Analyses

Inter­view de Jean Faniel – Les partis poli­tiques aux aguets (Août 2018)

Inter­view
Les partis poli­­­­­­­­­­­­­tiques aux aguets

Inter­­­­­­­­­­­­­view réali­­­­­­­­­­­­­sée par Jean-Michel Char­­­­­­­­­­­­­lier et Monique Van Dieren, Contrastes août 2018, p10 à 13

Photo : Jacques Gaspers

Neuf mois avant les élec­­­­­­­­­­­­­­­­­­­tions fédé­­­­­­­­­­­­­­­­­­­rales, régio­­­­­­­­­­­­­­­­­­­nales et euro­­­­­­­­­­­­­­­­­­­péennes, les élec­­­­­­­­­­­­­­­­­­­tions commu­­­­­­­­­­­­­­­­­­­nales servi­­­­­­­­­­­­­­­­­­­ront de test avant le lance­­­­­­­­­­­­­­­­­­­ment de la campagne élec­­­­­­­­­­­­­­­­­­­to­­­­­­­­­­­­­­­­­­­rale de 2019. Quel sera l’im­­­­­­­­­­­­­­­­­­­pact des « affaires » et du rema­­­­­­­­­­­­­­­­­­­nie­­­­­­­­­­­­­­­­­­­ment minis­­­­­­­­­­­­­­­­­­­té­­­­­­­­­­­­­­­­­­­riel wallon sur la compo­­­­­­­­­­­­­­­­­­­si­­­­­­­­­­­­­­­­­­­tion des listes et les alliances pré et post- élec­­­­­­­­­­­­­­­­­­­to­­­­­­­­­­­­­­­­­­­rales ? Le regard de Jean Faniel, direc­­­­­­­­­­­­­­­­­­­teur du CRISP.

Les récents scan­­­­­­­dales poli­­­­­­­tiques et les mesures de « bonne gouver­­­­­­­nance » adop­­­­­­­tées par les diffé­rents niveaux de pouvoir auront-elles une influence sur la compo­­­­­­­si­­­­­­­tion des listes pour les élec­­­­­­­tions commu­­­­­­­nales, et sur la manière dont les mandats poli­­­­­­­tiques seront exer­­­­­­­cés ?

Il y a eu de nombreuses mesures de bonne gouver­­­­­­­nance adop­­­­­­­tées ces dernières années. Toutes ne sont donc pas liées à la dernière vague de scan­­­­­­­dales tels ceux qu’on a connus avec Publi­­­­­­­fin, le Samu social, l’ISPPC et le Kaza­kh­­­­­­­gate. Il n’est donc pas toujours évident de distin­­­­­­­guer ce qui relève de l’évo­­­­­lu­­­­­­­tion globale des menta­­­­­­­li­­­­­­­tés ou de la surve­­­­­­­nance récur­­­­­­­rente d’af­­­­­­­faires et ce qui relève des récentes affaires. Si on prend le décu­­­­­­­mul des mandats par exemple, c’est un ensemble de mesures qui revient sur la table depuis pas mal de temps. Il y a prin­­­­­­­ci­­­­­­­pa­­­­­­­le­­­­­­­ment une mesure qui s’est appliquée pour la première fois en 2014 au Parle­ment wallon qui oblige les ¾ des membres des groupes poli­­­­­­­tiques à choi­­­­­­­sir entre le Par lement wallon et une fonc­­­­­­­tion exécu­­­­­­­tive au niveau commu­­­­­­­nal (bourg­­­­­­­mestre, éche­­­­­­­vin ou président de CPAS). Cela, ça joue évidem­­­­­­­ment sur la manière dont les mandats sont attri­­­­­­­bués, distri­­­­­­­bués, puisque pour certaines personnes, il faut choi­­­­­­­sir. Cette mesure devien­­­­­­­dra encore plus contrai­­­­­­­gnante en 2018 et 2019 puisque doré­­­­­­­na­­­­­­­vant on ne va plus pouvoir se décla­­­­­­­rer empê­­­­­­­ché. Donc, les candi­­­­­­­dats auront un pari à faire soit en 2018, soit en 2019 s’ils veulent garder un mandat pendant 6 ans ou 5 ans.

Coup de frein au cumul des mandats

Cela risque donc d’ex­­­­­­­clure des figures emblé­­­­­­­ma­­­­­­­tiques de la vie poli­­­­­­­tique de certains mandats ?

Forcé­­­­­­­ment oui. Si elles sont en passe de deve­­­­­­­nir bourg­­­­­­­mestre, éche­­­­­­­vin ou président de CPAS , certaines personnes vont devoir choi­­­­­­­sir dès 2018 entre le Parle­­­­­­­ment wallon et une fonc­­­­­­­tion exécu­­­­­­­tive commu­­­­­­­nale. Evidem­­­­­­­ment, au lende­­­­­­­main des élec­­­­­­­tions du 26 mai 2019, elles pour­­­­­­­ront faire le choix inverse : si elles sont élues au Parle­­­­­­­ment wallon, elles pour­­­­­­­ront déci­­­­­­­der de lais­­­­­­­ser tomber leur mandat local. Mais doré­­­­­­­na­­­­­­­vant, il faut faire un choix. On ne peut plus simple­­­­­­­ment se décla­­­­­­­rer empê­­­­­­­ché, ni donc en cas de démis­­­­­­­sion du Parle­­­­­­­ment wallon, récu­­­­­­­pé­­­­­­­rer un mandat local qu’on avait mis au frigo pour « se le garder au frais » comme c’était le cas jusqu’ici. Atten­­­­­­­tion, cela ne concerne que le Parle­­­­­­­ment wallon, pas les autres assem­­­­­­­blées, et 25% des membres des groupes poli­­­­­­­tiques du Parle­­­­­­­ment peuvent encore cumu­­­­­­­ler des fonc­­­­­­­tions aux deux niveaux de pouvoir.

Par ailleurs, il y a des personnes qui ont été écar­­­­­­­tées ou qui ont choisi de se reti­­­­­­­rer suite aux affaires qu’on a connues récem­­­­­­­ment ; André Gilles ou Stéphane Moreau par exemple, ou d’autres comme Alain Mathot qui s’est retiré de manière « volon­­­­­­­taire », entre guille­­­­­­­mets, car quand même un peu poussé dans le dos par la Justice et peut-être aussi par ses core­­­­­­­li­­­­­­­gio­­­­­­­naires socia­­­­­­­listes. On peut suppo­­­­­­­ser que les pratiques comme celles qui ont été mises au jour et dénon­­­­­­­cées vont davan­­­­­­­tage être aban­­­­­­­don­­­­­­­nées par ceux qui les auraient encore et qui n’au­­­­­­­raient pas encore été décou­­­­­­­verts, en quelque sorte… Et par ailleurs, avec le fait que des élus contrôlent, mettent au jour et révèlent les choses, notam­­­­­­­ment par l’en­­­­­­­tre­­­­­­­mise de la presse, on peut aussi espé­­­­­­­rer que ces épisodes et méca­­­­­­­nismes vont inspi­­­­­­­rer les élus, notam­­­­­­­ment d’op­­­­­­­po­­­­­­­si­­­­­­­tion, à rester vigi­­­­­­­lants dans leur tâche de contrôle de l’ac­­­­­­­tion du pouvoir exécu­­­­­­­tif.

Donc, en quelque sorte, les mesures prises anté­­­­­­­rieu­­­­­­­re­­­­­­­ment ont permis d’an­­­­­­­ti­­­­­­­ci­­­­­­­per les problèmes liés aux diffé­­­­­­­rents scan­­­­­­­dales ?

Disons que l’on a une succes­­­­­­­sion d’af­­­­­­­faires, avec une dizaine d’an­­­­­­­nées entre deux vagues impor­­­­­­­tantes, qui ont amené des réac­­­­­­­tions. Et à chaque révé­­­­­­­la­­­­­­­tion, on constate qu’il y a des choses que l’on n’avait pas néces­­­­­­­sai­­­­­­­re­­­­­­­ment prévues. Des choses qui ne sont pas toujours illé­­­­­­­gales, mais sont quand même très limite au moins au point de vue éthique. Et donc on légi­­­­­­­fère. En même temps, on sent bien qu’à chaque fois, il y a un peu de réti­­­­­­­cences à adop­­­­­­­ter ces nouvelles légis­­­­­­­la­­­­­­­tions… Les nouveaux scan­­­­­­­dales émeuvent, puis ils permettent aussi de pous­­­­­­­ser les choses un peu plus loin. Parce que cela remet une pres­­­­­­­sion supplé­­­­­­­men­­­­­­­taire sur ceux qui renâ­­­­­­­claient à légi­­­­­­­fé­­­­­­­rer davan­­­­­­­tage. Et cela permet aussi de préci­­­­­­­ser des zones lais­­­­­­­sées un peu dans l’ombre ou qui étaient passées entre les mailles du filet.

Quel est le climat dans les partis poli­­­­­­­tiques fran­­­­­­­co­­­­­­­phones à la veille des élec­­­­­­­tions ? Et leur stra­­­­­­­té­­­­­­­gie ? La proxi­­­­­­­mité des élec­­­­­­­tions fédé­­­­­­­rales et régio­­­­­­­nales influence-t-elle la compo­­­­­­­si­­­­­­­tion des listes et leur programme ?

A ce stade, il est diffi­­­­­­­cile de dire s’il y a une stra­­­­­­­té­­­­­­­gie parti­­­­­­­cu­­­­­­­lière au sein des partis poli­­­­­tiques. Incer­­­­­­­ti­­­­­­­tude et ques­­­­­­­tion­­­­­­­ne­­­­­­­ments do- minent. Quel va être l’im­­­­­­­pact de la légis­­­­­­­la­­­­­­­ture en cours depuis 2014, marquée en Wallo­­­­­­­nie par un chan­­­­­­­ge­­­­­­­ment de majo­­­­­­­rité en 2017 ? Que vont en penser les élec­­­­­­­teurs et quelles consé­quences cela aura-t-il sur leur vote aux ni- veaux commu­­­­­­­nal et provin­­­­­­­cial ? Quel va être l’im­­­­­­­pact élec­­­­­­­to­­­­­­­ral des « affaires », en posi­­­­­­­tif et en néga­­­­­­­tif ? Quelle recom­­­­­­­po­­­­­­­si­­­­­­­tion poli­­­­­­­tique va s’or­­­­­­­ga­­­­­­­ni­­­­­­­ser ? Ce ne sera pas la même chose si le CDH finit presque par dispa­­­­­­­raître comme certains le pensent ou si, au contraire, il reste une valeur impor­­­­­­­tante sur l’échiquier poli­­­­­­­tique.
Person­­­­­­­nel­­­­­­­le­­­­­­­ment, j’ai l’im­­­­­­­pres­­­­­­­sion que chaque parti, y compris ceux qui sont donnés gagnants comme le PTB, Ecolo ou Défi, est un peu aux aguets. Personne n’est sûr de rien. Tous espèrent ne pas (trop) déchan­­­­­­­ter. Et ce qui est clair, évidem­­­­­­­ment, c’est que chaque parti envi­­­­­­­sage cette campagne des commu­­­­­­­nales avec la suivante en tête… La campagne pour les élec­­­­­­­tions régio­­­­­­­nales, commu­­­­­­­nau­­­­­­­taires, fédé­­­­­­­rales et euro­­­­­­­péennes du 26 mai 2019 débu­­­­­­­tera dès le lende­­­­­­­main du scru­­­­­­­tin local, dès la compo­­­­­­­si­­­­­­­tion des nouvelles coali­­­­­­­tions. C’est déjà dans toutes les têtes.
Mais donc, en ne connais­­­­­­­sant pas le résul­­­­­­­tat des élec­­­­­­­tions de 2018, chaque parti va rester à l’af­­­­­­­fût, atten­­­­­­­tiste, en se disant qu’il ne peut pas mettre tous ses œufs dans le même panier. On risque donc de voir certaines grandes manœuvres dans les coali­­­­­­­tions, et peut-être bien dans des sens très diffé­­­­­­­rents.

Se déta­­­­­­­cher de l’image « enta­­­­­­­chée » par les affaires

La tendance qui se profile pour les élec­­­­­­­tions commu­­­­­­­nales est une dimi­­­­­­­nu­­­­­­­tion des « éti- quettes de parti » au profit de « listes ci- toyennes » ou d’al­­­­­­­liances. De quoi est-ce le signe ? Un camou­­­­­­­flage sous un autre nom pour plaire à l’élec­­­­­­­teur ? Ou une absence de programme spéci­­­­­­­fique des partis sur le niveau commu­­­­­­­nal ?

D’abord, il faudra voir si cela se confirme. La rentrée des listes est pour début septembre. Il faudra voir si le nombre de listes avec l’étiquette des partis (CDH, MR, PS, Ecolo, etc.) est signi­­­­­­­fi­­­­­­­ca­­­­­­­ti­­­­­­­ve­­­­­­­ment plus faible que d’ha­­­­­­­bi­­­­­­­tude. Mais sinon, on constate chaque fois qu’E­­­­­­­colo est la forma­­­­­­­tion qui dépose le plus de listes sous son propre nom (157 en 2012), suivi du PS (128). Et que le MR (89) et le CDH (69) sont à moins de 100 listes dépo­­­­­­­sées sous leur nom et leur numéro régio­­­­­­­nal, pour 262 communes wallon­­­­­­­nes… Et, en 2012, 569 listes ne portaient pas de numéro régio­­­­­­­nal. C’est donc une pratique habi­­­­­­­tuelle. Aucun parti n’est capable d’avoir une section locale dans chaque petite commune du terri­­­­­toire. Il y a des stra­­­­­té­­­­­gies d’al­­­­­liances au niveau commu­­­­­nal, pour toute une série de raisons.

Ici, la raison qui semble donner l’im­­­­­pres­­­­­sion qu’il y aura encore moins de listes clai­­­­­re­­­­­ment étique­­­­­tées, ce sont les affaires. On se dit que certains vont vouloir se déta­­­­­cher de l’image enta­­­­­chée par les scan­­­­­dales. La crainte de consé­quences néga­­­­­tives pour­­­­­rait accen­­­­­tuer la tendance à ne pas se présen­­­­­ter sous le nom d’un parti.

En raison de la méfiance que les citoyens déve­­­­­loppent à l’égard des partis poli­­­­­tiques ?
Oui. Et l’un parti­­­­­cipe de l’autre. Les affaires sont venues renfor­­­­­cer cette méfiance à l’égard des partis poli­­­­­tiques. Et donc effec­­­­­ti­­­­­ve­­­­­ment, il peut y avoir ce réflexe ou cette tenta­­­­­tion de chan­­­­­ger un peu l’étiquette pour ne pas être mis en cause pour cette mauvaise raison-là. Mais dans un certain nombre de cas, cela permet simple­­­­­ment de jouer sur les ancrages locaux autour de certaines personnes ou de faire alliance avec des personnes qui n’ont pas envie d’avoir une étiquette parti­­­­­cu­­­­­lière.

L’éclo­­­­­sion de « listes citoyennes » est-elle le signe d’un regain d’in­­­­­té­­­­­rêt du citoyen pour la poli­­­­­tique (commu­­­­­nale), ou est-ce davan­­­­­tage une manœuvre élec­­­­­to­­­­­rale pour séduire les élec­­­­­teurs ?

Je trouve qu’on met un peu tout et n’im­­­­­porte quoi derrière cette appel­­­­­la­­­­­tion « listes citoyennes ». Il y a diffé­­­­­rents cas de figure. On peut avoir des gens qui sont tout à fait novices en poli­­­­­tique et qui décident de se lancer. Dans ce cas-là, l’ex­­­­­pres­­­­­sion est globa­­­­­le­­­­­ment appro­­­­­priée. Mais on peut avoir aussi le cas de partis qui font un peu profil bas. On peut avoir le cas de cartels. J’ai l’im­­­­­pres­­­­­sion que tous ces cas de figure, préexis­­­­­taient d’ailleurs déjà tous, mais on ne les appe­­­­­lait pas « listes citoyennes » aupa­­­­­ra­­­­­vant… On parlait de listes d’ou­­­­­ver­­­­­ture, de listes apoli­­­­­tiques, on trou­­­­­vait d’autres quali­­­­­fi­­­­­ca­­­­­tifs, ou tout simple­­­­­ment on n’y prêtait pas atten­­­­­tion. Quand je dis que sur 262 communes wallonnes, certains grands partis ont moins de 100 listes sous leur nom, cela a impliqué aussi qu’au total il y avait plus d’un millier de listes dépo­­­­­sées en 2012 ! Les listes au nom des partis connus ont toujours repré­­­­­senté la mino­­­­­rité des listes dépo­­­­­sées. Il y a des tas de communes où il y a une, deux, trois listes avec des noms indé­­­­­chif­­­­­frables si on ne connaît pas un peu les enjeux de poli­­­­­tique locale.
Y a-t-il un vrai phéno­­­­­mène supplé­­­­­men­­­­­taire cette fois ? C’est à voir. Et je ne sais même pas comment on pourra le mesu­­­­­rer. Qu’est-ce qui va distin­­­­­guer en 2018 une « liste citoyenne » d’une liste qui était simple­­­­­ment compo­­­­­site et ne se ratta­­­­­chait pas clai­­­­­re­­­­­ment à un parti en 2012 ? A part les termes utili­­­­­sés ou les inten­­­­­tions, ou l’opé­­­­­ra­­­­­tion de commu­­­­­ni­­­­­ca­­­­­tion, ce sera diffi­­­­­cile à dire…

On constate que la commune est un niveau de pouvoir qui mani­­­­­feste de plus en plus son désac­­­­­cord avec les autres niveaux de pouvoir (par exemple : communes hors TTIP, com- munes hospi­­­­­ta­­­­­lières, etc.), y compris lorsque les partis visés sont au gouver­­­­­ne­­­­­ment fédé­­­­­ral. Est-ce pure­­­­­ment symbo­­­­­lique ou cela exerce- t-il réel­­­­­le­­­­­ment une pres­­­­­sion poli­­­­­tique ? Quel est le rôle du tissu asso­­­­­cia­­­­­tif dans ces prises de posi­­­­­tion ?

Le monde asso­­­­­cia­­­­­tif, qu’il s’agisse de grosses orga­­­­­ni­­­­­sa­­­­­tions rela­­­­­ti­­­­­ve­­­­­ment anciennes et struc­­­­­tu­­­­­rées, de petits collec­­­­­tifs ou d’al­­­­­liances de circons­­­­­tance, est souvent à la base de ces ré- solu­­­­­tions. Symbo­­­­­lique­­­­­ment, pour le pouvoir poli­­­­­tique, cela traduit une prise de conscience et une prise de parole, cela permet d’en­­­­­tendre la société et de rendre le débat public sur une ques­­­­­tion, parfois même avec un écho impor­­­­­tant. On l’a vu par rapport aux visites domi­­­­­ci­­­­­liaires (avec la démarche « communes hospi­­­­­ta­­­­­lières ») ou par rapport au nucléaire (avec la campagne « Stop Tihange » ou de manière plus isolée). C’est donc une manière d’en­­­­­trer dans le débat public.

Quand des communes s’op­­­­­posent à un autre niveau de pouvoir, cela montre aussi que le champ poli­­­­­tique n’est pas exempt de dissen­­­­­sions, qu’il n’est pas mono­­­­­li­­­­­thique. D’au­­­­­tant plus quand des gens d’un même parti prennent des posi­­­­­tions d’un certain type au niveau commu­­­­­nal alors qu’on attend d’eux à un autre ni- veau où ils sont élus, une posi­­­­­tion d’un autre type. On a beau­­­­­coup parlé du cas de Chris­­­­­tine Defraigne au MR, tiraillée entre ce qu’elle devrait sans doute défendre comme prési­­­­­dente du Sénat et sa posi­­­­­tion sur les visites domi­­­­­ci­­­­­liaires au niveau du conseil commu­­­­­nal liégeois.

En même temps, on peut dire que ce rôle d’op­­­­­po­­­­­si­­­­­tion insti­­­­­tu­­­­­tion­­­­­nelle est encore mis plus en avant aujourd’­­­­­hui par deux éléments. D’une part, l’idée que les citoyens doivent davan­­­­­tage pouvoir expri­­­­­mer leur voix, notam­­­­­ment à tra- vers l’in­­­­­ter­­­­­pel­­­­­la­­­­­tion des insti­­­­­tu­­­­­tions, et d’autre part, la situa­­­­­tion atypique de la coali­­­­­tion fédé­­­­­rale, en raison de sa compo­­­­­si­­­­­tion et du fait qu’elle diffé­­­­­rait nette­­­­­ment, jusqu’en 2017, de celle du gouver­­­­­ne­­­­­ment wallon. Cette asymé­­­­­trie a d’ailleurs donné lieu à une oppo­­­­­si­­­­­tion entre le gouver­­­­­ne­­­­­ment wallon et le gouverne- ment fédé­­­­­ral sur plusieurs points (budget ou CETA, par exemple) en début de légis­­­­­la­­­­­ture. Avec le chan­­­­­ge­­­­­ment de gouver­­­­­ne­­­­­ment wallon survenu voici un an, on se retrouve dans une situa­­­­­tion où les fran­­­­­co­­­­­phones qui veulent s’op­­­­­po­­­­­ser à la poli­­­­­tique fédé­­­­­rale ne peuvent guère plus le faire qu’en action­­­­­nant des motions de conflit d’in­­­­­té­­­­­rêt au niveau de la Commis­­­­­sion commu­­­­­nau­­­­­taire française (COCOF).

Le niveau commu­­­­­nal consti­­­­­tue l’autre caisse de réson­­­­­nance possi­­­­­ble… Avec la diffé­­­­­rence qu’au niveau commu­­­­­nal, c’est pure­­­­­ment symbo­­­­­lique. Une commune est moins en mesure de s’op­­­­­po­­­­­ser vrai­­­­­ment à un proces­­­­­sus déci­­­­­sion­­­­­nel émanant d’un autre niveau de pouvoir.

En guise de conclu­­­­­sion, l’enquête Noir jaune Blues a révélé un fossé de plus en plus profond entre le monde poli­­­­­tique et les citoyens. Le ni- veau commu­­­­­nal n’est-il pas la prin­­­­­ci­­­­­pale voie de la récon­­­­­ci­­­­­lia­­­­­tion ? Est-ce une bonne porte d’en­­­­­trée pour connaître et comprendre des enjeux plus globaux ?

Il est clair que c’est le niveau où l’in­­­­­ves­­­­­tisse- ment est le plus aisé, ne fût-ce que parce que, pour dépo­­­­­ser une liste, il faut recueillir très peu de signa­­­­­tures de citoyens. En plus, c’est un niveau où on a forte­­­­­ment prise sur son envi­­­­­ron­­­­­ne­­­­­ment : on peut faire chan­­­­­ger les choses et en voir le résul­­­­­tat. A fortiori sur une durée de manda­­­­­ture qui est de 6 ans.
En même temps, je pense que quand on s’in­­­­­ves­­­­­tit au niveau local, on s’aperçoit souvent et assez rapi­­­­­de­­­­­ment qu’il y a des contraintes qui viennent d’autres niveaux de pouvoir, et que donc on ne peut pas limi­­­­­ter sa réflexion au niveau commu­­­­­nal. Sinon, on va louper une série de choses et on n’ar­­­­­ri­­­­­vera même pas à ses objec­­­­­tifs stric­­­­­te­­­­­ment locaux, si on ne tient pas compte des exigences régio­­­­­nales, des oppor­­­­­tu­­­­­ni­­­­­tés, etc.

La ques­­­­­tion des finances commu­­­­­nales est assez illus­­­­­tra­­­­­tive de ce point de vue. Ce n’est pas tant la 6e réforme de l’Etat qui a mis les finances des communes sous pres­­­­­sion. C’est d’abord et avant tout le fait qu’on se situe, même au ni- veau commu­­­­­nal, dans un cadre de poli­­­­­tique d’aus­­­­­té­­­­­rité. Un cadre large­­­­­ment décidé au ni- veau euro­­­­­péen. Cela passe notam­­­­­ment par le TSCG (Traité sur la stabi­­­­­lité, la coor­­­­­di­­­­­na­­­­­tion et la gouver­­­­­nance au sein de l’Union écono­­­­­mique et moné­­­­­taire, ou Pacte budgé­­­­­taire euro­­­­­péen), contre lequel la société civile s’était mobi­­­­­li­­­­­sée. Et les normes comp­­­­­tables balisent très forte- ment les inves­­­­­tis­­­­­se­­­­­ments qu’on peut faire (une ville comme Liège en a fait l’ex­­­­­pé­­­­­rience avec le projet de tram !). Donc cette poli­­­­­tique déci­­­­­dée sur le plan euro­­­­­péen, menée au niveau fédé­­­­­ral et au niveau régio­­­­­nal, a des réper­­­­­cus­­­­­sions au niveau commu­­­­­nal.

Cela veut dire que le niveau euro­­­­­péen peut casser des projets commu­­­­­naux de trop grande enver­­­­­gure ?
C’est-à-dire que même des projets commu­­­­­naux doivent respec­­­­­ter certaines normes. Et donc le pouvoir commu­­­­­nal a moins de lati­­­­­tude qu’au­­­­­pa­­­­­ra­­­­­vant. Ce qui néces­­­­­site de trou­­­­­ver d’autres manières de faire. La Commis­­­­­sion euro­­­­­péenne ou Euro­s­­­­tat n’in­­­­­ter­­­­­viennent pas pour inter­­­­­­­­­dire un projet, mais bien pour inter­­­­­­­­­dire des façons de le faire… ce qui pèse sur les projets eux-mêmes.