dez-vous et avec quelles colla­­­­­­­­­­­bo­­­­­­­­­­­ra­­­­­­­­­­­tions ?

Après l’at­­­­­­­­­­­ten­­­­­­­­­­­tat à Char­­­­­­­­­­­lie Hebdo, il était très diffi­­­­­­­­­­­cile voire impen­­­­­­­­­­­sable d’oser dire « je ne suis pas Char­­­­­­­­­­­lie ». Des tensions se sont fait sentir dans des écoles notam­­­­­­­­­­­ment. Il était indis­­­­­­­­­­­pen­­­­­­­­­­­sable de créer un cadre sécu­­­­­­­­­­­risé qui permet de parler sans tabou. Toute­­­­­­­­­­­fois l’école peut diffi­­­­­­­­­­­ci­­­­­­­­­­­le­­­­­­­­­­­ment assu­­­­­­­­­­­mer cette mission. Etant garante de l’obli­­­­­­­­­­­ga­­­­­­­­­­­tion de scola­­­­­­­­­­­rité, elle a un rapport hiérar­­­­­­­­­­­chique et de contraintes diffi­­­­­­­­­­­ci­­­­­­­­­­­le­­­­­­­­­­­ment compa­­­­­­­­­­­tibles. On passe donc plutôt par le secteur asso­­­­­­­­­­­cia­­­­­­­­­­­tif pour orga­­­­­­­­­­­ni­­­­­­­­­­­ser des débats, avec des films, des inter­­­­­­­­­­­­­­­­­­­­­ve­­­­­­­­­­­nants.
Il s’agit de libé­­­­­­­­­­­rer une parole, mais aussi de nour­­­­­­­­­­­rir la réflexion critique et de montrer qu’il y a diffé­­­­­­­­­­­rentes grilles de lecture possibles. C’est un point essen­­­­­­­­­­­tiel, eu égard aux discours des recru­­­­­­­­­­­teurs. A moins qu’il soit anti­­­­­­­­­­­dé­­­­­­­­­­­mo­­­­­­­­­­­cra­­­­­­­­­­­tique, mon rôle n’est pas de déter­­­­­­­­­­­mi­­­­­­­­­­­ner que tel courant est légi­­­­­­­­­­­time ou pas. Mais de garan­­­­­­­­­­­tir que chacun ait le choix et pour cela, dispose d’ou­­­­­­­­­­­tils d’ana­­­­­­­­­­­lyse critique et connaisse les diffé­­­­­­­­­­­rents courants.
Même le courant (en réalité les courants) sala­­­­­­­­­­­fiste, tel qu’il est média­­­­­­­­­­­tisé, est mal connu car présenté de façon très simpliste. On colla­­­­­­­­­­­bore aussi avec les mosquées parce que, préci­­­­­­­­­­­sé­­­­­­­­­­­ment, il est impor­­­­­­­­­­­tant de démon­­­­­­­­­­­trer que la multi­­­­­­­­­­­pli­­­­­­­­­­­cité des courants est une réalité de l’Is­­­­­­­­­­­lam, depuis toujours. Et après un an et demi de travail, ces colla­­­­­­­­­­­bo­­­­­­­­­­­ra­­­­­­­­­­­tions sont rendues de plus en plus évidentes. D’abord parce que l’ac­­­­­­­­­­­tua­­­­­­­­­­­lité y pousse, ensuite parce que les initia­­­­­­­­­­­tives prises renouent des liens de confiance.

Du côté fédé­­­­­­­­­­­ral, le gouver­­­­­­­­­­­ne­­­­­­­­­­­ment a surtout commu­­­­­­­­­­­niqué sur le Plan Canal qui concer­­­­­­­­­­­nait un certain nombre de communes, surtout bruxel­­­­­­­­­­­loises, dont Molen­­­­­­­­­­­beek. Ce plan prévoit plusieurs volets ; judi­­­­­­­­­­­ciaire, sécu­­­­­­­­­­­ri­­­­­­­­­­­taire, et notam­­­­­­­­­­­ment des moyens supplé­­­­­­­­­­­men­­­­­­­­­­­taires pour la police. Quelle évalua­­­­­­­­­­­tion en faites-vous ? Dans quelle mesure répond-il à des besoins ?

Il y a eu en effet des moyens pour la police. On manque cruel­­­­­­­­­­­le­­­­­­­­­­­ment de poli­­­­­­­­­­­ciers de proxi­­­­­­­­­­­mité. En revanche, on a donné à ces poli­­­­­­­­­­­ciers des tâches supplé­­­­­­­­­­­men­­­­­­­­­­­taires parfai­­­­­­­­­­­te­­­­­­­­­­­ment inutiles. Jan Jambon voulait « nettoyer Molen­­­­­­­­­­­beek ». Résul­­­­­­­­­­­tat, il a envoyé les agents contrô­­­­­­­­­­­ler l’en­­­­­­­­­­­semble du secteur asso­­­­­­­­­­­cia­­­­­­­­­­­tif, alimen­­­­­­­­­­­tant ainsi un senti­­­­­­­­­­­ment de méfiance visà- vis des insti­­­­­­­­­­­tu­­­­­­­­­­­tions. Cela me révolte parce que cela donne l’image d’un secteur asso­­­­­­­­­­­cia­­­­­­­­­­­tif complice, alors qu’au contraire la société civile est la meilleure alliée des auto­­­­­­­­­­­ri­­­­­­­­­­­tés contre l’émer­­­­­­­­­­­gence ou le renfor­­­­­­­­­­­ce­­­­­­­­­­­ment d’idées radi­­­­­­­­­­­cales et anti­­­­­­­­­­­dé­­­­­­­­­­­mo­­­­­­­­­­­cra­­­­­­­­­­­tiques. C’est décou­­­­­­­­­­­ra­­­­­­­­­­­geant de voir le gouver­­­­­­­­­­­ne­­­­­­­­­­­ment fédé­­­­­­­­­­­ral et l’Union
euro­­­­­­­­­­­péenne miser tout sur le sécu­­­­­­­­­­­ri­­­­­­­­­­­taire. Arrê­­­­­­­­­­­ter des leaders, stop­­­­­­­­­­­per du trafic d’armes est néces­­­­­­­­­­­saire bien sûr. Mais à la base du terro­­­­­­­­­­­risme, qu’y a-t-il d’abord ? Des idées. Il faut se deman­­­­­­­­­­­der par quel moyen les combattre. Ce qu’on met en place risque au contraire de contri­­­­­­­­­­­buer à les alimen­­­­­­­­­­­ter.

Deman­­­­­­­­­­­dons-nous ce qui fait le succès de ces idées actuel­­­­­­­­­­­le­­­­­­­­­­­ment. Pas seule­­­­­­­­­­­ment celles de Daech d’ailleurs, mais aussi de l’ex­­­­­­­­­­­trême droite. La bonne réponse poli­­­­­­­­­­­tique est-elle dans le contrôle admi­­­­­­­­­­­nis­­­­­­­­­­­tra­­­­­­­­­­­tif des asso­­­­­­­­­­­cia­­­­­­­­­­­tions, dans la limi­­­­­­­­­­­ta­­­­­­­­­­­tion du secret profes­­­­­­­­­­­sion­­­­­­­­­­­nel des travailleurs sociaux ? Comme si les unes étaient des complices et les autres inca­­­­­­­­­­­pables de discer­­­­­­­­­­­ne­­­­­­­­­­­ment ? Est-ce une bonne réponse que de disqua­­­­­­­­­­­li­­­­­­­­­­­fier le travail social ?

En prin­­­­­­­­­­­cipe le Plan Canal comprend aussi un volet consa­­­­­­­­­­­cré à la préven­­­­­­­­­­­tion. Cela a-t-il concrè­­­­­­­­­­­te­­­­­­­­­­­ment apporté des moyens supplé­­­­­­­­­­­men­­­­­­­­­­­taires ?

Il y a en effet un volet préven­­­­­­­­­­­tion par lequel le ministre a accordé une enve­­­­­­­­­­­loppe de 150.000 €. Par contre, ce volet a été délé­­­­­­­­­­­gué sans aucune forme de coor­­­­­­­­­­­di­­­­­­­­­­­na­­­­­­­­­­­tion fédé­­­­­­­­­­­rale aux autres niveaux de pouvoir et la Région ne l’a pas prise en mains non plus. Certes, elle a financé des choses utiles dont nous nous servons, comme des pièces de théâtre par exemple. Mais le défi essen­­­­­­­­­­­tiel consiste à appro­­­­­­­­­­­cher les jeunes qui se trouvent le plus à la marge de la société, et qui ne vont pas voir ces pièces. Plus fonda­­­­­­­­­­­men­­­­­­­­­­­ta­­­­­­­­­­­le­­­­­­­­­­­ment encore, même avec des éduca­­­­­­­­­­­teurs de rues supplé­­­­­­­­­­­men­­­­­­­­­­­taires, rien ne chan­­­­­­­­­­­gera vrai­­­­­­­­­­­ment si l’on ne rend pas l’en­­­­­­­­­­­sei­­­­­­­­­­­gne­­­­­­­­­­­ment moins inéga­­­­­­­­­­­li­­­­­­­­­­­taire, si l’on n’aug­­­­­­­­­­­mente pas l’ac­­­­­­­­­­­cès à la culture, si l’on ne lutte pas effi­­­­­­­­­­­ca­­­­­­­­­­­ce­­­­­­­­­­­ment contre l’ex­­­­­­­­­­­clu­­­­­­­­­­­sion écono­­­­­­­­­­­mique et sociale. J’en vois les consé­quences tous les jours dans mon quar­­­­­­­­­­­tier. C’est là qu’il faut mettre les moyens.

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