Analyses

Le travail reste porteur d’un projet de société (juin 2017)

Auteures : Chris­­­­­­­­­­­­­­­tine Stein­­­­­­­­­­­­­­­bach et Monique Van Dieren, Contrastes juin 2017, p9

Inter­­­­­­­­­view de Laurence Blésin

Pour Laurence Blésin, direc­­­­­­­­­­­­­­­trice de la FEC (Forma­­­­­­­­­­­­­­­tion Educa­­­­­­­­­­­­­­­tion Culture), le travail reste un enjeu central dans la construc­­­­­­­­­­­­­­­tion d’un projet porteur d’ave­­­­­­­­­­­­­­­nir, porteur de bien-être indi­­­­­­­­­­­­­­­vi­­­­­­­­­­­­­­­duel et collec­­­­­­­­­­­­­­­tif. Et ce, malgré les boule­­­­­­­­­­­­­­­ver­­­­­­­­­­­­­­­se­­­­­­­­­­­­­­­ments du marché de l’em­­­­­­­­­­­­­­­ploi.

Contrastes : Commençons par une préci­­­­­­­­­­­­­­­sion de langage qui a son impor­­­­­­­­­­­­­­­tance lorsqu’on parle du sens du travail. Quelle est la diffé­­­­­­­­­­­­­­­rence entre l’em­­­­­­­­­­­­­­­ploi et le travail ? Et en quoi est-ce indis­­­­­­­­­­­­­­­pen­­­­­­­­­­­­­­­sable de faire la distinc­­­­­­­­­­­­­­­tion entre les deux ?

Laurence Blésin : Avant de parler d’em­­­­­­­­­­­­­­­ploi ou de travail, commençons par parler du terme géné­­­­­­­­­­­­­­­ral d’« acti­­­­­­­­­­­­­­­vité » (rému­­­­­­­­­­­­­­­né­­­­­­­­­­­­­­­rée ou non). Un être vivant agit, pense, crée, trans­­­­­­­­­­­­­­­forme le monde. Dès le début de lhuma­­­­­­­­­­­­­­­nité, c’est son acti­­­­­­­­­­­­­­­vité. Toute acti­­­­­­­­­­­­­­­vité qui demande une dépense d’éner­­­­­­­­­­­­­­­gie et qui produit quelque chose peut être appe­­­­­­­­­­­­­­­lée travail. Un travail, c’est créer, produire des biens ou des services.

Il y a évidem­­­­­­­­­­­­­­­ment des acti­­­­­­­­­­­­­­­vi­­­­­­­­­­­­­­­tés qui sont rému­­­­­­­­­­­­­­­né­­­­­­­­­­­­­­­rées. Elles peuvent l’être de diffé­­­­­­­­­­­­­­­rentes façons ; soit dans le cadre d’un contrat de travail qu’on va alors appe­­­­­­­­­­­­­­­ler emploi, soit elle peut être rému­­­­­­­­­­­­­­­né­­­­­­­­­­­­­­­rée de manière occa­­­­­­­­­­­­­­­sion­­­­­­­­­­­­­­­nelle, par exemple lorsque vous faites du baby­­­­­­­­­­­­­­­sit­­­­­­­­­­­­­­­ting. La rému­­­­­­­­­­­­­­­né­­­­­­­­­­­­­­­ra­­­­­­­­­­­­­­­tion peut égale­­­­­­­­­­­­­­­ment prove­­­­­­­­­­­­­­­nir de nouvelles acti­­­­­­­­­­­­­­­vi­­­­­­­­­­­­­­­tés qui procure nt une rému­­­­­­­­­­­­­­­né­­­­­­­­­­­­­­­ra­­­­­­­­­­­­­­­tion mais pas un emploi. Pourquoi ? Parce que l’em­­­­­­­­­­­­­­­ploi, c’est vrai­­­­­­­­­­­­­­­ment la forme que prend le travail dans la société sala­­­­­­­­­­­­­­­riale.

Après la guerre 40–45, le pays est détruit. Des négo­­­­­­­­­­­­­­­cia­­­­­­­­­­­­­­­tions se tractent entre les repré­­­­­­­­­­­­­­­sen­­­­­­­­­­­­­­­tants des travailleurs et des employeurs pour élabo­­­­­­­­­­­­­­­rer ce qu’n appelle le pacte social. Dans la société sala­­­­­­­­­­­­­­­riale -on l’ap­­­­­­­­­­­­­­­pelle comme car c’est une société où la plupart de la popu­­­­­­­­­­­­­­­la­­­­­­­­­­­­­­­tion active était sala­­­­­­­­­­­­­­­riée-, le salaire ne procure pas seule­­­­­­­­­­­­­­­ment un revenu mais aussi des droits, des protec­­­­­­­­­­­­­­­tions, un cadre légal.

On parle aussi de société sala­­­­­­­­­­­­­­­riale parce ce pacte entre employeurs et travailleurs a été conclu à un moment où les travailleurs ont accepté de « se mettre au service du capi­­­­­­­­­­­­­­­ta­­­­­­­­­­­­­­­lisme », mais pas à n’im­­­­­­­­­­­­­­­porte quelles condi­­­­­­­­­­­­­­­tions. Ils ont obtenu des droits collec­­­­­­­­­­­­­­­tifs (le droit au chômage, le droit à avoir une retraite, le droit à avoir des congés payés, le droit à avoir des soins de santé) mais égale­­­­­­­­­­­­­­­ment des services collec­­­­­­­­­­­­­­­tifs

Quand ce système a été décidé et mis en place, on était dans une période de relance de la machine écono­­­­­­­­­­­­­­­mique après la guerre. On était dans une société du plein emploi, surtout pour les hommes car les femmes travaillaient beau­­­­­­­­­­­­­­­coup moins que main­­­­­­­­­­­­­­­te­­­­­­­­­­­­­­­nant. C’étaient la plupart du temps des emplois à temps plein et à durée indé­­­­­­­­­­­­­­­ter­­­­­­­­­­­­­­­mi­­­­­­­­­­­­­­­née, on savait qu’on allait faire toute sa carrière dans la même entre­­­­­­­­­­­­­­­prise, avec le même employeur. L’em­­­­­­­­­­­­­­­ploi était sécu­­­­­­­­­­­­­­­ri­­­­­­­­­­­­­­­sant et permet­­­­­­­­­­­­­­­tait de se dire « oui, j’ai un revenu suffi­­­­­­­­­­­­­­­sant, je peux faire des projets de vie… ».

Les choses ont forte­­­­­­­­­­­­­­­ment évolué, et cette norme d’em­­­­­­­­­­­­­­­ploi a éclaté, notam­­­­­­­­­­­­­­­ment à cause de la mondia­­­­­­­­­­­­­­­li­­­­­­­­­­­­­­­sa­­­­­­­­­­­­­­­tion. Aujourd’­­­­­­­­­­­­­­­hui, on fait appel à des sous-trai­­­­­­­­­­­­­­­tants belges ou étran­­­­­­­­­­­­­­­gers dans de multiples domaines, et pas unique­­­­­­­­­­­­­­­ment sur les chan­­­­­­­­­­­­­­­tiers de construc­­­­­­­­­­­­­­­tion mais aussi dans les soins de santé, etc. Cela signi­­­­­­­­­­­­­­­fie qu’aujourd’­­­­­­­­­­­­­­­hui, il y a une série de personnes qui travaillent avec une rému­­­­­­­­­­­­­­­né­­­­­­­­­­­­­­­ra­­­­­­­­­­­­­­­tion, mais qui n’ont plus « toutes les sécu­­­­­­­­­­­­­­­ri­­­­­­­­­­­­­­­tés qui étaient liées à l’em­­­­­­­­­­­­­­­ploi ». Et donc, la ques­­­­­­­­­­­­­­­tion qu’on peut se poser aussi aujourd’­­­­­­­­­­­­­­­hui, c’est de savoir si la protec­­­­­­­­­­­­­­­tion sociale, qui repose forte­­­­­­­­­­­­­­­ment sur l’em­­­­­­­­­­­­­­­ploi, est encore adap­­­­­­­­­­­­­­­tée à la société dans laquelle nous sommes.

Cette évolu­­­­­­­­­­­­­­­tion implique que les jeunes ont un autre rapport au travail et à l’em­­­­­­­­­­­­­­­ploi. Ils en font peut-être moins leur valeur centrale parce qu’il y a d’autres valeurs qui comptent aussi pour eux ?

Je commen­­­­­­­­­­­­­­­ce­­­­­­­­­­­­­­­rais par dire qu’il y a diffé­­­­­­­­­­­­­­­rents types de jeunes. Il y a les jeunes qui ont la chance de pouvoir faire des études, qui ont un capi­­­­­­­­­­­­­­­tal cultu­­­­­­­­­­­­­­­rel élevé, et pour qui la multi-acti­­­­­­­­­­­­­­­vité et le chan­­­­­­­­­­­­­­­ge­­­­­­­­­­­­­­­ment fréquent de boulot est quelque chose de posi­­­­­­­­­­­­­­­tif, Ils ont bien inté­­­­­­­­­­­­­­­gré le discours qui consiste à penser qu’il faut deve­­­­­­­­­­­­­­­nir entre­­­­­­­­­­­­­­­pre­­­­­­­­­­­­­­­neur de sa propre vie, qu’on veut être son propre patron, et qu’en tout cas on ne veut pas faire toute sa carrière chez le même employeur.

A côté de ces jeunes, on constate qu’il y a une série de jeunes qui aspirent à avoir un véri­­­­­­­­­­­­­­­table emploi avec une sécu­­­­­­­­­­­­­­­rité d’exis­­­­­­­­­­­­­­­tence. Mais on baigne dans un discours qui fait que les jeunes croient moins à la protec­­­­­­­­­­­­­­­tion sociale qu’a­­­­­­­­­­­­­­­vant. Et de nombreux jeunes qui sortent de l’école sont dans des situa­­­­­­­­­­­­­­­tions drama­­­­­­­­­­­­­­­tiques puisqu’ils n’ont plus droit à une allo­­­­­­­­­­­­­­­ca­­­­­­­­­­­­­­­tion d’in­­­­­­­­­­­­­­­ser­­­­­­­­­­­­­­­tion et donc plus aucun revenu.

La révo­­­­­­­­­­­­­­­lu­­­­­­­­­­­­­­­tion numé­­­­­­­­­­­­­­­rique pose la ques­­­­­­­­­­­­­­­tion de l’évo­­­­­­­­­­­­­­­lu­­­­­­­­­­­­­­­tion du nombre et du type d’em­­­­­­­­­­­­­­­plois. A l’ave­­­­­­­­­­­­­­­nir, les métiers seront-ils moins pénibles, plus inté­­­­­­­­­­­­­­­res­­­­­­­­­­­­­­­sants ? Qui pourra y avoir accès et quels sont les autres impacts de cette trans­­­­­­­­­­­­­­­for­­­­­­­­­­­­­­­ma­­­­­­­­­­­­­­­tion ?

En fait, la robo­­­­­­­­­­­­­­­ti­­­­­­­­­­­­­­­sa­­­­­­­­­­­­­­­tion a toujours existé. Cela pour­­­­­­­­­­­­­­­rait être vu de manière très posi­­­­­­­­­­­­­­­tive. Pourquoi faire une tâche pénible si une machine peut le faire à ma place ? Le problème, c’est qu’a­­­­­­­­­­­­­­­vec la révo­­­­­­­­­­­­­­­lu­­­­­­­­­­­­­­­tion numé­­­­­­­­­­­­­­­rique, on est dans la révo­­­­­­­­­­­­­­­lu­­­­­­­­­­­­­­­tion des « machines intel­­­­­­­­­­­­­­­li­­­­­­­­­­­­­­­gentes », c’estàdire qui ne produisent plus seule­­­­­­­­­­­­­­­ment des biens maté­­­­­­­­­­­­­­­riels mais aussi du travail intel­­­­­­­­­­­­­­­lec­­­­­­­­­­­­­­­tuel : écrire un texte, traduire à notre place, faire un diagnos­­­­­­­­­­­­­­­tic médi­­­­­­­­­­­­­­­cal sans voir de méde­­­­­­­­­­­­­­­cin, avoir un conseil d’avo­­­­­­­­­­­­­­­cat sans aller discu­­­­­­­­­­­­­­­ter avec lui en face-à-face, etc. Donc on est dans un autre type de révo­­­­­­­­­­­­­­­lu­­­­­­­­­­­­­­­tion qui change non seule­­­­­­­­­­­­­­­ment le fait que la machine peut aider ou pas le travailleur, mais qui change la nature même du travail aujourdhui.

L’autre aspect, c’est la digi­­­­­­­­­­­­­­­ta­­­­­­­­­­­­­­­li­­­­­­­­­­­­­­­sa­­­­­­­­­­­­­­­tion. On parle de plus en plus d’éco­­­­­­­­­­­­­­­no­­­­­­­­­­­­­­­mie colla­­­­­­­­­­­­­­­bo­­­­­­­­­­­­­­­ra­­­­­­­­­­­­­­­tive. Mais il faut utili­­­­­­­­­­­­­­­ser le bon voca­­­­­­­­­­­­­­­bu­­­­­­­­­­­­­­­laire, Au début on se prêtait une tondeuse entre voisins, on mettait en place un système de partage de voiture, donc on colla­­­­­­­­­­­­­­­bo­­­­­­­­­­­­­­­rait sans qu’il y ait de profit. C’était l’éco­­­­­­­­­­­­­­­no­­­­­­­­­­­­­­­mie du partage, ça existe toujours et il faut évidem­­­­­­­­­­­­­­­ment la soute­­­­­­­­­­­­­­­nir. Cette notion a été éten­­­­­­­­­­­­­­­due à des entre­­­­­­­­­­­­­­­prises telles que « Uber » ou « Deli­­­­­­­­­­­­­­­ve­­­­­­­­­­­­­­­roo », etc., dont le but est le profit, A la CSC on préfère utili­­­­­­­­­­­­­­­ser le terme de « capi­­­­­­­­­­­­­­­ta­­­­­­­­­­­­­­­lisme de plate­­­­­­­­­­­­­­­forme ». Aujourd’­­­­­­­­­­­­­­­hui, la plupart des personnes y travaillent soit comme indé­­­­­­­­­­­­­­­pen­­­­­­­­­­­­­­­dant, soit à titre d’in­­­­­­­­­­­­­­­dé­­­­­­­­­­­­­­­pen­­­­­­­­­­­­­­­dant complé­­­­­­­­­­­­­­­men­­­­­­­­­­­­­­­taire, soit comme aidant profes­­­­­­­­­­­­­­­sion­­­­­­­­­­­­­­­nel.

Le travail reste une valeur centrale struc­­­­­­­­­­­­­­­tu­­­­­­­­­­­­­­­rante pour la majo­­­­­­­­­­­­­­­rité des personnes. Par ailleurs, beau­­­­­­­­­­­­­­­coup souffrent d’un travail stres­­­­­­­­­­­­­­­sant ou insensé, d’autres en sont carré­­­­­­­­­­­­­­­ment exclus. Comment intègre-t-on ces éléments dans une réflexion sur le sens du travail ? Comment tenir compte de tous ceux qui sont exclus du marché du travail dans la construc­­­­­­­­­­­­­­­tion d’un modèle de société inclu­­­­­­­­­­­­­­­sif et pas excluant ?

Notre société est encore complè­­­­­­­­­­­­­­­te­­­­­­­­­­­­­­­ment axée sur la valeur du travail. Aujourd’­­­­­­­­­­­­­­­hui, je pense que le travail peut rester struc­­­­­­­­­­­­­­­tu­­­­­­­­­­­­­­­rant, mais en défen­­­­­­­­­­­­­­­dant une réduc­­­­­­­­­­­­­­­tion collec­­­­­­­­­­­­­­­tive du temps de travail qui doit être struc­­­­­­­­­­­­­­­tu­­­­­­­­­­­­­­­rante pour les indi­­­­­­­­­­­­­­­vi­­­­­­­­­­­­­­­dus et pour la société. Chacun doit avoir accès au travail parce que le travail reste une source de reve­­­­­­­­­­­­­­­nus et de recon­­­­­­­­­­­­­­­nais­­­­­­­­­­­­­­­sance sociale.  Au niveau collec­­­­­­­­­­­­­­­tif, c’est aussi un enjeu majeur à défendre.

 

A côté de ça, je pense que l’enjeu de la tran­­­­­­­­­­­­­­­si­­­­­­­­­­­­­­­tion est impor­­­­­­­­­­­­­­­tant car elle pour­­­­­­­­­­­­­­­rait être aussi une manière de recréer des emplois utiles. C’est une urgence sociale. Comme acteurs de trans­­­­­­­­­­­­­­­for­­­­­­­­­­­­­­­ma­­­­­­­­­­­­­­­tion sociale, voulons-nous une société sans travail, ou voulons-nous une société où le travail a toujours du sens ? Et si oui, quel type de travail voulons-nous ? Notre rôle aujourdhui au sein du Mouve­­­­­­­­­­­­­­­ment Ouvrier Chrétien, c’est de répondre aux urgences mais aussi être porteurs d’un projet de société, parce que le travail est porteur d’un projet de société.

 

Aujourd’­­­­­­­­­­­­­­­hui, les salaires n’aug­­­­­­­­­­­­­­­mentent plus, les allo­­­­­­­­­­­­­­­ca­­­­­­­­­­­­­­­tions sociales dimi­­­­­­­­­­­­­­­nuent mais par contre, les divi­­­­­­­­­­­­­­­dendes des action­­­­­­­­­­­­­­­naires, eux, ne cessent d’aug­­­­­­­­­­­­­­­men­­­­­­­­­­­­­­­ter. Quel que soit notre situa­­­­­­­­­­­­­­­tion (sala­­­­­­­­­­­­­­­rié, indé­­­­­­­­­­­­­­­pen­­­­­­­­­­­­­­­dant, faux indé­­­­­­­­­­­­­­­pen­­­­­­­­­­­­­­­dant, sans emploi…), comment recréer un rapport de force en notre faveur dans la balance entre le capi­­­­­­­­­­­­­­­tal et le travail ? Je crois qu’il faut pouvoir propo­­­­­­­­­­­­­­­ser autre chose que le système actuel qui court à sa perte, mais que le projet est parfois plus diffi­­­­­­­­­­­­­­­cile à construire que la résis­­­­­­­­­­­­­­­tan­­­­­­­­­­­­­­­ce… 

Il y a une série d’enjeux dans la ques­­­­­­­­­­­­­­­tion du sens de l’ave­­­­­­­­­­­­­­­nir du travail qui sont inti­­­­­­­­­­­­­­­me­­­­­­­­­­­­­­­ment liés à la culture qui est domi­­­­­­­­­­­­­­­nante. Les Equipes Popu­­­­­­­­­­­­­­­laires l’ont bien compris en faisant le Diction­­­­­­­­­­­­­­­naire du Petit Menteur. Je pense qu’on a un travail énorme d’édu­­­­­­­­­­­­­­­ca­­­­­­­­­­­­­­­tion popu­­­­­­­­­­­­­­­laire à mener pour décons­­­­­­­­­­­­­­­truire le langage domi­­­­­­­­­­­­­­­nant. On est dans une culture qui ne nous aide pas à promou­­­­­­­­­­­­­­­voir le collec­­­­­­­­­­­­­­­tif, la soli­­­­­­­­­­­­­­­da­­­­­­­­­­­­­­­rité. On a un rôle à jouer par rapport à ça. 

Les défis syndi­­­­­caux face aux muta­­­­­tions du travail 

Pour Laurence Blésin, les boule­­­­­­­ver­­­­­­­se­­­­­­­ments du marché de l’em­­­­­­­ploi amènent le syndi­­­­­­­cat à ques­­­­­­­tion­­­­­­­ner sa stra­­­­­­­té­­­­­­­gie par rapport aux personnes exclues de l’em­­­­­­­ploi et de la protec­­­­­­­tion sociale.

Comment les reven­­­­­­­di­­­­­­­ca­­­­­­­tions syndi­­­­­­­cales peuvent s’adap­­­­­­­ter pour tenir compte de cette évolu­­­­­­­tion dans laquelle de nouvelles géné­­­­­­­ra­­­­­­­tions se trouvent ?

Laurence Blésin : Le syndi­­­­­­­cat est aujourd’­­­­­­­hui héri­­­­­­­tier d’un système qu’il a mis en place, celui de la société sala­­­­­­­riale. Ce système de compro­­­­­­­mis qui a permis la nais­­­­­­­sance et le déve­­­­­­­lop­­­­­­­pe­­­­­­­ment de la sécu­­­­­­­rité sociale a tenu bon gré mal gré. Aujourd’­­­­­­­hui, il faut recon­­­­­­­naître qu’on est davan­­­­­­­tage dans des formes de résis­­­­­­­tance que de conquêtes nouvelles.

Face aux muta­­­­­­­tions, telles que celles de la mondia­­­­­­­li­­­­­­­sa­­­­­­­tion et de la digi­­­­­­­ta­­­­­­­li­­­­­­­sa­­­­­­­tion, le syndi­­­­­­­cat se remet évidem­­­­­­­ment en ques­­­­­­­tion notam­­­­­­­ment par rapport aux types de protec­­­­­­­tion sociale qu’on peut encore offrir dans une société où la norme d’em­­­­­­­ploi n’est plus celle d’hier. La réflexion est en cours. Par exemple, à la ques­­­­­­­tion de se dire « les jeunes ne sont-ils pas avides d’autres choses que le travail ? », je pense qu’il n’y a pas que les jeunes qui auraient envie de pouvoir combi­­­­­­­ner leur travail avec d’autres types d’ac­­­­­­­ti­­­­­­­vi­­­­­­­tés (enga­­­­­­­ge­­­­­­­ment citoyen, meilleure conci­­­­­­­lia­­­­­­­tion avec la vie fami­­­­­­­lia­­­­­­­le…).
On parle de la réduc­­­­­­­tion du temps de travail depuis long­­­­­­­temps, mais aujourd’­­­­­­­hui elle est indis­­­­­­­pen­­­­­­­sable car elle est au coeur d’une série d’enjeux liés au travail et à l’em­­­­­­­ploi.

Pour le dire fran­­­­­­­che­­­­­­­ment, je vois le chômage massif comme un échec énorme. Mais aussi un échec du mouve­­­­­­­ment ouvrier, en parti­­­­­­­cu­­­­­­­lier des orga­­­­­­­ni­­­­­­­sa­­­­­­­tions syndi­­­­­­­cales. Pas simple­­­­­­­ment à cause du chômage massif mais aussi de la situa­­­­­­­tion dans laquelle les chômeurs sont aujourd’­­­­­­­hui. Quand on regarde la liste des mesures de ces deux dernières années qui touche les deman­­­­­­­deurs d’em­­­­­­­ploi, je me dis qu’on doit remettre en ques­­­­­­­tion notre capa­­­­­­­cité à orga­­­­­­­ni­­­­­­­ser les travailleurs qui échappent au radar du syndi­­­­­­­cat. Il repré­­­­­­­sente bien les « insi­­­­­­­ders », ceux qui sont bien dans le système mais en ce qui concerne les « outsi­­­­­­­ders », ceux qui sont à la marge, qui ont des statuts précaires, les jeunes, le syndi­­­­­­­cat a plus de diffi­­­­­­­cul­­­­­­­tés. C’est un enjeu majeur pour le syndi­­­­­­­cat.

Dans les faits, de plus en plus de personnes, notam­­­­­­­ment les jeunes, choi­­­­­­­sissent ou sont contraints de deve­­­­­­­nir indé­­­­­­­pen­­­­­­­dantes. Les nouvelles formes de travail n’ap­­­­­­­pellent-elles pas à ce qu’on envi­­­­­­­sage des nouvelles formes de protec­­­­­­­tion, quel que soit le statut ?

Il y a un discours cultu­­­­­­­rel qui laisse penser que pour réus­­­­­­­sir, il faut être entre­­­­­­­pre­­­­­­­neur de sa propre vie. Le gouver­­­­­­­ne­­­­­­­ment actuel et le patro­­­­­­­nat ont un discours qui pousse les gens à être indé­­­­­­­pen­­­­­­­dants. Et il y en a effec­­­­­­­ti­­­­­­­ve­­­­­­­ment de plus en plus en Belgique. Est-ce choisi ou est-ce qu’on y est poussé ? Je pense qu’il y a les deux situa­­­­­­­tions. Face à la diffi­­­­­­­culté à trou­­­­­­­ver de l’em­­­­­­­ploi et à la poli­­­­­­­tique d’ac­­­­­­­ti­­­­­­­va­­­­­­­tion des chômeurs, il y a de nombreuses personnes qui décident de prendre un statut d’in­­­­­­­dé­­­­­­­pen­­­­­­­dant. Beau­­­­­­­coup de
gens sont en réalité de faux indé­­­­­­­pen­­­­­­­dants, qui ont été obli­­­­­­­gés de prendre ce statut pour avoir le travail. Les syndi­­­­­­­cats n’ont pas jusqu’à présent pas de reven­­­­­­­di­­­­­­­ca­­­­­­­tions syndi­­­­­­­cales pour les indé­­­­­­­pen­­­­­­­dants car les indé­­­­­­­pen­­­­­­­dants n’ont pas de coti­­­­­­­sa­­­­­­­tion
socia­­­­­­­li­­­­­­­sée et soli­­­­­­­daire et que le syndi­­­­­­­cat défend plutôt un modèle qui dit « Je cotise, donc je reçois ». Aujourd’­­­­­­­hui, il y a une forte réflexion à la CSC par rapport aux indé­­­­­­­pen­­­­­­­dants, en parti­­­­­­­cu­­­­­­­lier les « faux indé­­­­­­­pen­­­­­­­dants » et ceux qui travaillent dans ce qu’on appelle l’éco­­­­­­­no­­­­­­­mie des plate­­­­­­­formes colla­­­­­­­bo­­­­­­­ra­­­­­­­tives (Uber, Deli­­­­­­­ve­­­­­­­roo, Airbnb…). Il faut réflé­­­­­­­chir à la manière d’être auprès d’eux pour leur expliquer leurs droits et leurs reven­­­­­­­di­­­­­­­ca­­­­­­­tions, et comment ils peuvent se coali­­­­­­­ser pour les faire valoir.

Il ne faut pas mettre tous les indé­­­­­­­pen­­­­­­­dants dans le même sac. Les sala­­­­­­­riés mais aussi une série de petits indé­­­­­­­pen­­­­­­­dants se rendent compte que fina­­­­­­­le­­­­­­­ment on est tous dans le même bateau par rapport à une logique pure­­­­­­­ment écono­­­­­­­mique qui favo­­­­­­­rise gran­­­­­­­de­­­­­­­ment les déten­­­­­­­teurs du capi­­­­­­­tal, et que c’est ça qui provoque la stag­­­­­­­na­­­­­­­tion des salaires et la dimi­­­­­­­nu­­­­­­­tion des allo­­­­­­­ca­­­­­­­tions, et qui ne soutient fina­­­­­­­le­­­­­­­ment que très peu la petite acti­­­­­­­vité indé­­­­­­­pen­­­­­­­dante. Je ne dis pas que demain les syndi­­­­­­­cats défen­­­­­­­dront les indé­­­­­­­pen­­­­­­­dants, mais il y a matière à réflexion autour d’une résis­­­­­­­tance commune à mener. 

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