Analyses

Reve­nus et richesse en Belgique : Le grand écart (décembre 2017)

Auteure : Monique Van Dieren, Contrastes décembre 2017, p8–9

Les 10% des Belges les plus riches détiennent 44% des richesses. Et parmi eux, le 1% des plus riches possède autant que la moitié des Belges. Pour­­­­­­­­­­­tant, la Belgique est consi­­­­­­­­­­­dé­­­­­­­­­­­rée au niveau inter­­­­­­­­­­­­­­­­­­­­­na­­­­­­­­­­­tio­­­­­­­­­­­nal comme peu inéga­­­­­­­­­­­li­­­­­­­­­­­taire en termes de reve­­­­­­­­­­­nus. Para­­­­­­­­­­­doxal ? Pas du tout. Car il faut faire la diffé­­­­­­­­­­­rence entre les reve­­­­­­­­­­­nus et la richesse. Et c’est là que le bât blesse.

La vague inéga­­­­­­­­­­­li­­­­­­­­­­­taire a-t-elle atteint la Belgique ? C’est la ques­­­­­­­­­­­tion à laquelle tente de répondre Chris­­­­­­­­­­­tian Valen­­­­­­­­­­­duc, dans un tout récent dossier du CRISP1. Pour lui, la réponse est nuan­­­­­­­­­­­cée. En analy­­­­­­­­­­­sant les statis­­­­­­­­­­­tiques des vingt dernières années, il pointe effec­­­­­­­­­­­ti­­­­­­­­­­­ve­­­­­­­­­­­ment un accrois­­­­­­­­­­­se­­­­­­­­­­­ment des inéga­­­­­­­­­­­li­­­­­­­­­­­tés entre les reve­­­­­­­­­­­nus du travail et ceux du capi­­­­­­­­­­­tal. Mais selon lui, “la vague inéga­­­­­­­­­­­li­­­­­­­­­­­taire n’a pas submergé la Belgique, même si elle leur a mouillé les pieds, et même un peu les jambes”.
Cette nuance est corro­­­­­­­­­­­bo­­­­­­­­­­­rée par les compa­­­­­­­­­­­rai­­­­­­­­­­­sons inter­­­­­­­­­­­­­­­­­­­­­na­­­­­­­­­­­tio­­­­­­­­­­­nales. Alors que l’écart moyen entre les 20% des plus riches et les 20% les plus pauvres est de 5,2 dans l’UE, cet écart n’est “que” de 3,8 en Belgique2. Pour Chris­­­­­­­­­­­tian Valen­­­­­­­­­­­duc, la Belgique résiste mieux que d’autres pays à la montée des inéga­­­­­­­­­­­li­­­­­­­­­­­tés de reve­­­­­­­­­­­nus, notam­­­­­­­­­­­ment grâce aux proces­­­­­­­­­­­sus insti­­­­­­­­­­­tu­­­­­­­­­­­tion­­­­­­­­­­­nels de négo­­­­­­­­­­­cia­­­­­­­­­­­tion des salaires, le taux de syndi­­­­­­­­­­­ca­­­­­­­­­­­li­­­­­­­­­­­sa­­­­­­­­­­­tion et le salaire mini­­­­­­­­­­­mum.

Mais creu­­­­­­­­­­­sons ce constat géné­­­­­­­­­­­ral pour savoir en quoi les inéga­­­­­­­­­­­li­­­­­­­­­­­tés ont cepen­­­­­­­­­­­dant mouillé les pieds et même les jambes des Belges…

Dispa­­­­­­­­­­­rité de reve­­­­­­­­­­­nus

Selon les dernières statis­­­­­­­­­­­tiques publiées par le SPF Econo­­­­­­­­­­­mie3, le sala­­­­­­­­­­­rié belge qui travaille à temps plein gagnait en moyenne 3.445 € bruts par mois en 2015. Un chiffre qui peut paraître élevé mais qui cache une réalité plus complexe, car en réalité une majo­­­­­­­­­­­rité de Belges ne gagnent pas cette moyenne. En effet, 53% de la popu­­­­­­­­­­­la­­­­­­­­­­­tion gagne entre 2.000 et 3.250 €. Un écart qui s’ex­­­­­­­­­­­plique notam­­­­­­­­­­­ment par le nombre élevé de personnes (6%) qui gagnent plus de 6.000 € par mois, et dont l’aug­­­­­­­­­­­men­­­­­­­­­­­ta­­­­­­­­­­­tion est parti­­­­­­­­­­­cu­­­­­­­­­­­liè­­­­­­­­­­­re­­­­­­­­­­­ment signi­­­­­­­­­­­fi­­­­­­­­­­­ca­­­­­­­­­­­tive depuis la crise finan­­­­­­­­­­­cière de 2008. Un para­­­­­­­­­­­doxe qu’il est utile de souli­­­­­­­­­­­gner car ce phéno­­­­­­­­­­­mène montre bien que la crise finan­­­­­­­­­­­cière a eu un impact sur l’aug­­­­­­­­­­­men­­­­­­­­­­­ta­­­­­­­­­­­tion des inéga­­­­­­­­­­­li­­­­­­­­­­­tés sala­­­­­­­­­­­riales en Belgique.

Les secteurs d’ac­­­­­­­­­­­ti­­­­­­­­­­­vi­­­­­­­­­­­tés les plus rému­­­­­­­­­­­né­­­­­­­­­­­ra­­­­­­­­­­­teurs sont sans grosse surprise l’in­­­­­­­­­­­dus­­­­­­­­­­­trie pétro­­­­­­­­­­­lière, les acti­­­­­­­­­­­vi­­­­­­­­­­­tés de consul­­­­­­­­­­­tance et de gestion, l’in­­­­­­­­­­­for­­­­­­­­­­­ma­­­­­­­­­­­tique, les services finan­­­­­­­­­­­ciers, l’in­­­­­­­­­­­dus­­­­­­­­­­­trie phar­­­­­­­­­­­ma­­­­­­­­­­­ceu­­­­­­­­­­­tique. Au bas de l’échelle sala­­­­­­­­­­­riale, on retrouve l’Ho­­­­­­­­­­­reca, l’hô­­­­­­­­­­­tel­­­­­­­­­­­le­­­­­­­­­­­rie, le commerce de détail, la collecte et le trai­­­­­­­­­­­te­­­­­­­­­­­ment des déchets, le bâti­­­­­­­­­­­ment.

Selon la FGTB4, 130.000 sala­­­­­­­­­­­riés gagnent le salaire mini­­­­­­­­­­­mum (ou 5% au-dessus) qui est fixé à 1.531 € bruts. Un montant très insuf­­­­­­­­­­­fi­­­­­­­­­­­sant pour garan­­­­­­­­­­­tir une sécu­­­­­­­­­­­rité d’exis­­­­­­­­­­­tence.

 

Les femmes péna­­­­­­­­­­­li­­­­­­­­­­­sées

Jusqu’à présent, nous n’avons évoqué que le salaire des travailleurs à temps plein. Contrai­­­­­­­­­­­re­­­­­­­­­­­ment à ce qu’on pense géné­­­­­­­­­­­ra­­­­­­­­­­­le­­­­­­­­­­­ment, l’écart sala­­­­­­­­­­­rial entre hommes et femmes est encore bien présent dans notre pays. A profes­­­­­­­­­­­sion et à temps de travail égaux, cet écart a effec­­­­­­­­­­­ti­­­­­­­­­­­ve­­­­­­­­­­­ment tendance à dimi­­­­­­­­­­­nuer. Si l’on tient compte des travailleurs à temps plein, l’écart sala­­­­­­­­­­­rial global est de 6%. Les femmes occupent en effet davan­­­­­­­­­­­tage d’em­­­­­­­­­­­plois dans les secteurs d’ac­­­­­­­­­­­ti­­­­­­­­­­­vi­­­­­­­­­­­tés les moins bien rému­­­­­­­­­­­né­­­­­­­­­­­rés, et les personnes qui gagnent plus de 6.000 € sont majo­­­­­­­­­­­ri­­­­­­­­­­­tai­­­­­­­­­­­re­­­­­­­­­­­ment des hommes.

Mais si l’on prend en compte la moyenne des salaires mensuels temps plein et temps partiel, la diffé­­­­­­­­­­­rence est de 20%, du fait du nombre nette­­­­­­­­­­­ment plus élevé des femmes qui travaillent à temps partiel. Les mesures prises par ce gouver­­­­­­­­­­­ne­­­­­­­­­­­ment risquent d’ag­­­­­­­­­­­gra­­­­­­­­­­­ver la situa­­­­­­­­­­­tion à cause de la flexi­­­­­­­­­­­bi­­­­­­­­­­­lité accrue du marché du travail, aux restric­­­­­­­­­­­tions sur les crédits-temps, aux mesures en matière de pension, qui touchent majo­­­­­­­­­­­ri­­­­­­­­­­­tai­­­­­­­­­­­re­­­­­­­­­­­ment les femmes.

En dépit d’une rela­­­­­­­­­­­tive stabi­­­­­­­­­­­lité appa­­­­­­­­­­­rente en termes d’iné­­­­­­­­­­­ga­­­­­­­­­­­li­­­­­­­­­­­tés de reve­­­­­­­­­­­nus et du taux de pauvreté, pour les reve­­­­­­­­­­­nus 2009–2014, le SPF Sécu­­­­­­­­­­­rité sociale attire cepen­­­­­­­­­­­dant l’at­­­­­­­­­­­ten­­­­­­­­­­­tion sur le risque de pauvreté des travailleurs peu quali­­­­­­­­­­­fiés, qui a forte­­­­­­­­­­­ment augmenté. Il s’élève à près de 31% ; alors qu’il n’était que de 18,8% en 2006. Diffé­­­­­­­­­­­rents indi­­­­­­­­­­­ca­­­­­­­­­­­teurs concordent : le risque de pauvreté, le taux de priva­­­­­­­­­­­tion maté­­­­­­­­­­­rielle grave et le faible taux d’em­­­­­­­­­­­ploi indiquent tous des risques accrus et une pola­­­­­­­­­­­ri­­­­­­­­­­­sa­­­­­­­­­­­tion entre diffé­­­­­­­­­­­rentes caté­­­­­­­­­­­go­­­­­­­­­­­ries de la popu­­­­­­­­­­­la­­­­­­­­­­­tion. Parmi les plus vulné­­­­­­­­­­­rables, la situa­­­­­­­­­­­tion sociale de certaines d’entre elles est très inquié­­­­­­­­­­­tante, notam­­­­­­­­­­­ment les personnes issues de l’im­­­­­­­­­­­mi­­­­­­­­­­­gra­­­­­­­­­­­tion (qui subissent une forte discri­­­­­­­­­­­mi­­­­­­­­­­­na­­­­­­­­­­­tion à l’em­­­­­­­­­­­bauche et dans le loge­­­­­­­­­­­ment) et les familles mono­­­­­­­­­­­pa­­­­­­­­­­­ren­­­­­­­­­­­tales (en parti­­­­­­­­­­­cu­­­­­­­­­­­lier les femmes).

La sécu­­­­­­­­­­­rité sociale joue-t-elle encore son rôle de correc­­­­­­­­­­­teur des inéga­­­­­­­­­­­li­­­­­­­­­­­tés ? De l’aveu même du SPF Protec­­­­­­­­­­­tion sociale, même si l’ef­­­­­­­­­­­fet correc­­­­­­­­­­­teur de la sécu­­­­­­­­­­­rité sociale reste plus élevé en Belgique que la moyenne euro­­­­­­­­­­­péenne (44% en Belgique, contre 33% dans la moyenne euro­­­­­­­­­­­péenne), l’ef­­­­­­­­­­­fi­­­­­­­­­­­ca­­­­­­­­­­­cité de la sécu est en baisse conti­­­­­­­­­­­nue depuis 2005, en parti­­­­­­­­­­­cu­­­­­­­­­­­lier pour les personnes dont c’est la source prin­­­­­­­­­­­ci­­­­­­­­­­­pale de reve­­­­­­­­­­­nus (chômeurs, pension­­­­­­­­­­­nés, malades de longue durée…).

Ecarts de richesses

Si les écarts de reve­­­­­­­­­­­nus sont rela­­­­­­­­­­­ti­­­­­­­­­­­ve­­­­­­­­­­­ment stables en Belgique, les ménages à hauts reve­­­­­­­­­­­nus disposent en règle géné­­­­­­­­­­­rale d’un patri­­­­­­­­­­­moine élevé. Selon une enquête réali­­­­­­­­­­­sée en 2015 par la HFSC5, la part du patri­­­­­­­­­­­moine net global en Belgique déte­­­­­­­­­­­nue par les 20% des ménages les plus riches s’est main­­­­­­­­­­­te­­­­­­­­­­­nue aux alen­­­­­­­­­­­tours de 60% en 2014. Parmi eux, les 10% des ménages les plus nantis possèdent 44% et le 1% le plus riche possède 12%. Les auteurs de l’enquête soulignent que les résul­­­­­­­­­­­tats sont suscep­­­­­­­­­­­tibles de sous-esti­­­­­­­­­­­mer la richesse au sommet de la pyra­­­­­­­­­­­mide puisque les ménages les plus riches d’entre les riches ne figurent géné­­­­­­­­­­­ra­­­­­­­­­­­le­­­­­­­­­­­ment pas parmi les répon­­­­­­­­­­­dants.
En termes socio­­­­­­­­­­­lo­­­­­­­­­­­giques, la répar­­­­­­­­­­­ti­­­­­­­­­­­tion des reve­­­­­­­­­­­nus suit d’as­­­­­­­­­­­sez près celle du patri­­­­­­­­­­­moine. Il existe cepen­­­­­­­­­­­dant aussi des ménages à faibles reve­­­­­­­­­­­nus mais dont le patri­­­­­­­­­­­moine est élevé (par exemple des retrai­­­­­­­­­­­tés ou des personnes ayant hérité) : 6% des ménages du quin­­­­­­­­­­­tile de reve­­­­­­­­­­­nus infé­­­­­­­­­­­rieur se retrouvent dans le quin­­­­­­­­­­­tile de patri­­­­­­­­­­­moine supé­­­­­­­­­­­rieur. À l’autre bout de l’éven­­­­­­­­­­­tail figurent des ménages à reve­­­­­­­­­­­nus élevés mais patri­­­­­­­­­­­moine faible (comme des ménages à deux reve­­­­­­­­­­­nus de jeunes haute­­­­­­­­­­­ment quali­­­­­­­­­­­fiés) : 4% des ménages du quin­­­­­­­­­­­tile de reve­­­­­­­­­­­nus le plus haut se trouvent dans le quin­­­­­­­­­­­tile de patri­­­­­­­­­­­moine le plus bas. La situa­­­­­­­­­­­tion parfois diffi­­­­­­­­­­­cile dans laquelle se retrouvent les personnes isolées, surtout avec enfants, se reflète dans les chiffres : la plupart se retrouvent dans les quin­­­­­­­­­­­tiles de reve­­­­­­­­­­­nus et de patri­­­­­­­­­­­moine infé­­­­­­­­­­­rieurs.
Si l’IPP (impôt des personnes physiques) corrige légè­­­­­­­­­­­re­­­­­­­­­­­ment les inéga­­­­­­­­­­­li­­­­­­­­­­­tés de reve­­­­­­­­­­­nus, le patri­­­­­­­­­­­moine (capi­­­­­­­­­­­tal et immo­­­­­­­­­­­bi­­­­­­­­­­­lier) est nette­­­­­­­­­­­ment moins, voire pas taxé en Belgique, comme l’ex­­­­­­­­­­­plique Daniel Puis­­­­­­­­­­­sant dans l’in­­­­­­­­­­­ter­­­­­­­­­­­view qui suit. Et c’est sans comp­­­­­­­­­­­ter sur la fraude et l’éva­­­­­­­­­­­sion fiscales qui échappent aux radars des contrôles et des enquê­­­­­­­­­­­tes…

  1. Chris­­­­­­­­­­­tian Valen­­­­­­­­­­­duc, Distri­­­­­­­­­­­bu­­­­­­­­­­­tion et redis­­­­­­­­­­­tri­­­­­­­­­­­bu­­­­­­­­­­­tion des reve­­­­­­­­­­­nus : évolu­­­­­­­­­­­tion des inéga­­­­­­­­­­­li­­­­­­­­­­­tés en Belgique, Cour­­­­­­­­­­­rier hebdo­­­­­­­­­­­ma­­­­­­­­­­­daire du CRISP n°2346–2347, novembre 2017
  2. The evolu­­­­­­­­­­­tion of the social situa­­­­­­­­­­­tion and social protec­­­­­­­­­­­tion in Belgium 2017. Chiffres EU-SILK, Euro­s­­­­­­­­­­tat.
  3. Statis­­­­­­­­­­­tiques et graphiques du SPF Econo­­­­­­­­­­­mie synthé­­­­­­­­­­­ti­­­­­­­­­­­sés dans un article RTBF en ligne, Adeline Louvi­­­­­­­­­­­gny, 26/10/2017, Le sala­­­­­­­­­­­rié belge gagne en moyenne 3.445€, https://www.rtbf.be/info/econo­­­­­­­­­­­mie/detail_lebelge-gagne-en-moyenne-3445-euros-un-chiffre-quicache-une-realite-plus-complexe?id=9717634
  4. Baro­­­­­­­­­­­mètre socio-écono­­­­­­­­­­­mique 2017, FGTB, oct. 2017
  5. Enquête de patri­­­­­­­­­­­moine menée par la « House­­­­­­­­­­­hold Finance and Consump­­­­­­­­­­­tion Network (HFCN) » au niveau euro­­­­­­­­­­­péen. Extraits du commu­­­­­­­­­­­niqué de presse publié dans la Revue écono­­­­­­­­­­­mique de septembre 2016.

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