Analyses

Quel après pour le monde ralenti ? (avril 2020)

Auteure Laurence Delper­­­­­­­­­­­­­­­­­­­dange, Contrastes avril 2020, p.16–18

Comment émer­­­­­­­­­ger diffé­­­­­­­­­rents, après cette longue mise en veille ? Les diri­­­­­­­­­geants oseront-ils encore propo­­­­­­­­­ser les vieilles recettes de l’aus­­­­­­­­­té­­­­­­­­­rité, celles qui ont préci­­­­­­­­­pité de plus en plus de personnes dans la préca­­­­­­­­­rité ? Deux options se présen­­­­­­­­­te­­­­­­­­­ront sans doute et certains les pensent aujourd’­­­­­­­­­hui : le tota­­­­­­­­­li­­­­­­­­­ta­­­­­­­­­risme ou l’ac­­­­­­­­­cen­­­­­­­­­tua­­­­­­­­­tion (le retour) aux soli­­­­­­­­­da­­­­­­­­­ri­­­­­­­­­tés, à la proxi­­­­­­­­­mité, au local. Il faudra se mobi­­­­­­­­­li­­­­­­­­­ser, agir, se posi­­­­­­­­­tion­­­­­­­­­ner, raffer­­­­­­­­­mir les ventres mous ; ceux qui ne crient pas encore « famine » étaient loin d’ima­­­­­­­­­gi­­­­­­­­­ner que le système qu’ils soute­­­­­­­­­naient avec confiance, se retour­­­­­­­­­ne­­­­­­­­­rait contre eux, un jour ou l’au­­­­­­­­­tre…

Pour le socio­­­­­­­­­logue et philo­­­­­­­­­sophe Edgar Morin1, « le confi­­­­­­­­­ne­­­­­­­­­ment nous aide à commen­­­­­­­­­cer une détoxi­­­­­­­­­fi­­­­­­­­­ca­­­­­­­­­tion de notre mode de vie ». Ajou­­­­­­­­­tant que « cette crise nous montre que la mondia­­­­­­­­­li­­­­­­­­­sa­­­­­­­­­tion est une inter­­­­­­­­­­­­­­­­­dé­­­­­­­­­pen­­­­­­­­­dance sans soli­­­­­­­­­da­­­­­­­­­rité. La globa­­­­­­­­­li­­­­­­­­­sa­­­­­­­­­tion a produit l’uni­­­­­­­­­fi­­­­­­­­­ca­­­­­­­­­tion techno-écono­­­­­­­­­mique de la planète, mais il n’a pas fait progres­­­­­­­­­ser la compré­­­­­­­­­hen­­­­­­­­­sion entre les peuples, pour­­­­­­­­­tant liés par une commu­­­­­­­­­nauté de destin. » Il est à craindre que les peuples se déchirent, la menace éloi­­­­­­­­­gnée. Devant une planète à rebâ­­­­­­­­­tir, il faudra s’en­­­­­­­­­ga­­­­­­­­­ger vers une recons­­­­­­­­­truc­­­­­­­­­tion qui prenne en compte, espé­­­­­­­­­rons-le, le tableau bien noir de nos socié­­­­­­­­­tés en déci­­­­­­­­­dant réso­­­­­­­­­lu­­­­­­­­­ment que celui-ci est révolu.

Pour Anne-Sophie Moreau, rédac­­­­­­­­­trice en chef du Philo­­­­­­­­­no­­­­­­­­­mist, le média de Philo­­­­­­­­­so­­­­­­­­­phie Maga­­­­­­­­­zine, le confi­­­­­­­­­ne­­­­­­­­­ment est comme une mise en pièce de l’idéal de notre civi­­­­­­­­­li­­­­­­­­­sa­­­­­­­­­tion moderne : le mouve­­­­­­­­­ment. « Finis les voyages et le libre-échange qui ryth­­­­­­­­­maient l’éco­­­­­­­­­no­­­­­­­­­mie mondia­­­­­­­­­li­­­­­­­­­sée. Libre marché sous-enten­­­­­­­­­dant circu­­­­­­­­­la­­­­­­­­­tion des biens et des hommes… Nous avons conçu le progrès et la moder­­­­­­­­­nité comme étant la liberté de mouve­­­­­­­­­ment. Le confi­­­­­­­­­ne­­­­­­­­­ment serait comme l’ar­­­­­­­­­rêt net de la marche inin­­­­­­­­­ter­­­­­­­­­rom­­­­­­­­­pue vers le futur repré­­­­­­­­­senté par le travailleur moderne mobile, ultra­­­­­­­­­per­­­­­­­­­for­­­­­­­­­mant et dyna­­­­­­­­­mique. » (Excluant dans le même temps ceux qui sont à la marge, les sans droits). La crise sani­­­­­­­­­taire pousse sur le bouton Pause dans la marche en avant d’un monde courant de toutes façons à sa perte.

Les opti­­­­­­­­­mistes poin­­­­­­­­­te­­­­­­­­­ront les aspects posi­­­­­­­­­tifs du confi­­­­­­­­­ne­­­­­­­­­ment, dont la dimi­­­­­­­­­nu­­­­­­­­­tion de l’émis­­­­­­­­­sion des gaz à effet de serre. Para­­­­­­­­­doxe : on respire mieux quand ce terrible virus attaque les poumons. Temps libéré et fin de la pres­­­­­­­­­sion quoti­­­­­­­­­dienne pour une produc­­­­­­­­­ti­­­­­­­­­vité collec­­­­­­­­­tive ou pour gravir les éche­­­­­­­­­lons d’une échelle sociale brinque­­­­­­­­­ba­­­­­­­­­lante.

« De quelle dose de catas­­­­­­­­­trophe l’homme a-t-il besoin pour enfin réagir ? »

« Va-t-on se conten­­­­­­­­­ter de petits gestes pour éviter la prochaine pandé­­­­­­­­­mie ou bien se donnera-t-on collec­­­­­­­­­ti­­­­­­­­­ve­­­­­­­­­ment les moyens de combattre l’une des plus graves menaces qui pèse sur l’hu­­­­­­­­­ma­­­­­­­­­nité mondia­­­­­­­­­li­­­­­­­­­sée, quitte à remettre en cause notre modèle de société produc­­­­­­­­­ti­­­­­­­­­viste ? » ques­­­­­­­­­tionne Anne-Sophie Moreau. Et on sous­­­­­­­­­crit à son inquié­­­­­­­­­tude.

Pablo Servigne2 est cher­­­­­­­­­cheur en matière de tran­­­­­­­­­si­­­­­­­­­tion écolo­­­­­­­­­gique. Inter­­­­­­­­­viewé par François Ruffin3, il livre sa vision de la crise actuelle, la replaçant dans le contexte d’autres secousses qui se succèdent depuis 2015. Séche­­­­­­­­­resses, cani­­­­­­­­­cules, atten­­­­­­­­­tats, arri­­­­­­­­­vée de Trump au pouvoir, brexit… Aujourd’­­­­­­­­­hui, on assiste à un choc majeur qui va désta­­­­­­­­­bi­­­­­­­­­li­­­­­­­­­ser le monde entier. Pour le cher­­­­­­­­­cheur, « on peut faire une tran­­­­­­­­­si­­­­­­­­­tion en une semaine à l’échelle globale. » Même s’il existe des verrous finan­­­­­­­­­ciers, poli­­­­­­­­­tiques… Aujourd’­­­­­­­­­hui, nous semblons tous unis contre un ennemi commun… « Mais, c’est aussi comme ça qu’on peut mettre en place des stra­­­­­­­­­té­­­­­­­­­gies anti­­­­­­­­­so­­­­­­­­­ciales, » ajoute-t-il, posant la ques­­­­­­­­­tion : « Comment alors agir autre­­­­­­­­­ment pour amener une société d’en­­­­­­­­­traide, d’auto-orga­­­­­­­­­ni­­­­­­­­­sa­­­­­­­­­tion… » Cela passe par la créa­­­­­­­­­tion de groupes locaux un peu partout. L’en­­­­­­­­­traide est réelle, constate-t-il. Elle doit perdu­­­­­­­­­rer, être ré-insti­­­­­­­­­tu­­­­­­­­­tion­­­­­­­­­na­­­­­­­­­li­­­­­­­­­sée. C’est ce qu’il appelle la collap­­­­­­­­­so­­­­­­­­­so­­­­­­­­­phie.

Parmi ses propo­­­­­­­­­si­­­­­­­­­tions concrètes : aller vers une poli­­­­­­­­­tique de ration­­­­­­­­­ne­­­­­­­­­ment. Expé­­­­­­­­­ri­­­­­­­­­men­­­­­­­­­ter, par exemple, des manières de faire face loca­­­­­­­­­le­­­­­­­­­ment à des pénu­­­­­­­­­ries. Pour le cher­­­­­­­­­cheur, notre siècle sera rempli de tout cela et il va falloir s’or­­­­­­­­­ga­­­­­­­­­ni­­­­­­­­­ser pour y faire face. Cela néces­­­­­­­­­site par exemple de s’or­­­­­­­­­ga­­­­­­­­­ni­­­­­­­­­ser avec ses voisins, ses proches, de rester à un niveau local, de connaître les élus… « Sans pétrole, on n’aura pas les mêmes démo­­­­­­­­­cra­­­­­­­­­ties », souligne-t-il. Nous devons réap­­­­­­­­­prendre notre vie, redon­­­­­­­­­ner de la puis­­­­­­­­­sance à l’éche­­­­­­­­­lon local, prendre des mesures de sécu­­­­­­­­­rité alimen­­­­­­­­­taire au niveau local, créer des assem­­­­­­­­­blées, reprendre posses­­­­­­­­­sion des moyens de produc­­­­­­­­­tion…

Des exemples existent un peu partout, profi­­­­­­­­­ter de cette pause forcée pour anti­­­­­­­­­ci­­­­­­­­­per sur leur renfor­­­­­­­­­ce­­­­­­­­­ment est peut-être une bonne façon de prépa­­­­­­­­­rer demain.

L’éco­­­­­­­­­no­­­­­­­­­mie au pied du mur

Du côté des écono­­­­­­­­­mistes aussi, « l’après » éveille à la fois des craintes et trace des pistes… Thomas Piketty revi­­­­­­­­­site les crises qui ont secoué la planète et leurs consé­quences sur la marche du monde : « Dans l’his­­­­­­­­­toire, ce qu’on voit, après les crises finan­­­­­­­­­cières, c’est que tout dépend de la réac­­­­­­­­­tion poli­­­­­­­­­tique, et de la trajec­­­­­­­­­toire qui est suivie. Certes, après le « trau­­­­­­­­­ma­­­­­­­­­tisme » des deux guerres mondiales et de la crise des années 1930, un nouveau système écono­­­­­­­­­mique s’est mis en place, avec la sécu­­­­­­­­­rité sociale, l’im­­­­­­­­­pôt progres­­­­­­­­­sif, un nouveau droit du travail, des droits syndi­­­­­­­­­caux, et même, dans certains pays, un véri­­­­­­­­­table pouvoir au sein des conseils d’ad­­­­­­­­­mi­­­­­­­­­nis­­­­­­­­­tra­­­­­­­­­tion des entre­­­­­­­­­prises. Cepen­­­­­­­­­dant, cette méta­­­­­­­­­mor­­­­­­­­­phose n’a pu avoir lieu que grâce à une ‘ trans­­­­­­­­­for­­­­­­­­­ma­­­­­­­­­tion intel­­­­­­­­­lec­­­­­­­­­tuelle ‘, qui, elle, était en prépa­­­­­­­­­ra­­­­­­­­­tion depuis le XIXe siècle ».5 Toute­­­­­­­­­fois, autre temps, autres germes pour demain :  nous serions « beau­­­­­­­­­coup moins prêts aujourd’­­­­­­­­­hui qu’à la fin du XIXe siècle-début XXe siècle, où il y avait un puis­­­­­­­­­sant mouve­­­­­­­­­ment socia­­­­­­­­­liste, syndi­­­­­­­­­cal, social, qui prépa­­­­­­­­­rait le terrain pour un autre monde. Nous avons accu­­­­­­­­­mulé des retards sur les risques envi­­­­­­­­­ron­­­­­­­­­ne­­­­­­­­­men­­­­­­­­­taux et sociaux.

Il ne suffit pas de dire “il faut chan­­­­­­­­­ger le système écono­­­­­­­­­mique”, il faut décrire quel autre système écono­­­­­­­­­mique, défi­­­­­­­­­nir de nouveaux critères de déci­­­­­­­­­sion en matière de gouver­­­­­­­­­nance écono­­­­­­­­­mique mondia­­­­­­­­­le… »

Thomas Porcher(5) pointe le trip­­­­­­­­­tyque « mondia­­­­­­­­­li­­­­­­­­­sa­­­­­­­­­tion-finan­­­­­­­­­cia­­­­­­­­­ri­­­­­­­­­sa­­­­­­­­­tion-austé­­­­­­­­­rité ». Il en appelle à ne « pas se lais­­­­­­­­­ser faire » et à « penser l’après » dès main­­­­­­­­­te­­­­­­­­­nant.

Il propose des solu­­­­­­­­­tions pour que l’en­­­­­­­­­tre­­­­­­­­­prise ne soit plus le jouet des finan­­­­­­­­­ciers. « Il faut faire en sorte qu’à l’in­­­­­­­­­té­­­­­­­­­rieur de l’en­­­­­­­­­tre­­­­­­­­­prise ne s’op­­­­­­­­­posent pas des parties prenantes comme les sala­­­­­­­­­riés et les action­­­­­­­­­naires, que le profit ne soit pas le seul but. Il faut que les sala­­­­­­­­­riés soient en plus grand nombre dans les conseils d’ad­­­­­­­­­mi­­­­­­­­­nis­­­­­­­­­tra­­­­­­­­­tion ; y inté­­­­­­­­­grer égale­­­­­­­­­ment des repré­­­­­­­­­sen­­­­­­­­­tants des collec­­­­­­­­­ti­­­­­­­­­vi­­­­­­­­­tés locales et les clients. Enfin, l’État doit donner une feuille de route à ces entre­­­­­­­­­prises pour les mettre au service d’un projet, notam­­­­­­­­­ment la tran­­­­­­­­­si­­­­­­­­­tion écolo­­­­­­­­­gique. Nous devons profi­­­­­­­­­ter de ce moment pour reprendre la main, et l’État doit rede­­­­­­­­­ve­­­­­­­­­nir un Etat stra­­­­­­­­­tège. Mais pour cela, il faut encore qu’il y ait des stra­­­­­­­­­tèges à la tête de l’État… » L’éco­­­­­­­­­no­­­­­­­­­miste souligne néan­­­­­­­­­moins que dans la tête des diri­­­­­­­­­geants mais aussi de beau­­­­­­­­­coup d’in­­­­­­­­­di­­­­­­­­­vi­­­­­­­­­dus, il n’y a pas d’al­­­­­­­­­ter­­­­­­­­­na­­­­­­­­­tives : « Beau­­­­­­­­­coup sont soumis au système, votent pour des candi­­­­­­­­­dats qui servent plus les inté­­­­­­­­­rêts des multi­­­­­­­­­na­­­­­­­­­tio­­­­­­­­­nales et de la finance que les secteurs essen­­­­­­­­­tiels tels que l’en­­­­­­­­­sei­­­­­­­­­gne­­­­­­­­­ment et la santé. », pour­­­­­­­­­suit-il. 

Inver­­­­­­­­­ser le rapport de force

 Le socio­­­­­­­­­logue et philo­­­­­­­­­sophe Bruno Latour6 s’inquiète : « Les pandé­­­­­­­­­mies réveillent chez les diri­­­­­­­­­geants comme chez les diri­­­­­­­­­gés, une sorte d’évi­­­­­­­­­dence – ‘Nous devons vous proté­­­­­­­­­ger’, ‘Vous devez nous proté­­­­­­­­­ger’ – qui rechargent l’au­­­­­­­­­to­­­­­­­­­rité de l’Etat et lui permet d’exi­­­­­­­­­ger ce qui, en toute autre circons­­­­­­­­­tance, serait accueilli par des émeutes. » Bruno Latour propose de dres­­­­­­­­­ser un cadastre des entre­­­­­­­­­prises humaines toxiques et nocives. Il suggère de tirer de cette crise la preuve que nous pouvons aller vers une réelle tran­­­­­­­­­si­­­­­­­­­tion écolo­­­­­­­­­gique. Certains rétorque­­­­­­­­­ront que faire table rase de ce qui existe est peut-être dange­­­­­­­­­reux, même si  le modèle proposé par Latour et beau­­­­­­­­­coup d’autres avec lui est celui vers lequel tendre. Reste à savoir comment y arri­­­­­­­­­ver en conser­­­­­­­­­vant le profi­­­­­­­­­table à tous et en reje­­­­­­­­­tant ce qui ne sert que l’in­­­­­­­­­té­­­­­­­­­rêt d’une mino­­­­­­­­­rité.

Rési­­­­­­­­­lience du système capi­­­­­­­­­ta­­­­­­­­­liste ou salu­­­­­­­­­taire réveil citoyen ?

 Les lende­­­­­­­­­mains passe­­­­­­­­­ront inévi­­­­­­­­­ta­­­­­­­­­ble­­­­­­­­­ment vers un rapport de force entre ceux qui veulent donner un coup d’ac­­­­­­­­­cé­­­­­­­­­lé­­­­­­­­­ra­­­­­­­­­teur à la tran­­­­­­­­­si­­­­­­­­­tion qui nous permet­­­­­­­­­tra d’en­­­­­­­­­vi­­­­­­­­­sa­­­­­­­­­ger l’ave­­­­­­­­­nir sous de meilleurs auspices, et ceux qui atten­­­­­­­­­dront d’un diri­­­­­­­­­geant à la main de fer, la garan­­­­­­­­­tie d’une gestion éclai­­­­­­­­­rée. Le philo­­­­­­­­­sophe Alain Deneault7, entre­­­­­­­­­voit la pandé­­­­­­­­­mie comme « un déclen­­­­­­­­­cheur de l’es­­­­­­­­­prit » qui nous amène à revi­­­­­­­­­si­­­­­­­­­ter le passé et les grandes épidé­­­­­­­­­mies. Cela devrait appor­­­­­­­­­ter, dit-il, une pensée, une action, une atti­­­­­­­­­tude et des dispo­­­­­­­­­si­­­­­­­­­tions nouvelles. D’au­­­­­­­­­tant plus que d’autres crises ont déjà secoué notre planète mondia­­­­­­­­­li­­­­­­­­­sée, ces dernières années, la plupart liées à notre mode de vie :  incen­­­­­­­­­dies de forêt, oura­­­­­­­­­gans, tsuna­­­­­­­­­mis, inon­­­­­­­­­da­­­­­­­­­tions, fonte des glaciers… « Le capi­­­­­­­­­ta­­­­­­­­­lisme tel qu’il est (au service des action­­­­­­­­­naires) ne pourra pas perdu­­­­­­­­­rer », déclare-t-il, rappe­­­­­­­­­lant que le mot écono­­­­­­­­­mie est bien plus large que celui qu’on lui attri­­­­­­­­­bue aujourd’­­­­­­­­­hui. « Il s’agit de penser les rela­­­­­­­­­tions bonnes, les rela­­­­­­­­­tions saines entre les éléments, entre les gens et leurs idées, entre les symboles. » 

Il nous renvoie à nous, citoyens, qui nous berçons (certains plus que d’au­­­­­­­­­tres…) de l’es­­­­­­­­­poir que le système actuel aura les réponses. Espoir aussi que le pouvoir domi­­­­­­­­­nant dit vrai. « Quand on aban­­­­­­­­­don­­­­­­­­­nera ce fantasme, le jour où le discours idéo­­­­­­­­­lo­­­­­­­­­gique domi­­­­­­­­­nant ne coïn­­­­­­­­­ci­­­­­­­­­dera pas du tout avec l’état du réel, on verra l’ina­­­­­­­­­dé­qua­­­­­­­­­tion flagrante entre cet état du réel dans notre histoire et le discours qui vise à le masquer. Là, on rira lorsque des experts vien­­­­­­­­­dront nous parler de la crois­­­­­­­­­sance infi­­­­­­­­­nie. Et je pense qu’on y arri­­­­­­­­­ve… »  Et de se deman­­­­­­­­­der si, quelque part, en nous tous et même ceux qui souffrent le plus de la situa­­­­­­­­­tion, il n’y a pas une sorte de ‘satis­­­­­­­­­fac­­­­­­­­­tion’ à voir tout enfin un peu s’ar­­­­­­­­­rê­­­­­­­­­ter. « Nous sommes dans une société de perfor­­­­­­­­­mance, de burnout, de détresse psycho­­­­­­­­­lo­­­­­­­­­gique, les gens n’ont pas le temps de voir leur famille. En fait, les gens sont à bout depuis long­­­­­­­­­temps. Et là, on est forcés à une pause et quasi­­­­­­­­­ment à évaluer sa vie. A renouer à l’es­­­­­­­­­sen­­­­­­­­­tiel. Cette pandé­­­­­­­­­mie est l’oc­­­­­­­­­ca­­­­­­­­­sion de se redres­­­­­­­­­ser la tête et de penser son rapport au monde de manière beau­­­­­­­­­coup plus libre, souve­­­­­­­­­raine, struc­­­­­­­­­tu­­­­­­­­­rée et construc­­­­­­­­­tive. »

En s’at­­­­­­­­­taquant à toutes les classes sociales, ce virus devient une urgence natio­­­­­­­­­nale parce que l’oli­­­­­­­­­gar­­­­­­­­­chie est touchée. « Si l’Etat avait à cœur la santé publique, ça fait long­­­­­­­­­temps qu’on aurait inter­­­­­­­­­­­­­­­­­dit la malbouffe et qu’on se serait attaqué au problème du climat. Mais c’est quand la classe diri­­­­­­­­­geante est attaquée de plein fouet qu’il y une réac­­­­­­­­­tion », constate-t-il.

Et plutôt que de conclure sur une note pessi­­­­­­­­­miste, le philo­­­­­­­­­sophe en appelle à la luci­­­­­­­­­dité et à la gaieté, comme dispo­­­­­­­­­si­­­­­­­­­tions psychiques maîtresses pour l’ave­­­­­­­­­nir. « On va décou­­­­­­­­­vrir des dispo­­­­­­­­­si­­­­­­­­­tions, des talents, des forces, de s’in­­­­­­­­­ves­­­­­­­­­tir dans des acti­­­­­­­­­vi­­­­­­­­­tés qui ont tout à coup du sens. Ce sera l’oc­­­­­­­­­ca­­­­­­­­­sion de s’en­­­­­­­­­ga­­­­­­­­­ger dans l’or­­­­­­­­­ga­­­­­­­­­ni­­­­­­­­­sa­­­­­­­­­tion et l’éla­­­­­­­­­bo­­­­­­­­­ra­­­­­­­­­tion d’un monde qui nous ressemble si on résiste à la tenta­­­­­­­­­tion du fascisme. Il faut quit­­­­­­­­­ter notre ronron quoti­­­­­­­­­dien fonc­­­­­­­­­tion­­­­­­­­­na­­­­­­­­­liste et soumis.

L’ave­­­­­­­­­nir sera diffi­­­­­­­­­cile mais nos enfants seront plus en vie que nous l’au­­­­­­­­­rons été dans notre confort angoissé. Nos enfants trou­­­­­­­­­ve­­­­­­­­­ront la force de se donner un monde qui leur ressemble. »

Aux Equipes Popu­­­­­­­­­laires, nous voulons le croire et agir en ce sens, avec vous. Plus que jamais.

1. « Le confi­­­­­­­ne­­­­­­­ment peut nous aider à commen­­­­­­­cer une détoxi­­­­­­­fi­­­­­­­ca­­­­­­­tion de notre mode de vie », Inter­­­­­­­view d’Ed­­­­­­­gar Morin par David Le Bailly et Sylvain Courage, L’Obs, nouve­­­­­­­lobs.com, 18 mars 2020

2. Pablo Servigne, ingé­­­­­­­nieur agro­­­­­­­nome, écologue, cher­­­­­­­cheur. Auteur de « LEntraide : l’autre loi de la jungle, Les liens qui libèrent, Ed. Poche, 2019 et co-auteur avec Raphaël Stevens et Gauthier Chapelle, de  Une autre fin du monde est possible : vivre l’ef­­­­­­­fon­­­­­­­dre­­­­­­­ment (et pas seule­­­­­­­ment y survivre), Seuil, Coll. Anthro­­­­­­­po­­­­­­­cène, 2018.  Dans cet ouvrage, les auteurs prolongent leur réflexion sur la collap­­­­­­­so­­­­­­­lo­­­­­­­gie par une réflexion sur la mise en œuvre de la collap­­­­­­­so­­­­­­­so­­­­­­­phie, une éthique pour apprendre à vivre avec la catas­­­­­­­trophe en cours, avec la débâcle envi­­­­­­­ron­­­­­­­ne­­­­­­­men­­­­­­­tale, avec l’ef­­­­­­­fon­­­­­­­dre­­­­­­­ment de la société actuelle.

3. François Ruffin inter­­­­­­­­­­­­­view de Pablo Servigne dans : Allô Ruffin, En direct de ma cuisine. Page Face­­­­­­­book de François Ruffin

4. « Crise écono­­­­­­­mique mondiale : pour Thomas Piketty, le Covid-19 est l’arbre qui cache la forêt », inter­­­­­­­­­­­­­view dans L’Obs, nouve­­­­­­­lobs.com, 15 mars 2020

5. « Cette crise est un moment idéal pour faire passer les pires lois », Pablo Maillé, inter­­­­­­­­­­­­­view de Thomas Porcher, Usbek & Rica, 26 mars 2020. Les délais­­­­­­­sés, Thomas Porcher, Fayard 2020

6. « La crise sani­­­­­­­taire incite à se prépa­­­­­­­rer à la muta­­­­­­­tion clima­­­­­­­tique », tribune de Bruno Latour, dans Le Monde, 25 mars 2020 – « Imagi­­­­­­­ner les gestes-barrières contre le retour à la produc­­­­­­­tion d’avant-crise » par Bruno Latour, dans AOC, 30 mars 2020

7. La pandé­­­­­­­mie, déclen­­­­­­­cheur de l’es­­­­­­­prit, inter­­­­­­­­­­­­­view d’Alain Deneault par Chan­­­­­­­tal Guy dans La Presse + (Canada)