Analyses

LA TRANSITION ÉNERGÉTIQUE NÉCESSITE DES CHOIX DRASTIQUES (Février 2022)

Inter­­­­­­­view réali­­­­­­­sée par Monique Van Dieren, Contrastes février 2022, p 13 à 16

A l’heure de la relance écono­­­­­­­mique, la tran­­­­­­­si­­­­­­­tion éner­­­­­­­gé­­­­­­­tique est plus que jamais au coeur des débats. Celle-ci ne peut se faire sans réflexion sur l’im­­­­­­­pact social des mesures écolo­­­­­­­giques. Grégoire Wallen­­­­­­­born, cher­­­­­­­cheur à l’ULB, y est parti­­­­­­­cu­­­­­­­liè­­­­­­­re­­­­­­­ment atten­­­­­­­tif. Il nous explique les para­­­­­­­doxes de la tran­­­­­­­si­­­­­­­tion et prône des solu­­­­­­­tions collec­­­­­­­tives qui sortent des sentiers battus.

© Equipes Popu­­­­­­­laires

Grégoire Wallen­­­­­­­born est ensei­­­­­­­gnant, cher­­­­­­­cheur à l’Ins­­­­­­­ti­­­­­­­tut de gestion de l’en­­­­­­­vi­­­­­­­ron­­­­­­­ne­­­­­­­ment et de l’amé­­­­­­­na­­­­­­­ge­­­­­­­ment du terri­­­­­­­toire (IGEAT-ULB) et coor­­­­­­­di­­­­­­­na­­­­­­­teur du projet Voisins d’Ener­­­­­­­gie. Marie-Char­­­­­­­lotte Noël, une de ses colla­­­­­­­bo­­­­­­­ra­­­­­­­trices à l’IGEAT ULB, a égale­­­­­­­ment parti­­­­­­­cipé à notre entre­­­­­­­tien.

 Contrastes : Pour les acteurs du néoli­­­­­­­bé­­­­­­­ra­­­­­­­lisme, le réchauf­­­­­­­fe­­­­­­­ment clima­­­­­­­tique semble être une oppor­­­­­­­tu­­­­­­­nité pour le déve­­­­­­­lop­­­­­­­pe­­­­­­­ment d’un nouveau marché. N’est-ce pas un voile de fumée qui s’adresse à ceux, de plus en plus nombreux, qui sont convain­­­­­­­cus des limites de la crois­­­­­­­sance ?

 Grégoire Wallen­­­­­­­born : Cela fait plus de 50 ans qu’il y a des alertes par rapport au chan­­­­­­­ge­­­­­­­ment clima­­­­­­­tique. Les connais­­­­­­­sances se sont appro­­­­­­­fon­­­­­­­dies grâce aux études du GIEC. A l’époque, les tech­­­­­­­no­­­­­­­lo­­­­­­­gies n’étaient pas très déve­­­­­­­lop­­­­­­­pées pour affron­­­­­­­ter ce problème. Aujourd’­­­­­­­hui, le marché et toutes les poli­­­­­­­tiques néoli­­­­­­­bé­­­­­­­rales se basent sur l’in­­­­­­­no­­­­­­­va­­­­­­­tion tech­­­­­­­no­­­­­­­lo­­­­­­­gique. Tant qu’elles n’exis­­­­­­­taient pas, on s’in­­­­­­­té­­­­­­­res­­­­­­­sait peu à la tran­­­­­­­si­­­­­­­tion éner­­­­­­­gé­­­­­­­tique. Dès les années 70, Amory Lovins parlait de la tran­­­­­­­si­­­­­­­tion avec une voie douce (soft path) et une voie dure (hard path). La voie dure consiste à déployer des infra­s­­­­­­truc­­­­­­­tures éner­­­­­­­gé­­­­­­­tiques centra­­­­­­­li­­­­­­­sées et rela­­­­­­­ti­­­­­­­ve­­­­­­­ment inflexibles, tandis que la voie douce est celle de la décen­­­­­­­tra­­­­­­­li­­­­­­­sa­­­­­­­tion et la sobriété. Cette voie-ci n’a jamais été emprun­­­­­­­tée à large échelle. Or, c’est celle qu’on va devoir emprun­­­­­­­ter.
La ques­­­­­­­tion de la suffi­­­­­­­sance (c’est-à-dire la quan­­­­­­­tité d’éner­­­­­­­gie produite) est très peu abor­­­­­­­dée. Or, tous les scéna­­­­­­­rios avec 100% d’éner­­­­­­­gie renou­­­­­­­ve­­­­­­­lable disent qu’il va falloir réduire dras­­­­­­­tique­­­­­­­ment la produc­­­­­­­tion et la consom­­­­­­­ma­­­­­­­tion d’éner­­­­­­­gie. Et il y a une corré­­­­­­­la­­­­­­­tion étroite entre la consom­­­­­­­ma­­­­­­­tion d’éner­­­­­­­gie et le PIB. Donc réduire la consom­­­­­­­ma­­­­­­­tion, c’est forcé­­­­­­­ment réduire le PIB, la crois­­­­­­­sance. C’est parfai­­­­­­­te­­­­­­­ment envi­­­­­­­sa­­­­­­­geable à condi­­­­­­­tion d’être atten­­­­­­­tifs à la justice sociale.

Les poli­­­­­­­tiques sont en tension perma­­­­­­­nente entre d’un côté les contraintes géolo­­­­­­­giques, les limites des ressources plané­­­­­­­taires et les consé­quences des acti­­­­­­­vi­­­­­­­tés humaines, et de l’autre côté les contraintes d’ordre écono­­­­­­­mico-poli­­­­­­­tiques pour main­­­­­­­te­­­­­­­nir un système mori­­­­­­­bond. On n’a pas les insti­­­­­­­tu­­­­­­­tions poli­­­­­­­tiques qui nous permettent de penser à long terme. Donc on fait comme si on pouvait conti­­­­­­­nuer comme avant.

Quel est le rôle des citoyens dans la tran­­­­­­­si­­­­­­­tion éner­­­­­­­gé­­­­­­­tique ? Quel équi­­­­­­­libre entre sur-respon­­­­­­­sa­­­­­­­bi­­­­­­­li­­­­­­­sa­­­­­­­tion et déres­­­­­­­pon­­­­­­­sa­­­­­­­bi­­­­­­­li­­­­­­­sa­­­­­­­tion ? Entre une approche indi­­­­­­­vi­­­­­­­duelle et collec­­­­­­­tive ?

 Je pense qu’il faut agir à plusieurs niveaux. Au niveau indi­­­­­­­vi­­­­­­­duel, il faut travailler sur l’ef­­­­­­­fi­­­­­­­cience éner­­­­­­­gé­­­­­­­tique mais aussi sur la sobriété (consom­­­­­­­mer moins, ralen­­­­­­­tir…). Il y a des aspects collec­­­­­­­tifs indé­­­­­­­niables qui sont géné­­­­­­­ra­­­­­­­le­­­­­­­ment sous-esti­­­­­­­més et qui relèvent des normes et de l’or­­­­­­­ga­­­­­­­ni­­­­­­­sa­­­­­­­tion sociale (dans le domaine du travail par exemple). Et puis il y a les ques­­­­­­­tions poli­­­­­­­tiques, sur lesquelles les citoyens peuvent s’or­­­­­­­ga­­­­­­­ni­­­­­­­ser pour faire pres­­­­­­­sion ou déve­­­­­­­lop­­­­­­­per eux-mêmes des alter­­­­­­­na­­­­­­­tives.
A cet égard, une étude inté­­­­­­­res­­­­­­­sante de Carbone 41 montre que si un ménage moyen fait un effort raison­­­­­­­nable (pas déme­­­­­­­suré) pour réduire son empreinte carbone, cela parti­­­­­­­ci­­­­­­­pe­­­­­­­rait au quart de la réduc­­­­­­­tion des émis­­­­­­­sions de gaz à effet de serre néces­­­­­­­saire pour ne pas dépas­­­­­­­ser le budget carbone compa­­­­­­­tible avec un climat pas trop déré­­­­­­­glé. Le reste dépend des mesures struc­­­­­­­tu­­­­­­­relles, systé­­­­­­­miques. Le poids de la tran­­­­­­­si­­­­­­­tion sur les indi­­­­­­­vi­­­­­­­dus n’est donc pas négli­­­­­­­geable, mais ce n’est pas l’es­­­­­­­sen­­­­­­­tiel à entre­­­­­­­prendre. Car en tant qu’in­­­­­­­di­­­­­­­vidu, on est dépen­­­­­­­dant des moyens de trans­­­­­­­port, de l’iso­­­­­­­la­­­­­­­tion de son loge­­­­­­­ment, de la faculté d’in­­­­­­­ves­­­­­­­tir ou non dans des appa­­­­­­­reils économes en éner­­­­­­­gie ou dans les éner­­­­­­­gies renou­­­­­­­ve­­­­­­­lables, etc.

Après, il reste la sobriété. Mais le faire tout seul, c’est très compliqué car on est confronté à des obstacles sociaux. Le problème, c’est de déve­­­­­­­lop­­­­­­­per un éven­­­­­­­tail d’ac­­­­­­­tions qui soient cohé­­­­­­­rentes. On ne peut pas deman­­­­­­­der aux ménages les plus pauvres (et même aux reve­­­­­­­nus moyens) de faire des efforts si les riches conti­­­­­­­nuent à consom­­­­­­­mer toujours davan­­­­­­­tage. Si on ne limite pas la consom­­­­­­­ma­­­­­­­tion des plus riches, on ne convain­­­­­­­cra pas ceux qui sont moins respon­­­­­­­sables du dérè­­­­­­­gle­­­­­­­ment du climat de faire des efforts, et à juste titre, ils ne le feront pas.
En respon­­­­­­­sa­­­­­­­bi­­­­­­­li­­­­­­­sant unique­­­­­­­ment les indi­­­­­­­vi­­­­­­­dus, cela permet aux autres acteurs de se déres­­­­­­­pon­­­­­­­sa­­­­­­­bi­­­­­­­li­­­­­­­ser. Cela corres­­­­­­­pond bien à toutes les poli­­­­­­­tiques néoli­­­­­­­bé­­­­­­­rales déve­­­­­­­lop­­­­­­­pées depuis les années 80 qui mettent en avant ce choix et cette respon­­­­­­­sa­­­­­­­bi­­­­­­­lité de l’in­­­­­­­di­­­­­­­vidu qui aurait toutes les capa­­­­­­­ci­­­­­­­tés d’ac­­­­­­­tion dans ses mains, alors que la part la plus impor­­­­­­­tante de l’ef­­­­­­­fort doit être collec­­­­­­­tif.

Des études montrent2 que plus on est riche, plus on consomme de l’éner­­­­­­­gie, plus on pollue, peu importe le degré de sensi­­­­­­­bi­­­­­­­li­­­­­­­sa­­­­­­­tion envi­­­­­­­ron­­­­­­­ne­­­­­­­men­­­­­­­tale. Comment expliquer qu’on reste massi­­­­­­­ve­­­­­­­ment dans l’idée que pour chan­­­­­­­ger, il faut « conscien­­­­­­­ti­­­­­­­ser les gens », alors que ça n’a pas (ou très peu) d’im­­­­­­­pact sur l’em­­­­­­­preinte carbone ?

 C’est logique que les plus riches consomment plus d’éner­­­­­­­gie, puisque le pouvoir d’achat repré­­­­­­­sente en réalité une capa­­­­­­­cité de préda­­­­­­­tion des ressources de la planète (ex. prendre régu­­­­­­­liè­­­­­­­re­­­­­­­ment l’avion).
Ce qu’il faut souli­­­­­­­gner, c’est que les inéga­­­­­­­li­­­­­­­tés sont diffé­­­­­­­rentes selon les échelles. C’est certai­­­­­­­ne­­­­­­­ment vrai au niveau mondial, mais au niveau belge, il n’y a pas tant de diffé­­­­­­­rences de consom­­­­­­­ma­­­­­­­tion d’éner­­­­­­­gie entre un ménage riche ou pauvre, à part dans les déciles extrêmes de reve­­­­­­­nus. Pourquoi ? Parce que si les ménages les plus riches disposent de plus grands loge­­­­­­­ments, ils les ont aussi mieux isolés, ont installé des panneaux photo­­­­­­­vol­­­­­­­taïques, etc. Tandis que les loge­­­­­­­ments sociaux ou l’ha­­­­­­­bi­­­­­­­tat ancien sont géné­­­­­­­ra­­­­­­­le­­­­­­­ment des passoires éner­­­­­­­gé­­­­­­­tiques.
Chez nous, la diffé­­­­­­­rence de consom­­­­­­­ma­­­­­­­tion entre riches et pauvres se fait surtout sur le trans­­­­­­­port. La voiture d’abord, même si de nombreux travailleurs ont besoin d’une voiture pour aller travailler. Mais aussi l’avion, où les diffé­­­­­­­rences sociales sont très marquées.
Un autre élément systé­­­­­­­mique qui entre en ligne de compte dans le lissage des inéga­­­­­­­li­­­­­­­tés de consom­­­­­­­ma­­­­­­­tion d’éner­­­­­­­gie, c’est le fait que les pays riches ont des infra­s­­­­­­truc­­­­­­­tures publiques plus four­­­­­­­nies. Or, on attri­­­­­­­bue la consom­­­­­­­ma­­­­­­­tion d’éner­­­­­­­gie de ces infra­s­­­­­­truc­­­­­­­tures de manière linéaire à l’en­­­­­­­semble de la popu­­­­­­­la­­­­­­­tion, même si une partie d’entre elle ne les utilise pas ou peu. A ce niveau, il y a des aspects systé­­­­­­­miques qu’il faut essayer de décryp­­­­­­­ter.

Pour reve­­­­­­­nir à la ques­­­­­­­tion de la sensi­­­­­­­bi­­­­­­­li­­­­­­­sa­­­­­­­tion, c’est effec­­­­­­­ti­­­­­­­ve­­­­­­­ment impor­­­­­­­tant. On peut voir dans notre entou­­­­­­­rage des personnes très sensi­­­­­­­bi­­­­­­­li­­­­­­­sées qui font certaines choses pour réduire leur impact écolo­­­­­­­gique, mais ce sont en géné­­­­­­­ral des gens qui choi­­­­­­­sissent leurs actions là où ils ont la capa­­­­­­­cité de le faire. Déjà en 2007, je défi­­­­­­­nis­­­­­­­sais la sensi­­­­­­­bi­­­­­­­li­­­­­­­sa­­­­­­­tion dans ces termes : Du point de vue de l’en­­­­­­­vi­­­­­­­ron­­­­­­­ne­­­­­­­ment, ne vaut-il pas mieux être pauvre et mal informé que riche et conscien­­­­­­­tisé ?3 En d’autres mots, ce qui est domi­­­­­­­nant dans l’em­­­­­­­preinte carbone, ce n’est pas le niveau de conscien­­­­­­­ti­­­­­­­sa­­­­­­­tion des gens mais leur pouvoir d’achat et donc leur pouvoir de préda­­­­­­­tion des ressources natu­­­­­­­relles. Dans ces ressources, il y a la consom­­­­­­­ma­­­­­­­tion directe mais aussi indi­­­­­­­recte. Par exemple le maté­­­­­­­riel infor­­­­­­­ma­­­­­­­tique qui est une énorme source de consom­­­­­­­ma­­­­­­­tion d’éner­­­­­­­gie.

©-Pixa­­­­­­­bay

La tran­­­­­­­si­­­­­­­tion éner­­­­­­­gé­­­­­­­tique est consi­­­­­­­dé­­­­­­­rée comme une urgence depuis de nombreuses années, et on a l’im­­­­­­­pres­­­­­­­sion que rien (ou pas grand-chose) ne bouge. Où situez-vous les prin­­­­­­­ci­­­­­­­paux blocages ? Et que mettre en place pour qu’elle soit socia­­­­­­­le­­­­­­­ment juste ?

 Ça avance, mais pas assez vite. Il n’y a pas une seule réponse. D’un point de vue éner­­­­­­­gé­­­­­­­tique, il n’y a pas mieux que le pétrole ! En termes de densité d’éner­­­­­­­gie, d’ac­­­­­­­cès, de trans­­­­­­­port. Ça coule tout seul dans les pipe-lines. Et donc toute substi­­­­­­­tu­­­­­­­tion au pétrole va occa­­­­­­­sion­­­­­­­ner des diffi­­­­­­­cul­­­­­­­tés supplé­­­­­­­men­­­­­­­taires. Pour l’éner­­­­­­­gie solaire ou éolienne qui sont plus diffuses, il faut mettre en place des systèmes pour capter et stocker ces éner­­­­­­­gies. Aujourd’­­­­­­­hui le stockage paraît indis­­­­­­­pen­­­­­­­sable, mais on pour­­­­­­­rait remettre en ques­­­­­­­tion cette néces­­­­­­­sité si on accepte de se dire qu’il y a des moments dans la jour­­­­­­­née ou dans l’an­­­­­­­née où on n’a pas besoin d’au­­­­­­­tant d’éner­­­­­­­gie. Ce n’est pas impen­­­­­­­sable, surtout avec les prévi­­­­­­­sions météo qui se perfec­­­­­­­tionnent. Mais actuel­­­­­­­le­­­­­­­ment, la peur de la pénu­­­­­­­rie repré­­­­­­­sente un des blocages poli­­­­­­­tiques.

Un autre blocage, c’est qu’il n’y a pas de débat collec­­­­­­­tif et struc­­­­­­­turé pour éviter que les petits inté­­­­­­­rêts person­­­­­­­nels ou les rapports de force écono­­­­­­­miques ou insti­­­­­­­tu­­­­­­­tion­­­­­­­nels ne prennent le dessus. Prenons un exemple. Elia, le réseau de trans­­­­­­­port de l’élec­­­­­­­tri­­­­­­­cité haute tension, veut faire une ligne haute tension entre Tour­­­­­­­nai et Char­­­­­­­le­­­­­­­roi. Ils estiment en avoir besoin pour trans­­­­­­­por­­­­­­­ter l’élec­­­­­­­tri­­­­­­­cité produite par les éoliennes offshore (en mer du Nord). De nombreux citoyens ne veulent pas de cette ligne haute tension près de chez eux, et c’est compré­­­­­­­hen­­­­­­­sible d’un point de vue paysa­­­­­­­ger. Mais quand on leur a dit que l’al­­­­­­­ter­­­­­­­na­­­­­­­tive, c’est de dimi­­­­­­­nuer leur consom­­­­­­­ma­­­­­­­tion d’éner­­­­­­­gie, ou de se mobi­­­­­­­li­­­­­­­ser pour créer des commu­­­­­­­nau­­­­­­­tés d’éner­­­­­­­gie, ou encore de mettre une éolienne dans leur jardin, ça ne les enthou­­­­­­­sias­­­­­­­mait pas beau­­­­­­­coup… Ils ont compris que les éoliennes en mer du Nord servaient à compen­­­­­­­ser la ferme­­­­­­­ture des centrales nucléaires. Et donc ils ont dit « alors, on est pour le nucléaire ! »
Il faut que les citoyens soient infor­­­­­­­més et réflé­­­­­­­chissent eux-mêmes à ce qu’ils veulent mettre en place. En France, la Conven­­­­­­­tion citoyenne sur le climat a réuni 150 citoyens tirés au sort, dont la plupart ne connais­­­­­­­saient rien au climat ou étaient même climato-scep­­­­­­­tiques. Ils ont appris plein de choses et ont remis un rapport qui contient une série de mesures qui vont bien plus loin que ce que les poli­­­­­­­tiques sont capables de faire.

Ce n’est sans doute pas suffi­­­­­­­sant pour lever les blocages, mais ça montre que si on donne l’in­­­­­­­for­­­­­­­ma­­­­­­­tion et qu’on met des gens en capa­­­­­­­cité de réflé­­­­­­­chir collec­­­­­­­ti­­­­­­­ve­­­­­­­ment, ils sont à même de conclure des choses bien plus inté­­­­­­­res­­­­­­­santes que le poli­­­­­­­tique. Et c’est une des condi­­­­­­­tions pour que la tran­­­­­­­si­­­­­­­tion soit socia­­­­­­­le­­­­­­­ment juste.
C’est pour cette raison que Marie-Char­­­­­­­lotte et moi étudions les commu­­­­­­­nau­­­­­­­tés d’éner­­­­­­­gie (Voir enca­­­­­­­dré). On a l’im­­­­­­­pres­­­­­­­sion que ça peut être un bon moyen pour les citoyens de s’ap­­­­­­­pro­­­­­­­prier la ques­­­­­­­tion éner­­­­­­­gé­­­­­­­tique ; en deve­­­­­­­nant produc­­­­­­­teurs de leur éner­­­­­­­gie, en discu­­­­­­­tant avec leurs voisins comment la consom­­­­­­­mer, comment répar­­­­­­­tir les béné­­­­­­­fices, etc. Car tant que la produc­­­­­­­tion d’éner­­­­­­­gie est délé­­­­­­­guée à un système de plus en plus complexe et libé­­­­­­­ra­­­­­­­lisé, personne ne comprend, personne ne se sent respon­­­­­­­sable ni en capa­­­­­­­cité d’agir au sein du système actuel.

La fisca­­­­­­­lité verte est-elle un bon levier pour accé­­­­­­­lé­­­­­­­rer la tran­­­­­­­si­­­­­­­tion éner­­­­­­­gé­­­­­­­tique ? Et comment garan­­­­­­­tir que cela ne renforce pas la préca­­­­­­­rité éner­­­­­­­gé­­­­­­­tique ?

 Nous avons toujours eu un souci avec les inci­­­­­­­tants fiscaux car ils ont tendance à creu­­­­­­­ser les inéga­­­­­­­li­­­­­­­tés. On va culpa­­­­­­­bi­­­­­­­li­­­­­­­ser et respon­­­­­­­sa­­­­­­­bi­­­­­­­li­­­­­­­ser les personnes qui n’ont pas les moyens d’agir sur leur consom­­­­­­­ma­­­­­­­tion d’éner­­­­­­­gie pendant que les autres auront la possi­­­­­­­bi­­­­­­­lité d’iso­­­­­­­ler leur loge­­­­­­­ment, d’ins­­­­­­­tal­­­­­­­ler des panneaux solaires, etc. Il y a actuel­­­­­­­le­­­­­­­ment un gros débat autour de la taxe carbone. Si on veut qu’elle ne péna­­­­­­­lise pas les ménages déjà défa­­­­­­­vo­­­­­­­ri­­­­­­­sés, il faut mettre en place une série de correc­­­­­­­tifs, et on obtient alors un système assez complexe à gérer.
Une autre option qui est débat­­­­­­­tue, c’est un système de quota non échan­­­­­­­geable : chaque indi­­­­­­­vidu a droit à une quan­­­­­­­tité déter­­­­­­­mi­­­­­­­née de carbone par an. Et c’est à lui de déci­­­­­­­der ce qu’il veut en faire. On pour­­­­­­­rait commen­­­­­­­cer par appliquer ce système à la consom­­­­­­­ma­­­­­­­tion directe d’éner­­­­­­­gie (élec­­­­­­­tri­­­­­­­cité, chauf­­­­­­­fage, trans­­­­­­­port) et pas sur les consom­­­­­­­ma­­­­­­­tions indi­­­­­­­rectes (alimen­­­­­­­ta­­­­­­­tion, infor­­­­­­­ma­­­­­­­tique, maté­­­­­­­riaux de construc­­­­­­­tion…). On aurait déjà une mesure rela­­­­­­­ti­­­­­­­ve­­­­­­­ment juste. Mais il faut progres­­­­­­­si­­­­­­­ve­­­­­­­ment mettre en place des poli­­­­­­­tiques publiques pour corri­­­­­­­ger les inéga­­­­­­­li­­­­­­­tés de base : isoler les loge­­­­­­­ments sociaux, déve­­­­­­­lop­­­­­­­per les trans­­­­­­­ports publics, par exemple. Quelles que soient les mesures à prendre, il va aussi falloir une vraie réflexion sur l’ur­­­­­­­ba­­­­­­­nisme, l’amé­­­­­­­na­­­­­­­ge­­­­­­­ment du terri­­­­­­­toire, les infra­s­­­­­­truc­­­­­­­tures de trans­­­­­­­port, etc. Il y aurait là un hori­­­­­­­zon qui serait beau­­­­­­­coup plus juste.

La libé­­­­­­­ra­­­­­­­li­­­­­­­sa­­­­­­­tion du secteur de l’éner­­­­­­­gie rend la régu­­­­­­­la­­­­­­­tion des prix très compliquée. Il faudrait sortir l’éner­­­­­­­gie du marché car c’est un besoin de base, et passer par des four­­­­­­­nis­­­­­­­seurs publics et/ou des coopé­­­­­­­ra­­­­­­­tives citoyennes d’éner­­­­­­­gie. C’est faisable et ça existe déjà à petite échelle, en Flandre (Ecopo­­­­­­­wer) et en Wallo­­­­­­­nie (Coci­­­­­­­ter). Au Québec, ils ont déjà fait marche arrière par rapport à la libé­­­­­­­ra­­­­­­­li­­­­­­­sa­­­­­­­tion du secteur.
Une nouvelle idée plus utopique encore serait d’ins­­­­­­­tau­­­­­­­rer une « sécu­­­­­­­rité sociale de l’éner­­­­­­­gie » avec coti­­­­­­­sa­­­­­­­tions obli­­­­­­­ga­­­­­­­toires pour tous, qui passent par le revenu. Ce système donne­­­­­­­rait un accès univer­­­­­­­sel pour les besoins de base en éner­­­­­­­gie. Il permet­­­­­­­trait de sortir des aléas du marché et serait beau­­­­­­­coup plus soli­­­­­­­daire4.


1. Faire sa part ? Pouvoir et respon­­­­­­­sa­­­­­­­bi­­­­­­­lité des indi­­­­­­­vi­­­­­­­dus, des entre­­­­­­­prises et de l’Etat face à l’ur­­­­­­­gence clima­­­­­­­tique, César Dugast et Alexia Soyeux, Carbone 4, juin 2019, https://www.carbo­­­­­­­ne4.com/
2. Voir étude sur la mesure des inéga­­­­­­­li­­­­­­­tés sociales, et notam­­­­­­­ment pour les émis­­­­­­­sions carbone : https://wid.world/world#lpfghg_p90p100_z/US;FR;DE;CN;ZA;GB;WO/2019/eu/k/p/yearly/l/false/2.92/100/curve/false/coun­­­­­­­try
3. G. Wallen­­­­­­­born & J. Dozzi, 2007, « Du point de vue envi­­­­­­­ron­­­­­­­ne­­­­­­­men­­­­­­­tal, ne vaut-il pas mieux être pauvre et mal informé que riche et conscien­­­­­­­tisé ? », in Envi­­­­­­­ron­­­­­­­ne­­­­­­­ment et inéga­­­­­­­li­­­­­­­tés sociales, P. Cornut, T. Bauler and E. Zaccaï (eds.), Ed. de l’Uni­­­­­­­ver­­­­­­­sité de Bruxelles, p. 47
4. Voir le rapport pour l’AB-REOC : Besoins mini­­­­­­­mum en éner­­­­­­­gie. Une étude déli­­­­­­­bé­­­­­­­ra­­­­­­­tive dans la Belgique de 2018 (2018). Auteurs : G. Wallenbo

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